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Le transfert de Maxim van Gils chez Red Bull-BORA-hansgrohe, alors que le coureur était encore sous contrat avec Lotto Dstny, est-il le symptôme d’un malaise plus profond qui pousse le cyclisme vers les dérives du football ?
« Je suis inquiet pour le cyclisme comme un certain nombre de confrères. Car aujourd’hui on a quatre ou cinq équipes qui sont dans la capacité de faire, financièrement, un peu tout et n’importe quoi. Comme je pense à l’intérêt général, si demain ces quatre ou cinq équipes trustent tout, on va y perdre en passion. J’espère me tromper. Les choses vontelles se rééquilibrer ? Je suis dubitatif. »
Sur la RTBF, en marge du départ de son coureur, Maxim van Gils vers Red Bull BORA-hansgrohe, Stéphane Heulot, le manager français de l’équipe belge, Lotto, réagissait en début d’année sur l’évolution du peloton.
« Il y a une loi belge qui est permissive, une loi européenne qui ouvre une faisabilité qui va probablement déteindre sur le vélo comme elle a pris sur le football. On est un peu sur les mêmes bases de discussion. Ce qui m’a affecté, ce que je peux regretter, c’est qu’en début de saison, Maxime a souhaité renouveler son contrat, ce que nous avons accepté à ses conditions pour qu’il soit tranquille dans sa tête. Il a réalisé une magnifique saison mais, aujourd’hui, on se sent un petit peu lâchés »
À lireJonas Vingegaard a rendez-vous sur le Mont VentouxPris de court par un transfert qu’il n’avait pas vu venir et qui permet à son ancien coureur de multiplier son salaire par six (plus de 2 M€/ an) sur un contrat de trois ans.
Dans un World Tour où le budget moyen ne cesse d’augmenter, passant de 20 M€ en 2021 à 32 M€ en 2025, avec l’arrivée de nouveaux investisseurs privés ou étatiques aux moyens parfois illimités, le combat apparait inégal à ceux qui ne peuvent pas suivre le rythme.
Pour Marc Madiot, manager de Groupama-FDJ, « quand des sponsors attendent un minimum de retour sur investissement, d’autres veulent seulement faire un coup, écraser le marché et dominer. Derrière, ça va faire des dégâts. Au nom de l’argent, on sacrifie beaucoup de valeurs. On ressemble de plus en plus au football, ça devient malsain ! »
À lireDans 8 jours Paris-Roubaix, la course crainte, détestée, fantasmée…Le football ! Le mot est encore lâché comme une menace absolue, la perspective de vendre son âme au diable tellement on attribue tous les maux au sport le plus populaire de la planète, gangréné par les intermédiaires et les excès en tout genre. Ce cyclisme de plus en plus soumis à la loi du plus fort, donc du plus riche, où l’influence des agents ne cesse de croitre, est-il vraiment en voie de footballisation ?
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« Au nom de l’argent, on sacrifie beaucoup de valeurs » (Madiot)
Dans le peloton, tout le monde n’est pas forcément d’accord avec cette thèse. Philippe Raimbaud, agent historique à la tête de R’Sports Conseil (qui vient de quitter ses fonctions), qui fut également vice-président de la Ligue Nationale apporte plus de nuance.
« Je me méfie des caricatures. Parler de footballisation du cyclisme ? Si c’est d’avoir 1 milliard de déficit, des tribunes fermées à cause de la radicalisation des supporteurs, des joueurs qui appartiennent à des fonds d’investissements, des clubs en multipropriétés, des agents qui sont des escrocs patentés… on n’en est pas là et je crois que personne ne veut en arriver là. »
Le président de la première association internationale des agents (WARA) précise sa pensée en défendant sa corporation : « Nous ne sommes là que pour défendre l’intérêt de coureurs qui ont longtemps été démunis face à leurs patrons. Les mêmes qui s’émeuvent de cette dérive sont les premiers à nous appeler pour tester un jeune coureur à qui il reste encore deux ans de contrat… »
À lire30 secteurs pavés sur 259 km de course, bienvenue dans l’enfer de Paris-RoubaixS’il refuse de dramatiser une situation qu’il estime encore sous contrôle, « parce que parmi tous les acteurs du vélo ; coureurs, dirigeants, agents, responsables d’équipes ou organisateurs, personne ne souhaite en arriver là », Raimbaud en appelle surtout à plus de mesure :
« Tout le monde s’émeut autour du transfert de van Gils, mais ça ne reste qu’un cas isolé sur 1400 pros dans le monde. Il ne faut pas crier avant d’avoir mal ! » Le problème, c’est que certains ont déjà mal. Pour le moment, à chacun, en fonction de sa résistance à la douleur, de placer le curseur où il le peut… ?
Lefevere, Lavenu… la fin d’une époque
Les départs de Patrick Lefevere (en photo) et Vincent Lavenu, deux dinosaures des pelotons, signe peut-être le début de la fin. La fin d’une époque « où nous étions des petits épiciers » pour reprendre les propos de Marc Madiot dans L’Equipe.
S’il n’est pas illogique de considérer que l’emblématique manager belge de Soudal Quick-Step avait fait son temps, à 70 ans et après une carrière de 55 ans dans le vélo, dont 43 ans comme directeur d’équipes, le licenciement du fondateur de l’actuelle formation Decathlon AG2R La Mondiale (sous le nom de Chazal-Vanille et Mûre-Vetta, basée en Savoie) nous parait plus symptomatique d’un vrai changement de paradigme dans le peloton.
À lireDans 15 jour le Giro : quelle sortie pour Romain Bardet ?Poussé vers la sortie depuis un an et l’arrivée d’un nouvel investisseur, le groupe Decathlon, leBriançonnais de 69 ans aurait payé sa mauvaise gestion dans la suspension de Franck Bonnamour par l’UCI pour une suspicion de dopage.
Au-delà d’une procédure qui finira devant les prud’hommes, Lavenu avait déjà perdu beaucoup d’influence au sein de sa formation depuis qu’il avait été contraint, en 2022, de vendre la structure qu’il avait fondée en 1992. Rétrogradé au poste de manager sportif, remplacé par Dominique Serieys, il savait que ses jours étaient comptés.
Tant pis pour la dimension humaine du peloton tant mieux pour le projet Ma Petite Entreprise que l’ancien champion de France de l’américaine 1984 a rejoint. Sûrement pour prouver qu’il y a encore de la place pour une autre forme de management dans le cyclisme moderne.
Grâce à la présence de Madiot, Vasseur, Bernaudeau ou Hubert, même si l’espèce est en voie de disparition, l’extinction des dinosaures, ces anciens coureurs passionnés qui n’ont pas eu peur de mettre les mains dans le cambouis pour fonder leur équipe et se battre pour elle, n’est pas pour tout de suite.
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