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Moins sauvage et plus structuré que le foot des rues de nos aînés, si le street-foot d’aujourd’hui demeure encore un vivier pour le haut niveau, le foot à onze n’est plus son unique débouché. En s’adaptant à l’évolution de la société, il a aussi donné naissance à une multitude de pratiques différentes pour autant de nouvelles vocations à concrétiser.
Bien avant d’intégrer les centres de formation de Cannes ou de Nancy, c’est sur la dalle de la Cité de la Castellane à Marseille ou dans les rues de Joeuf, petit village de Meurthe-et-Moselle, que Zidane et Platini ont acquis les bases techniques qui allaient en faire des stars.
Un demi-siècle plus tard, plus vite récupéré par les tentacules d’un implacable processus de formation, Mbappé a usé moins de chaussures dans sa cité de Bondy, laissant ses copains dans un espace urbain métamorphosé où la rue, la place du village ou le terrain vague ont été remplacés par de nouvelles installations sportives urbaines.
Au pied des immeubles ou entre deux résidences, ces structures en dur encadrent désormais les premiers pas des footballeurs en herbe jusqu’à transformer leurs caractéristiques. Quand les aires de jeu souvent inégales affinaient la technique et forgeaient le mental, quand l’obligation de faire avec les éléments naturels obligeait à l’adaptation permanente, le confort de ces city stades ou playgrounds ne génère pas les mêmes fulgurances.
Zidane et Platini, des adeptes du foot de rue
Lorsqu’ils ne sont pas enrôlés dans les mailles de la détection, orientés vers les nombreux centres ou structures de formation, dès le collège et parfois avant, ceux qui parviennent à échapper au dictat des jeux vidéo, à s’extraire des réseaux sociaux ou à échapper aux dérives des gangs de quartiers, ne sont plus confrontés à la même réalité de terrain.
À lireWilson Isidor (Sunderland), buteur inattendu dans une équipe surprenanteLe synthétique a remplacé la terre, poussiéreuse ou boueuse, facilitant la maîtrise du ballon, la conduite de balle, le contrôle. Le foot de rue imprévisible et sauvage du XXème siècle est devenu le street-football plus codifié et encadré du XXIème. Non sans conséquences.
« Dans le football de rue, la nature de l’enjeu est différente que dans un stade, explique Maxime Travert, prof d’EPS et maître de conférences à l’ÉSPÉ d’Aix-Marseille, chercheur à l’Institut des Sciences du Mouvement (1). On passe d’une pratique centrée sur la recherche du duel, le plaisir de l’élimination de l’autre à un sport de compétition où le résultat prime sur tout le reste. La transition est souvent difficile pour tous ceux qui ont grandi avec cette culture du duel et de l’épreuve. »
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Le foot de rue imprévisible et sauvage est devenu le street-football plus codifié et encadré
Pour un Zidane, un Ribéry, un Anelka ou un Benzema qui sont parvenus à dompter leurs pulsions originelles, à mettre leur technique au service d’un collectif, nombreux n’ont pas réussi à intégrer les codes du football traditionnel. « Ben Arfa est l’exemple typique, poursuit Maxime
À lireQui sera le prochain viré en Ligue 1 ? Du répit pour Beye et Le Mignan, Pélissier et Castro en dangerTravert, qui s’est construit sur ce foot de duels et qui a eu du mal à se faire au foot de compétition alors qu’il était peut-être le plus doué de tous après avoir développé, par la répétition et des situations qu’il s’aménageait dans la rue ou ailleurs, des stratégies d’apprentissage originales. »
D’un foot de rue à l’autre, le chercheur marseillais qui travaille sur toutes les formes de pratique sportive en dehors de tout cadre institué établit même un parallèle intéressant entre quatre des meilleurs joueurs de l’histoire du football.
« Messi, Neymar ou Maradona sont issus de ce foot de rue qui valorise les duels jusqu’à l’extrême… contrairement à un Mbappé qu’on sent plus intéressé par la performance pure. La cohabitation n’est pas toujours évidente. »
Le foot de rue à la dure
En 2024 plus qu’en 2014, l’atypique Ben Arfa aurait fait des merveilles dans un futsal en plein développement, « véritable prolongement institutionnalisé du foot de pied d’immeuble, insiste Maxime Travert. Il n’y a qu’à regarder la composition sociologique des pratiquants de futsal, même à son meilleur niveau, jusqu’en équipe de France, pour comprendre qu’ils n’ont pas le même univers culturel que le foot à onze. »
Dans un environnement de plus en plus encadré par une FFF avide de nouveaux licenciés, le développement des nouvelles pratiques est une occasion en or de mettre en valeur la culture originelle de tous ces gamins qui continuent de jouer dans la rue, première génération qui aura la possibilité de faire carrière dans le futsal, dans le sillage du premier pro français de la discipline, Kevin Ramirez (voir son interview).
« Le futsal est le prolongement institutionnalisé du foot de pied d’immeuble »
De son côté, au début des années 2000, le désormais ex-capitaine des Bleus a été influencé par la campagne publicitaire Joga Bonito, où apparaissaient Henry, Ibrahimovic, CR7, Rooney ou Ronaldinho, et par la série animée de France 3, « Foot 2 rue”, deux leviers de vulgarisation du street-soccer en France qui ont aussi débouché sur la montée en puissance des centres de foot à 5 (voir encadré) comme autant d’échappatoires au foot à 11 jugé trop contraignant.
À lireSC Bastia : Fred Antonetti refuse la succession de Benoît Tavenot et claque la porte !Ce foot à papa qui ne cesse de se faire grignoter les parts de marché par une dizaine de pratiques diversifiées le futsal, le beach-soccer, l’efootball, le futnet, le golf foot, le fit foot, le foot en marchant, le foot8 et le foot5 qui ne sont rien d’autres que des émanations de ce foot de rue que s’approprient, à l’instar de la FFF, les plus grandes marques, Nike et Adidas en tête.
De la Lucarne d’Evry médiatisée par la présence de Nené, à la CAN des quartiers sur Paris, devenue Coupe de France des quartiers, la marchandisation est en route qui ouvre de nouvelles perspectives à ceux qui ne se tournent pas vers le foot à 11 pour intégrer une sorte de marché parallèle. Des sélections sont ainsi régulièrement organisées, mais qui dénaturent forcément l’adn de ce foot qui, à ce rythme, n’aura plus beaucoup de lien avec la rue, car trop encadré, trop organisé, trop éloigné de la réalité des quartiers.
Le foot des cités n’a pas changé
« Dans les cités, on joue au foot pour donner du sens à son existence, pour éviter l’ennui, conclue Maxime Travert. Dans les quartiers nord de Marseille, j’ai rencontré des gamins qui avaient cette devise : « jouer au foot ou mourir”. A la Courneuve, alors qu’ils auraient pu marquer dans le but vide certains attendaient que le défenseur revienne pour l’éliminer. Tout ça est à l’opposé des valeurs de la compétition quelle qu’elle soit. »
La présence de plus en plus de recruteurs à la recherche de profils atypiques lors de ces tournois de quartiers est donc de nature à en modifier l’approche. Parce qu’ils ne sont pas accessibles à tous, à l’image des Five qui sont payants, ils ne peuvent prétendre être estampillés foot de rue.
Tout juste sont-ils un prolongement avec un début et une fin, quand le vrai foot de rue, lui, ne s’arrête jamais. C’est même à ça qu’on le reconnait. La lumière ne s’éteind jamais sur ses parties improvisées qui peuvent durer jusqu’au bout de la nuit…
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