C’est à l’ombre protectrice de Rory Kockott et sous la pression de Christophe Urios qu’Antoine a fait ses grands débuts en Top 14 dans un club qui sort de deux finales de championnat et qu’il va laisser à l’aube d’une troisième. De ses débuts à moins de 18 ans, à son départ pour Toulouse, ses trois premières saisons l’ont mis sur orbite.
Ne cherchez pas. Dans les habituelles rubriques transferts de début de saison, vous ne trouverez pas la trace d’Antoine Dupont au rayon Castres Olympique saison 2014/2015. Portés par l’emblématique Rory Kockott, les champions de France 2013, finalistes en 2014, se séparent pourtant de sa doublure, le Gallois Mike Philips, sans imaginer que l’arrivée d’un jeune transfuge auscitain de 17 ans est de nature à venir troubler la hiérarchie des n°9, dominée par l’international français d’origine sud-africaine, et son homologue international espagnol Cédric Garcia.
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Et ce d’autant que Dupont arrive dans le Tarn avec une casquette de n°10 largement portée pendant toutes ses années de formation à Auch et pour l’heure cantonnée aux espoirs. « A la base, le poste de numéro 9 ne m’a jamais fait rêver, confiait-il à nos confrères de Midi Olympique en 2019. Je n’y jouais pas en club. Je n’y ai commencé que dans les sélections régionales et nationales, en moins de 17 ans et moins de 18 ans. Ce n’est que lorsque je suis parti à Castres que j’ai compris que si j’espérais jouer au niveau professionnel, ce serait à la mêlée. »
Darricarrère : « il fallait qu’il se trompe… »
Dans un effectif repris rapidement par Christophe Urios, le cas Dupont va vite faire débat. Si ses débuts sont prometteurs et son talent unanimement reconnu, en Coupe d’Europe face au Leinster puis aux Harlequins face à qui il marque son premier essai, alors qu’il n’a pas encore 18 ans et profite d’une dérogation exceptionnelle, ils ne suffisent pas forcément pour convaincre complètement Urios, arrivé aux manettes en 2015, de le préférer durablement à Kockott.
Face à son illustre concurrent, lui est reproché son manque d’impact psychologique sur la mêlée, sa tendance à jouer trop seul, à ne pas suffisamment intégrer les schémas de jeu du coach. Encore timide, trop discret pour s’imposer vraiment, sans être problématiques ses débuts sont un peu compliqués.
Castres a raté le coche avec Dupont
Serge Milhas, alors entraîneur des avants castrais, qui n’a pas résisté au style Urios, nous dit à demi-mot que Castres n’a pas su garder Antoine, le valoriser comme son talent naissant le méritait. Son relatif faible temps de jeu lors des deux premières saisons en témoigne. Entre la volonté de le préserver, celle de le contraindre à adapter et à faire évolue son jeu, David Daricarrère, l’entraîneur des arrières, tranche :
« Le but n’était pas de le préserver, ni de le protéger, plutôt de l’accompagner. Dans cette logique, il était évident qu’il fallait lui permettre de prendre le rythme d’un Top 14 qu’il ne connaissait pas. Cette montée en puissance a été régulière, mais elle est aussi passée par des erreurs. A cet âge, le contraire aurait été étonnant. Il s’est parfois trompé et c’est d’ailleurs pour ça qu’il a progressé aussi vite. Il fallait qu’il se trompe… »
Il l’a évidemment fait, mais moins que les autres et pas suffisamment pour remettre en cause son inexorable montée en puissance. « On a vite vu qu’il avait quelque chose de plus que les autres de son âge, révèle Rémi Talès, le demi d’ouverture castrais de cette époque. Dès le premier entraînement, j’avais dit à Dari (David Darricarrère) : c’est quoi ce phénomène ? »
En enchaînant les actions individuelles pendant les séances d’entrainement, le doute n’était pas permis. « Physiquement, je savais qu’il était capable de renverser n’importe quel avant, qu’il répondrait présent dans tous les duels, que son talent ferait vite l’unanimité », précise Serge Milhas, celui qui l’a amené à Castres alors que de nombreux autres clubs s’intéressaient à lui.
Talès : « c’est quoi ce phénomène ? »
C’est donc très progressivement, sans faire de vagues, que l’enfant de Castelnau-Magnoac a imposé sa marque derrière la mêlée castraise, et au-delà dans un Top 14 qui a rapidement appris à le connaitre. « Il était bluffant de maîtrise émotionnelle, insiste Talès. La pression glissait sur lui et il donnait l’impression de ne jamais douter, d’être sûr de lui et de son rugby. » Avec son pote Anthony Jelonch au soutien, arrivé en même temps de la capitale gersoise, c’est avec le logo CO qu’il devient international, pour deux entrées en jeu dans le Tournoi puis la tournée en Afrique du Sud.
Dans ce contexte, sa troisième et dernière saison dans le Tarn ne pouvait qu’être sa dernière. En reconnaissant qu’Antoine avait appris de ses erreurs en se hissant au niveau d’exigence requis, Joe El Abd, autre membre du staff castrais, adoubait (dans le Midol en novembre 2016) indirectement son départ vers le grand large : « Depuis quelques mois, sa progression est étonnante. On connaissait ses qualités individuelles, mais il est également en train de s’améliorer sur sa capacité à faire jouer les autres. Il doit continuer sur cette voie. »
Urios : « un taureau furieux, costaud comme un âne »
Peu avant son vingtième anniversaire, sa prestation XXL face à l’UBB en Top 14 (33-27), avec un essai consécutif à un exploit personnel avait enflammé les travées du stade Pierre-Antoine et suscité ce commentaire de la part de Christophe Urios :
« C’est un taureau furieux, qui te prend les ballons, te chope les espaces, raffute, pivote, costaud comme un âne, et qui marque. A côté de ça, à la fin du match, dans notre zone critique, il s’affole pour rien, part tout seul à l’abordage et perd le ballon. C’est pour ça que je dis attention. C’est un gosse qui a du potentiel, mais il n’a que 20 ans. Il a encore besoin de progresser. » Quelques semaines plus tard, le gosse s’engageait à Toulouse pour devenir Super Dupont.
Tom Boissy