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Il y a un an et demi, Sonia Souid défrayait la chronique en dénonçant le comportement « sexiste » de Noël Le Graët à son égard. Douze ans après les faits, cette femme qui approche la quarantaine est devenue une « agente » de joueurs respectée, qui raconte son parcours avec émotion et sincérité.
15 ans après avoir obtenu sa licence d’agent, Sonia Souid publie son autobiographie, dont le titre, Touche pas à mon QI !, en dit déjà beaucoup. Celle qui a été la première à réaliser un transfert payant dans le football féminin, revient sur les portes qui se sont fermées parce qu’elle était une femme (Miss Auvergne en 2003), mais aussi ses réussites, qui font sa fierté aujourd’hui. Une longue et difficile escalade vers son épanouissement, avec des embûches qui en auraient mis plus d’une KO, comme le jour où Noël Le Graët, au prétexte d’écouter ses idées pour développer le football féminin, cherche à la mettre dans son lit. Sa phrase préférée, tirée d’une série : « Je ne suis pas deux seins et un cul ».
Vous approchez les 40 ans, c’est le bon moment pour avoir du recul sur tous ces épisodes de votre vie, les difficultés que vous avez rencontré ?
J’ai pris du temps avant d’écrire ce livre. Ça a d’ailleurs été douloureux de me replonger dans certains souvenirs. Pour pouvoir réussir dans ce monde très masculin, il a fallu que j’avale beaucoup de couleuvres… J’avais un peu occulté tout ça. Ces souvenirs, je les ai mis dans une case à part de ma mémoire. Pour avancer, j’étais obligée de faire ça. Comme je l’explique dans le livre, c’est quand j’ai lu cet article de Sofoot, en septembre 2022, que ça ma replongé dans ce que j’avais vécu et que j’avais mis de côté pour pouvoir continuer à avancer. Ce livre a été écrit dans la douleur, j’ai dû me replonger dans ces évènements, avec tous les détails, pour le bien du livre et des messages que je veux faire passer. A partir du moment où je décidais d’écrire un livre, il fallait qu’il soit le plus authentique. J’y ai mis mes tripes. Aujourd’hui j’en suis fière. Même si cela a été douloureux, j’en ressort grandi.
« Noël Le Graët aurait pu mettre un terme à ma carrière »
Le paradoxe dans votre récit, c’est qu’on sent bien aussi que le fait d’être une jeune femme, ancienne miss Auvergne, vous permet d’approcher des gens importants, ce qui donne souvent lieu à des grosses désillusions…
C’est ce qui est aussi notable. Le fait d’être une femme, d’avoir été une ancienne miss… Je sis très bien que si c’était un homme qui avait envoyé ce mail à Noël Le Graët (1), peut-être qu’il n’aurait jamais répondu. Ça c’est l’avantage, il faut être honnête. Comme il y a très peu de femmes dans le milieu, il m’identifie plus vite. Mais après ?
À lireLes salaires 2025 des stars de la Ligue 1, club par clubVous évoquez longuement ce triste épisode de votre rencontre avec le président de la FFF, qui fait semblant de s’intéresser à vos projets, pour finalement vous draguer… Quel regard portez-vous sur cet évènement plus de 10 ans après ?
Finalement, c’est une torture. J’aurais préféré prendre un énième vent et basta ! Faire miroiter des choses, donner de l’espoir à quelqu’un pour ensuite, réduire à néant tout mon travail, pour me réduire à deux seins et un cul. Alors que j’ai un cerveau. C’est ce qui a été très difficile à vitre, ça m’a blessé au plus profond de moi-même. A ce moment-là, il y a une grosse remise en question. J’ai failli tout arrêter. Je repense à Marianne Mako qui a subit elle aussi tellement de brimades, qui a été la pionnière, la première à s’imposer dans ce milieu, j’ai beaucoup d’admiration pour elle (en 1987, Marianne Mako intègre l’équipe de Telefoot et devient la première journaliste femme à s’imposer à la télévision, dans une émission sur le foot. Elle est décédée d’un cancer en septembre 2018. NDLR). Mais à un moment donné, elle en a eu marre et elle a fini par bifurquer vers autre chose… Cela aurait pu m’arriver. Noël Le Graët aurait pu mettre un terme à ma carrière. Si je n’avais pas été bien entourée, par ma famille, des amis. Il était tellement important à cette époque dans le football français. Il aurait pu mettre un point final à ma carrière. Je me suis demandée ce que j’aurais pu faire de mieux pour faire passer mes idées, j’étais dégoûtée !
Au delà de votre combat personnelle, il y a une véritable solidarité féminine qui vous anime dans tout ce que vous faites.
La cause féminine est très importante pour moi. Et le football féminin en fait partie bien sûr. Dès que j’ai eu mon diplôme d’agent de joueur, j’ai eu ça à l’esprit et j’ai voulu aider. A l’époque, il n’y avait pas d’agent dans le football féminin, parce qu’il n’y avait rien à négocier. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Ça a beaucoup évolué. A l’époque, j’ai été la première à négocier un transfert payant dans le football féminin (il s’agissait de Marie-Laure Delie, passée de Montpellier au PSG, ndlr).
« Est-ce que vous trouvez logique que Jean-Michel Aulas soit le vice-président de Philippe Diallo ? »
Et 15 ans après, comment vous sentez-vous dans le milieu très masculin des agents ?
À lireAvant Auxerre, De Zerbi reconnait que l’OM est en dangerAujourd’hui, je me sens respectée. C’est plus que ça, on me craint. Au début, les dirigeants pouvaient me faire des compliments, me dire que j’étais élégante, aujourd’hui, on hésite à me dire que j’ai bonne mine (rire). Au delà de ça, je sens que je suis respectée pour mes compétences, parce que j’ai fait mes preuves.
Ça n’empêche pas des incidents comme ce qui s’est passé en Australie lors de la Coupe du Monde féminine… Philippe Diallo vous humilie devant les internationales, qui sont aussi pour beaucoup vos clientes…
Je n’ai aucune relation avec la fédération, en dehors d’enregistrer mes transferts. La seule relation que j’ai eu avec le président de la fédération, c’est cette fois-là, lors du repas qui suit l’élimination de la France contre l’Australie, lors de la Coupe du Monde (2023, NDLR), quand il m’a dit que je n’étais pas la bienvenue, en référence à mon témoignage contre Noël Le Graët.
Ce qui est très surprenant, c’est que Philippe Diallo n’est pas très ami avec Noël Le Graët…
C’est pour ça que je n’ai pas compris son intervention. Je pensais qu’il me reprochait d’être à ce repas, au côté des joueuses (Sonia était invitée à leur table par les soeurs Cascarino, qui sont ses clientes, NDLR), en tant qu’agent, mais il m’a dit : « Je ne crois pas que M. Le Graët apprécierait que vous soyez-là ». Je me suis dit : il n’est plus là, mais il continue à exercer son influence. La question est de savoir si Philippe Diallo se serait comporté comme ça si j’avais été un homme et si j’étais l’agent de Kylian Mbappé ou Hugo Lloris ? Pour être-là il y a 15 ans de travail derrière… mais, devant plusieurs de mes clientes, ce jour-là, il a voulu m’écraser comme si j’étais un insecte insignifiant. C’était de la méchanceté gratuite.
À lireTransferts : un nouveau gros coup pour l’OM aux Pays-Bas ?Aujourd’hui encore, le fait que vous ayez dénoncé les pratiques de Noël Le Graët et en quelque sorte contribué à sa chute, vous colle à la peau…
Ce n’est pas à cause de moi que Noël Le Graët est tombé. Il s’est bien abimé tout seul. C’est une succession d’évènements. Je suis la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mon intervention (entretien sur BFM TV et dans le quotidien l’Equipe, ndlr), elle était prévue pour le lundi et sa sortie lunaire sur Zidane, il l’a fait le dimanche soir.
A ce moment-là, c’était très important pour vous de témoigner…
Quand on a de très grandes responsabilités, il faut savoir être exemplaire. Mais il ne l’a pas été. Justement, parce qu’il était tellement puissant, avec un égo énorme. Pour lui, il était le roi et la fédération son royaume. D’ailleurs, s’il a nommé Philippe Diallo vice-président et pas Jean-Michel Aulas, c’est parce que, en tant que roi, il voulait décider de son héritier. Il ne voulait surtout pas de Jean-Michel Aulas comme hériter, il voulait Marc Keller. Sauf que cela ne s’est pas passé comme prévu.
Philippe Diallo n’est pas l’homme de la situation selon vous ?
Je vais vous retourner la question : est-ce que vous trouvez logique que Jean-Michel Aulas soit le vice-président de Philippe Diallo ? Noël Le Graët avait cette légitimité, mais il a tout gâché par ses débordements. J’espère quand même que son mandat sera brillant, qu’il va faire de belles choses. Le foot français, le foot féminin… importent plus que ma situation personnelle.
À lireTransferts : Endrick (Real Madrid) à l’OL ? Leverkusen dit non !Aujourd’hui, vous êtes épanouie ou vous avez encore des barrières qui se ferment parce que vous êtes une femme ?
Je me sens épanouie, que ce soit dans ma vie privée ou dans mas vie professionnelle. Accomplie. Ces 5 dernières années ont été très intenses parce que je suis devenue maman deux fois. Mais, comme je le dis dans le livre, sans jamais avoir à choisir entre ma vie privée et mon travail. J’ai allaité mes enfants, je les ai tout le temps emmené avec moi. Ce livre, c’est un accomplissement.
Vous pensez avoir votre responsabilité dans l’évolution de la cause féminine ?
J’assume le fait d’être une pionnière et je sais que j’ai des responsabilité par rapport à ça.
(1) En août 2013, Sonia Souid adresse un mail à Noël Le Graët pour lui soumettre ses idées pour développer le football féminin. Après un premier entretien dans un café parisien, le président de la FFF la rappelle pour lui proposer un deuxième rendez-vous, chez lui, en compagnie de Brigitte Henriques, Secrétaire générale de la fédération, mais pas à son bureau, à son domicile parisien. Noël Le Graët la reçoit avec des coupes de champagne, avec des intentions très subjectives, sans s’intéresser à ses idées, alors que Brigitte Henriques ne viendra jamais.
À lireFranck Haise et l’OGC Nice font beaucoup de mal au foot françaisÀ lire : Sonia Souid, Touche pas à mon QI !, 2025, Editions Solar, 256 pages, 19,90€.
