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Afrique : Biniam Girmay est-il l’arbre qui cache la forêt ?

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Meilleur sprinteur du dernier Tour après avoir remporté trois étapes, premier noir africain présent sur le palmarès de la Grande Boucle, Biniam Girmay est l’incontestable porte-drapeau d’un cyclisme qui organisera pour la première fois les championnats du monde en 2025. De quoi éveiller les cyclistes du continent noir ? Rien n’est moins sûr.

L’éclosion historique d’un grand coureur en 2024, la perspective d’une épreuve de légende en 2025, il n’en faut pas plus pour mettre le cyclisme africain sur le devant de la scène comme il ne l’a jamais été. Pour autant, dix ans après Daniel Teklehaimanot, qui avait ouvert le bal chez Cofidis en étant le premier coureur africain à porter un maillot distinctif, à pois, sur un grand Tour, le Tour de France, quels peuvent être les rêves de ses successeurs ?

L’absence de formation professionnelle depuis la disparition des Sud-Africains de MTN Qhubeka en 2015, l’arrêt de plusieurs épreuves sur le continent, à l’instar de la plus célèbre d’entre elles, la Tropicale Amissa Bongo au Gabon en 2023, réduisent forcément les possibilités de faire carrière pour les profils les plus doués, obligés de se tourner vers l’UCI et l’équipe de développement du CMC (Centre Mondiale du Cyclisme) dont est notamment issu l’Erythréen de chez Intermarché-Wanty.

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L’Afrique peut-elle s’inscrire dans la durée ?

Plus que de constituer un exemple, le parcours de Girmay symboliserait plutôt les limites d’un système qui n’a amené que trois coureurs sur le Tour en 2024 (Girmay et les deux Sud-Africains, Meintjes et Gibbons) quand ils étaient six en 2015.

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Pour inverser la tendance et tenter d’exploiter vraiment un potentiel qui ne demande qu’à s’exprimer, dans la lignée des Mondiaux de Kigali et en s’appuyant sur le centre de développement continental du CMC, basé à Paarl, en Afrique du Sud, l’UCI a lancé en 2022 un programme intitulé « Projet Afrique 2025 ».

En 2024, pour la deuxième année consécutive, 18 cyclistes parmi les plus prometteurs du continent ont pu participer au Tour du Rwanda ou au Tour d’Algérie avant d’effectuer plusieurs stages en Europe, quelques critériums et courses UCI. Parmi les encadrants, l’ancien pro éthiopien, Tsgabu Grmay est de retour dans une structure où il a été formé avant 12 années de professionnalisme, de MTN Qhubeka à Jayco AlUla.

18 cyclistes en quête de notoriété

« Ce programme est une vraie opportunité pour tous les jeunes africains, disait-il sur le site officiel de l’UCI. Avec les victoires de Girmay sur le Tour de France qui ont eu un grand écho en Erythrée, ça peut changer beaucoup de choses pour le cyclisme africain. Les enfants vont regarder les championnats du monde à Kigali avec, pour la première fois, le rêve de pouvoir faire comme eux. »

Même si le plus difficile parcours de l’histoire des Mondiaux (près de 5500 m de dénivelé) ne devrait pas permettre au dernier maillot vert du Tour de jouer la gagne, sa seule présence « marque un tournant dans le développement du cyclisme africain parce que beaucoup de jeunes ont pris conscience que c’était possible.»

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Sans être une garantie absolue, la réussite de Girmay crédibilise le circuit préférentiel du jeune cycliste africain désireux de faire carrière. Il débute au camp d’entraînement de Paarl (Afrique du Sud), sous les yeux de l’ancien pistard, Jean-Pierre Van Zyl, directeur de l’antenne locale du CMC, et se poursuit pour les meilleurs U23 d’entre eux à Aigle, en Suisse, pour participer aux courses internationales, avec le Tour de l’Avenir comme premier step à passer.

Welay Berhe le symbole de la performance

Au milieu des six autres coureurs d’origine africaine qui débuteront la saison en World Tour, c’est ainsi que s’est révélé le grimpeur éthiopien de 22 ans, Welay Berhe aujourd’hui sous contrat avec Jayco AlUla jusqu’en 2025… mais qui n’a pas encore le profil pour faire mieux que la 7ème place sur Tour de France obtenue par Louis Meintjes en 2022, le meilleur classement jamais obtenu sur un grand Tour. En 2017, dans Le Monde, Jean-Pierre Van Zyl était plus optimiste qui prévoyait « avant 2022 un coureur noir africain sur le podium d’un grand Tour. »

Cinq ans après, aucun n’a encore l’envergure pour prétendre être à jamais le premier. Statistiquement, l’heureux élu a de grandes chances de sortir du plus grand vivier de talents africains, l’Erythrée.

En 2025, sur les sept coureurs africains de World Tour, quatre en étaient issus. Tout sauf un hasard dans un pays de 6 millions d’habitants où, héritage de la colonisation italienne, le vélo est roi, bien davantage qu’au Rwanda, en Ethiopie ou au Kenya (pays d’origine de Chris Froome), les trois autres pays émergents derrière l’Afrique du Sud.

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A l’Erythrée désormais de jouer le rôle de locomotive comme a pu le jouer la Colombie dans les années 80 en Amérique du Sud dans le sillage de Lucho Herrera… sans parvenir pour autant à entraîner d’autres pays derrière elle. 

L’Eryrthrée a les talents, le Rwanda a l’argent… quelle locomotive pour l’Afrique ?

A moins que le Rwanda, plus puissant économiquement, ne prenne le leadership après les Mondiaux de Kigali. Déjà hôte du Tour du Rwanda, rendez-vous incontournable du calendrier international en début de saison, le pays possède de meilleures infrastructures.

Israel Tech y a ouvert un centre d’entraînement et la campagne de communication “Visit Rwanda”, visible sur les maillots du PSG et d’Arsenal, amène déjà touristes et investissements étrangers. Le seul problème pour le moment est l’absence de coureur rwandais dans le peloton professionnel.

Il y a un an, dans Le Monde, l’ancien champion national sur route, Hategeka Gasore (37 ans) pointait les limites de la stratégie de développement de son pays : « Ils font tout pour accueillir les championnats du monde, ce sera une fête évidemment, mais derrière, rien n’est fait pour les coureurs au quotidien. Ils ne paient parfois plus les salaires et ne soutiennent plus les jeunes talents. »

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Comme le Qatar avec le football, le cyclisme est utilisé comme un outil de “soft-power” par le régime autoritaire du président Paul Kagame, réélu en juillet. Dans les pas de l’ancien pro américain Jonathan Boyer, qui avait ouvert un centre d’entraînement à Musanze en 2014 (“Africa Rising”), la fédération rwandaise a recruté un entraîneur français, David Louvet, ancien responsable du Pôle espoir de Caen, comme nouveau sélectionneur de l’équipe nationale.

Le cyclisme au coeur de la politique africaine

Après avoir œuvré au Soudan, missionné par la Fédération Française en 2018, le Normand est reparti faire un tour en Afrique en 2022, dans l’optique de Kigali 2025. Son premier diagnostic est sans ambiguïté :

« Il y a tout à faire, Ce sera long, nous connaitrons des moments difficiles, mais je suis venu ici pour réussir. » Et d’espérer accompagner ses meilleurs éléments vers des équipes françaises de DN2 ou DN1 « pour apprendre à courir différemment et bénéficier d’un vrai programme de courses. Nous avons des profils très prometteurs, ce qui nous manque, c’est la structuration.»

Entre les talents sportifs de l’Erythrée (Girmay) et les moyens financiers du Rwanda (Mondiaux 2025), l’Afrique se cherche encore un avenir.

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