Numéro un sur le foot

Philippe Raimbaud (l’agent historique du peloton) : « Il faut se mettre autour d’une table pour éviter que ça dégénère ! »

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

Au moment de quitter ses fonctions d’agent au sein de sa société, R’Sports Conseil, celui qui a longtemps accompagné Guillaume Martin, Pierre Rolland, Bryan Coquard ou Kévin Vauquelin, mais aussi Evita Muzic, été vice-président de la Ligue nationale de cyclisme et président de la première association internationale des agents (WARA) refuse de céder à la sinistrose ambiante sur l’évolution d’un milieu qu’il connait comme sa poche. 

Pensez-vous comme beaucoup dans le peloton que le transfert de Maxim Val Gils chez RB Bora Hansgrohe soit le symptôme des maux présents et futurs d’un cyclisme pro en voie de « footballisation » ? 

C’est surtout une évolution qui n’est pas spécifique au cyclisme. J’ai connu une époque où la plupart des gens restaient toute leur carrière dans la même entreprise. Aujourd’hui, du cadre à l’ouvrier, tout le monde bouge en permanence et sans forcément y être contraint. De là à parler de « footballisation »… Je me méfie des caricatures et des synthèses un peu trop rapides. Imiter le football, ça voudrait dire avoir des clubs qui cumulent un milliard de déficit, des stades aux tribunes vides en raison de la radicalisation des supporters, des joueurs qui appartiennent à des fonds d’investissement, des clubs en multi-propriétés et certains agents aux profils d’escrocs patentés. On n’en est pas là. 

Le fait est que la multiplication des agents, leur influence grandissante, inquiète certains directeurs sportifs !

À lireDans 8 jours Paris-Roubaix, la course crainte, détestée, fantasmée…

Je connais la rengaine : depuis qu’il y a des agents… etc, etc ! Or, nous sommes là pour défendre les intérêts de coureurs qui ont longtemps été démunis face à leur patron. Désormais, ils peuvent s’appuyer sur les conseils de pros. Les mêmes qui s’émeuvent de cette soi-disant dérive sont les premiers à appeler les agents pour tester un jeune joueur qui est encore sous contrat pour plusieurs années. Donc ce ne sont pas toujours les agents qui prennent le téléphone. Il faut juste relativiser tout ça et rester vigilant car peu d’acteurs du vélo ; coureurs, responsables d’équipes, directeurs sportifs, organisateurs, sponsors et agents souhaitent que ça parte en vrille. 

« Les multinationales dont vous parlez ne sont pas toujours celles qui ont les comportements les plus répréhensibles »

On ne peut tout de même pas nier que l’arrivée de nouveaux investisseurs aux moyens parfois illimités est en train de profondément modifier les mœurs et les rapports de force au sein du peloton ?

Les multinationales dont vous parlez ne sont pas toujours celles qui ont les comportements les plus répréhensibles. Tout le monde s’émeut autour d’une ou deux affaires, dont celle qui concerne Maxim Van Gils, mais c’est oublier qu’il y a 1400 pros dans le monde qui continuent à fonctionner correctement. Je renvoie ceux qui comparent avec le foot où il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait un coup de Trafalgar. Il ne faut pas crier avant d’avoir mal. Tiens, ça vous ferait un bon titre ça (rires) ! 

Certains ont quand même déjà mal ! 

À lire30 secteurs pavés sur 259 km de course, bienvenue dans l’enfer de Paris-Roubaix

Ils ont mal car nous avons un gros problème de déséquilibre entre des écuries à 60 M€ de budget sans charge et d’autres à 20 M€ avec charges. La vraie question est celle-là : va-t-on pouvoir préserver le spectacle nécessaire à notre sport avec cette concurrence déloyale ? 

Vous n’êtes pas inquiet que les contrats puissent ne plus être respectés ?

Les contrats signifient quelque chose. On est attentifs aux conséquences du jugement de la cour européenne de justice concernant le dossier Diarra (qui a déclaré que certaines règles de la FIFA sur les transferts de joueurs enfreignaient le droit de l’Union Européenne : ndlr). On sait aussi qu’une fédération est habilitée à organiser son sport en mettant en place des règles de régulation même si elle ne doit pas oublier la prééminence de la loi européenne. Dans un système de libre circulation du travailleur, tout ce qui peut être perçu comme une entrave est un problème. Mais pour le moment, ce n’est pas encore la règle, il peut y avoir des exceptions. Tous les acteurs doivent se mettre autour d’une table pour dialoguer et éviter que ça dégénère car la majorité n’a pas envie de ça. 

« Avant d’engager un coureur, jamais aucun patron d’équipe ne m’a demandé la preuve que j’avais bien un contrat avec lui.

À lireDans 15 jour le Giro : quelle sortie pour Romain Bardet ?

Pour vous, les agents, n’auriez-vous pas tout à gagner à imaginer de futures indemnités de transferts ?

C’est un faux problème. L’économie du vélo est ce qu’elle est et tout le monde a intérêt à ce qu’elle progresse, y compris les agents qui en tireront plus de bénéfices que sur les rares gros transferts qui pourraient générer de fortes indemnités. On ne sera pas plus riche si on installe des indemnités de transferts qui devront forcément être inclues dans le budget global des équipes. Il faut arrêter de s’exciter et de caricaturer la situation. 

Tous les agents sont-ils aussi bienveillants que vous ?

Comme dans tous les métiers, il y en a de bons et de mauvais. Certains ont des comportements douteux… parfois en parfaite collaboration avec des patrons d’équipe. Regardez les jugements rendus par le tribunal de Marseille dans l’affaire des commissions dans le football ; les agents n’ont pas été les seuls condamnés, certains présidents ou dirigeants de clubs l’ont aussi été (Damien Comolli, le président du TFC, et Emmanuel Desplats, ex-dg de Dijon ; ndlr). Dans le cyclisme, avant d’engager un coureur, jamais aucun patron d’équipe ne m’a demandé la preuve que j’avais bien un contrat avec lui. Dans le peloton féminin, un « conseiller » a exercé en toute illégalité sans jamais avoir été repoussé par les responsables des équipes. 

« Quand il va voir le montant des salaires des cyclistes, Mendes va repartir aussi vite qu’il est venu. »

Même le roi des agents des footballeurs, Jorge Mendes (Cristiano Ronaldo, Di Maria, James Rodrigues, Barcola, Zaire Emery, Bermardo Silva…) s’intéresse aux coureurs ! 

À lireTour de France Femmes : Squiban exceptionnel, au tour de Ferrand-Prévot

Et ça a fait tout un foin ! Mais quand il va voir le montant des salaires des cyclistes, ce qu’il a certainement déjà fait, il va repartir aussi vite qu’il est venu.

Pour conclure, que pensez-vous des contrats de plus en plus longs signés par de plus en plus de coureurs ?

Quand on parle de contrats « à vie », notamment pour Van Aert, je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne mets pas en doute la sincérité de sa relation avec Visma Lease a Bike, mais ce type de contrat, qu’on peut imaginer être un CDI, ne figure pas pour un coureur dans les règles de l’UCI. C’est plus de la communication qu’autre chose car juridiquement, il est même plus facile de casser un CDI qu’un CDD.



Publiez un commentaire

Publier un commentaire