mardi 19 mars 2024

Alexandre Pasteur : “Pogacar peut faire un carnage sur le Tour !”

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Arnaud Bertrande
Arnaud Bertrande
Rédacteur en chef — Pole Sport Lafont presse

Du 1er au 23 juillet, le Franc-comtois commentera son 12ème Tour de France. Après ses années Eurosport (2011-2016), la voix de France Télévisions depuis 2017 voit Alaphilippe en jaune dans les Pyrénées et Gaudu sur le podium à Paris.

A quels temps forts vous attendez-vous pour cette édition du Tour 2023 ?

Les Pyrénées arrivent dès les premiers jours de course, c’est du jamais vu dans l’histoire récente du Tour. Les 3400 mètres de dénivelé de la 1ère étape sont l’occasion rêvée pour Alaphilippe, après deux années de galère, de prendre le maillot jaune. Les Pyrénées vont décanter très très vite le classement général avant le Puy de Dôme évidemment, la traversée des Alpes qui va être difficile, avec les étapes en Haute-Savoie, le Grand Colombier, Morzine, Saint-Gervais, le contre-le-montre, Courchevel avec le Col de la Loze, et une concentration de difficultés incroyables en six jours. ASO programme sa course pour qu’elle puisse se jouer quasiment tous les jours, sans aucune étape anodine qui ne consacre quasiment que des champions. La tendance s’est confirmée l’an passé, il y a de moins en moins d’équipiers sur les podiums.

De quoi assurer le spectacle cette année encore ?

Au-delà du parcours, ce sont toujours les coureurs qui font la course. Et avec la génération actuelle, van Aert, van der Poel, Pogacar, Alaphilippe… on ne va pas s’ennuyer, au contraire d’un Giro que j’ai trouvé très fade et peu passionnant. Vu le casting du Tour, je ne m’attends pas à une course aussi cadenassée.

Sur le Giro, Pinot a brillé, l’espérez-vous sur le Tour ?

C’est la grande question… Physiquement, les enchaînements Giro-Tour sont toujours très difficiles à gérer. S’il fait le Tour, il faudra qu’il se mette dans la peau d’un équipier de Gaudu. L’an dernier, je trouve qu’il n’a pas donné assez de coups de pédales pour son leader en prenant, sans y parvenir, les échappées pour jouer les victoires d’étapes. Pour sa communauté, ses fans, très nombreux en raison de sa popularité, ce serait génial évidemment mais, sportivement, les enjeux sont tellement énormes pour Groupama-FDJ, si c’est pour jouer sa carte en solo, sans apporter une plus-value à Gaudu…

« Les 3400 mètres de dénivelé de la 1ère étape sont l’occasion rêvée pour Alaphilippe, après deux années de galère, de prendre le maillot jaune »

Gaudu a-t-il besoin de lui pour monter sur le podium ?

Je n’en suis pas sûr, ou alors à la condition qu’il soit à 100% à son service. Un Valentin Madouas sera plus utile à Gaudu.

Comme Thibaut Pinot, vous êtes Franc-comtois, quel regard portez-vous sur sa carrière ?

Sa carrière est belle même si j’ai quelques regrets le concernant. Je regrette notamment qu’il ait snobé certaines courses qui lui correspondaient comme La Flèche Wallonne ou Liège-Bastogne-Liège. Il avait en tête son calendrier préférentiel, italien, plutôt que le Dauphiné ou Paris-Nice. Je réagis aussi en tant que commentateur de France Télévisions. J’aurais bien aimé l’avoir sur ces courses-là.

N’a-t-il pas trop privilégié le Tour, lui comme beaucoup de Français ?

Certainement… et il a fait de grandes choses sur le Tour. Mais, même si on y a tous cru en 2019 – à la sortie des Pyrénées, Jaja me dit : “Il va gagner le Tour !” -, je ne pense pas qu’il était fait pour le gagner. Mais on y a cru et, en 38 ans, c’est la seule fois où on s’est dit qu’un Français pouvait gagner. Bardet termine à 4 minutes de Froome en 2016 et en 2017 3ème mais sans jamais porter le maillot jaune une journée. Voeckler en 2011 aurait peut-être pu un peu comme Alaphilippe en 2019… Sur l’étape de Tignes, si on ne gèle pas les temps au sommet de l’Iseran, Julian est toujours en jaune le samedi et on ne sait pas ce qui peut se passer. ASO a fait quelque chose qui ne se fait pas d’habitude, à savoir prendre les temps et les écarts au sommet de l’Iseran où il n’y a pas de cellule de chronométrage. Ils ont fait ça en accord avec les commissaires de l’UCI, mais légalement Julian aurait pu se retourner contre eux. Il ne l’a pas fait car il est fair-play et parce que l’Iseran a finalement mis tout le monde à sa place.

Gaudu a joué les yeux dans les yeux avec Pogacar et Vingegaard sur Paris-Nice. De quoi rêver mieux qu’un simple podium ?

J’ai du mal à y croire. Après Paris-Nice, il y a aussi eu le Tour du Pays basque où David n’a pas été au même niveau. Il faudrait des concours de circonstances exceptionnels car, à la pédale, il est moins fort que les deux monstres qui ont dominé le Tour l’an dernier. Un podium, oui, une victoire, je n’ose pas y croire. Je vois un podium Pogacar-Vingegaard-Gaudu, les mêmes acteurs que l’an dernier. Van Aert n’est pas programmé cette année pour jouer le général. Il sera dans un rôle d’animateur… et c’est aussi comme ça qu’on l’adore.

« Si Pogacar a la même forme qu’au printemps, ça peut être un carnage »

Les spectateurs adorent le maillot à pois, quel autre coureur français que Gaudu peut espérer l’amener à Paris ?

Le maillot à pois devient un maillot de circonstance. Qui se souvient que l’an dernier Simon Geschke l’a perdu deux jours avant les Champs ? Ce maillot a perdu de son éclat car les leaders s’en désintéressent. Ça devient un maillot de seconde zone au profit du maillot vert qui, lui, au contraire, a gagné en crédit avec des champions comme Sagan, van Aert, Bennett… Il fait l’objet d’une baston tous les jours. Peut-être que cette année, vue la configuration de la première semaine, sera-t-il un vrai enjeu avec des points à aller chercher dès les premières étapes.

Au final, le Tour parvient toujours à surprendre !

Oui, il se réinvente en permanence, c’est génial… Et on peut même déjà se projeter sur le Tour 2024 avec les trois premières étapes en Italie qui s’annoncent géniales un peu sur le même modèle que le Pays basque cette année et un dernier contre-la-montre décisif sur la dernière étape sur le modèle de 1989.

Cette année, la blessure de Pogacar peut-elle rebattre les cartes ?

Au mois de mai, on a fait des demandes auprès de UAE pour le rencontrer, mais on s’est fait renvoyer dans nos 22. Nicolas (Geay) devait aller le voir au Tour de Slovénie pour sa course de rentrée, mais sans accès direct. Sur sa forme du printemps, ça peut être un carnage. Avec des coureurs de sa trempe, Vingegaard, van der Poel, van Aert et l’an prochain Evenepoel, c’est top ! Je vois la différence par rapport à mes débuts sur France TV avec des Tours très chiants. Celui de 2012, gagné par Wiggins avec 110 km de contre-la-montre, l’était. Aujourd’hui, nous avons des scénarios moins convenus parce que les mecs font la course dès les premiers kilomètres. L’an dernier, même si le suspense n’était pas important pour le général, tous les jours on a vécu des étapes très intéressantes.

Le dispositif France Télévisions va-t-il évoluer cette année ?

L’équipe commence à être rodée, il n’y aura pas de grandes nouveautés, la même équipe aux commentaires avec Laurent Jalabert, Marion Rousse et Franck Ferrand, Thomas Voeckler sur la moto 1, Nicolas Geay et Benoit Durand alterneront sur la moto 2. Sur le Vélo Club, on retrouvera Yoann Offredo et Florent Dabadie avec sa rubrique quotidienne sur les coulisses du Tour.

Il y a quand même une nouveauté avec Team Radio qui permettra d’entendre les échanges entre les directeurs sportifs et les coureurs.

Il y a un modérateur, un filtre, avec des séquences sélectionnées qui ne passent pas en direct car le but n’est pas de dévoiler les tactiques d’équipes ce qui pourrait impacter la course. Pour l’émission Vélo Club, par contre, en termes d’émotion, sur un débrief, ça peut avoir son intérêt. Mais en direct, si c’est pour entendre le directeur sportif encourager ses coureurs…

Quelle parade pourriez-vous trouver pour que les spectateurs et les téléspectateurs parviennent à mieux reconnaitre les coureurs au milieu d’un peloton aussi important ?

Les maillots distinctifs sont quand même suffisamment représentatifs et généralement les équipes adaptent aussi leurs tenues aux exigences et aux caractéristiques du Tour avec la volonté commune de sortir du lot. Notre problématique est plutôt de reconnaitre les coureurs avec les casques et les lunettes. Pourquoi ne pas inscrire leur nom au dos des maillots, leur nom ou leur numéro de dossard sur le casque car on les voit souvent de face.

Depuis quelques années, vous couvrez les étapes dans leur intégralité, est-ce un pari difficile à relever ?

120 heures de direct, avec un dispositif exceptionnel et six voix différentes à intervenir, ça passe très vite en fait. Nous avons beaucoup de contenus additionnels, des interviews du matin, des sujets, la biodiversité, etc. En plus, j’ai la chance d’avoir une relation fusionnelle avec Anthony Forestier, le réalisateur, donc ça facilite pas mal les choses. Si je lui demande en direct d’isoler David Gaudu car on est en train de parler de lui, 20 secondes après, j’ai le plan de Gaudu au coeur du peloton.

« Pourquoi ne pas inscrire le nom des coureurs sur leurs casques ? »

Comment s’organise une journée d’antenne concrètement ?

Nous avons des plateaux repas… que j’essaie de ne pas trop toucher car mon rôle de meneur de jeu m’oblige à être toujours focus. “Jaja” et Marion alternent… quand l’un parle, l’autre mange, pareil avec Franck. Je joue plus sur les motos à ce moment-là, je lance des sujets ou des pubs. Sans oublier la pause pipi car on fait quand même sept heures de direct non-stop ! Avec Jaja désormais on se comprend de manière instinctive, ce n’est même plus la peine de se parler, un regard suffit.

Deux consultants à vos côtés, n’est-ce pas trop ?

Non, sur le Tour il faut ça. Laurent est plus sur l’analyse, la tactique, le ressenti. Il a déjà fait le Tour, il connait tous les cols et a souvent reconnu les étapes à vélo le matin ou la veille. Marion est plus sur sa connection avec le peloton actuel. Elle partage sa vie avec un cycliste (Julian Alaphilippe, Ndlr), connait tout de son équipe, reconnait tous les coureurs, notamment étrangers, avec son oeil hyper affûté. Elle a toujours de petites infos. Elle est très précieuse et très complémentaire.

Et vous, avez-vous reconnu les étapes à vélo ?

Je l’ai fait en voiture avec Anthony Forestier, mais pas sur toutes car je n’en ai pas le temps.

Quel genre de cycliste êtes-vous ?

J’ai ma petite carrière de cycliste, en courant en cadet 1 et cadet 2 à Pontarlier, où j’ai fait beaucoup de vélo jusqu’à 30 ans. Aujourd’hui, je fais un peu de VTT, mais plus du tout de route.

Comment vous préparez-vous pour le Tour de France ?

Je reconnais certaines étapes pour nourrir mon commentaire, anticiper. Le reste, je regarde toutes les courses, en permanence branché sur mon appli Eurosport, dernièrement j’ai suivi tout le Giro. Je me nourris tous les jours de vélo. Quand je ne peux pas voir en direct, je regarde le replay le soir. Le Tour, j’y pense tout le temps, dix fois par jour, je suis toujours connecté.

N’avez-vous pas peur que la Covid s’invite à la fête comme il a en partie gâché le Giro ?

Les équipes sont hyper prudentes. Rien n’obligeait Soudal-Quick Step à retirer Evenepoel du Giro. Même en étant positif, il aurait pu continuer car le règlement le permet. D’ailleurs, les équipes ne sont même plus obligées de communiquer sur les cas de Covid…

Netflix a sorti un documentaire sur les coulisses du Tour, n’êtes-vous pas jaloux des privilèges dont la plateforme a bénéficiés ?

Netflix a réalisé un bon produit dans la lignée de ce qu’on avait déjà fait sur France Télévisions. Il n’y a pas de jalousie à avoir dans la mesure où nous avons tout à gagner à voir de plus en plus de gens s’intéresser au vélo. Notre but est de voir s’élargir notre base de téléspectateurs. Si ça ne va pas apporter grand-chose au vrai fan de vélo, la personne non initiée aux rites du Tour va apprendre plein de choses. Ça peut lui donner envie de suivre le Tour. Au-delà de ça, j’ai aussi appris à connaitre les équipes de Netflix. Ce sont des gens charmants qui ne sont pas là pour nous faire de l’ombre.

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