jeudi 25 avril 2024

Bernard Hinault fait le bilan de la saison de cyclisme : « Ils nous ont régalés ! »

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

A 67 ans, le quintuple vainqueur du Tour de France attend toujours son successeur français. A défaut d’en voir poindre un à l’horizon, il se satisfait déjà de vibrer aux exploits de Julian Alaphilippe. Aussi attentif au devenir des jeunes champions d’aujourd’hui, qu’ému au souvenir de ses années Tapie, le Blaireau fait le bilan de la saison pour Cyclisme magazine, pour Le Quotidien du Sport et Cyclisme magazine.

Hinault marqué par la victoire d’Alaphilippe aux championnats du monde

Que retiendrez-vous de cette saison 2021 ?

Pour moi, les moments forts furent la victoire d’Alaphilippe en Bretagne au départ du Tour, celle de Van der Poel dans la foulée avec le maillot jaune à chaque fois, la confirmation de Pogacar, vainqueur de son deuxième Tour de France d’affilée et le même doublé pour Julian (Alaphilippe) lors des championnats du monde avec une équipe de France à la hauteur de nos attentes et du potentiel de ses coureurs.

Invité pour les 100 ans des Mondiaux, vous étiez à Louvain pour voir le sacre d’Alaphilippe, que pensez-vous de notre double champion du monde ?

Qu’il est le meilleur, tout simplement. Il sait être présent le jour J. Il a su profiter du beau travail de l’équipe de France et on peut dire qu’ils nous ont régalés avec Madouas qui avait bien préparé le terrain, avec Cosnefroy, Cavagna… des coureurs qui osent prendre des initiatives.

Le cyclisme français ne se porte donc pas si mal que ça…

Nous n’avons pas les super champions qui pourraient nous permettre de gagner de grands Tours, comme Pogacar ou Roglic, mais des champions qui sont capables de nous faire vibrer et de gagner de grandes courses. Il faut savoir s’en contenter et faire avec.

« Il y a quatre ans, personne n’aurait pu imaginer que le Tour se jouerait entre deux coureurs slovènes »

Etes-vous surpris par la confirmation de Pogacar ?

On ne s’attendait pas à ce qu’il domine avec autant de maîtrise alors qu’il est encore si jeune (23 ans, Ndlr). On avait vu Bernal gagner au même âge, mais avoir du mal à enchaîner, être dans le dur rapidement. L’avenir nous dira si Pogacar a atteint son sommet ou s’il a encore une marge de progression.

A 20 ans, vous passiez à peine professionnel quand les meilleurs jeunes d’aujourd’hui ont déjà gagné les plus grandes courses…

Dans les années 70, lancer des jeunes aussi tôt, ça ne se faisait pas… Tout simplement. Si on m’avait donné ma chance à 20 ans (il a disputé et gagné son premier Tour de France à 24 ans, en 1978, Ndlr), je peux vous dire que je l’aurais saisie, je ne me serais pas défilé, ce n’était pas mon style. Et peut-être que j’aurais gagné plus vite. Ou pas (sourire).

Les meilleures équipes ont les meilleurs coureurs

Le Mercato a confirmé une tendance au regroupement des meilleurs dans les meilleures équipes. Va-t-on vers un cyclisme à deux vitesses ?

Il faut savoir ce qu’on veut. On ne peut pas en même temps vouloir développer le vélo aux quatre coins du monde, se réjouir de voir renaître des Tours qui étaient un peu tombés dans l’oubli, comme le Tour de Croatie ou le Tour de Turquie par exemple, et de nombreuses courses en Afrique, en Amérique du Sud ou au MoyenOrient, et regretter que les meilleures équipes engagent plusieurs leaders pour pouvoir assumer un calendrier de plus en plus chargé.

Forcément qu’il faut plusieurs leaders dans ce contexte. Où est le problème ? Deceuninck le fait depuis longtemps, INEOS a suivi, Bora et UAE Emirates s’y mettent parce qu’ils en ont les moyens financiers. C’est aussi simple que ça. Et jusqu’à preuve du contraire, ça n’empêche pas de voir du beau spectacle. Pour faire le Pro Tour tel qu’il est dessiné par l’UCI, il faut 28 coureurs donc au moins deux ou trois leaders.

« Avec le jeune belge Vermeersch, on a peut-être vu un futur grand de Paris-Roubaix »

C’est la conséquence de l’internationalisation du cyclisme.

Oui, et c’est une bonne chose, tout le monde y trouve son compte car désormais tous les pays ou presque ont leurs courses et leurs champions. Il y a quatre ans, personne n’aurait pu imaginer que le Tour de France se jouerait entre deux coureurs slovènes.

Et, à ce rythme, qui sait ce qui se passera dans quatre ans ? Les jeunes qui gagnent aujourd’hui seront-ils capables de durer ou seront-ils devancés par d’autres générations montantes ?

L’un des derniers grands moments de la saison aura été Paris-Roubaix, exceptionnellement programmé en automne. Qu’en avez-vous pensé ?

Il a été dantesque comme jamais ! C’est bien la preuve que malgré tout ce que vous pouvez penser de mal de ce système, il peut générer de belles courses, des moments de bravoure qui récompensent les meilleurs d’un jour peut-être, mais les meilleurs quand même.

Lorsque vous l’aviez gagnée en 1981, vous aviez déclaré : « Je n’ai pas changé d’avis, c’est une course à la con ! » Vous confirmez ?

Oui, mais personne n’est obligé de la faire. Si vous y allez, c’est que vous êtes prêt à jouer le jeu. Ce n’est peut-être pas un hasard si ceux qui la gagnent aujourd’hui ne sont pas ceux qui gagnent les grands Tours. Elle reste très aléatoire, dépendante des chutes, des crevaisons, de la météo… mais ceux qui gagnent le méritent. Cette année, avec le jeune belge Vermeersch, on a peut-être vu un futur grand de l’épreuve.

Le décès de Bernard Tapie : « C’était un battant, un gagnant… »

Le parcours du prochain Tour de France estil favorable à un certain profil de coureurs… aux Français peut-être ?

Tout dépendra de la forme des uns et des autres. Mais, vu ce que démontre Pogacar, qui a encore gagné le Tour de Lombardie avec beaucoup d’autorité, il sera le premier candidat à sa succession. Pour les Français, je ne peux pas deviner dans quel état et avec quelles ambitions ils vont préparer ce Tour. Plutôt que de courir après quelque chose de très difficile à atteindre, peutêtre vaut-il mieux se concentrer sur des victoires d’étapes. Dans ce registre, on a ce qu’il faut !

Peut-on dire de Bernard Tapie qu’il a révolutionné l’approche du vélo en France ?

Il a fait beaucoup de choses, mais on ne peut pas dire qu’il l’a révolutionné car le train était déjà en marche. Tapie a accéléré le processus en amenant davantage de moyens pour augmenter les salaires, mais sans les multiplier par 100 non plus.

Il a investi un million de dollars sur trois ans avec LeMond, mais comme le dollar était à 10 francs à cette époque, ça n’était pas énorme. Tapie a surtout fait évoluer le matériel, la technologie, à l’instar de la pédale automatique ou du cadre en carbone. Mais là encore le travail en soufflerie avait déjà été initié par la régie Renault.

Et en matière de management, que retenezvous de lui ?

Il était présent sur toutes les grandes courses. Je venais de passer sept ans chez Renault où je n’avais dû voir le patron de la régie qu’à une reprise… Forcément, ça changeait et ça nous boostait énormément.

Ses encouragements, sa passion, sa volonté de toujours gagner et de repousser sans cesse les limites nous ont transcendés. Au final, il nous a permis de faire du vélo comme on en avait envie. Mais l’équipe existait déjà avant qu’il arrive donc on savait où on allait aussi.

Tapie par intérêt financier dans le vélo

Quel rôle a-t-il joué dans votre duel avec LeMond entre 1984 et 1986 ? On lui prête l’idée de votre arrivée commune à l’Alpe d’Huez en 1986.

C’est pourtant faux… une énorme bêtise que tout le monde croit encore. Passer la ligne en même temps en haut de l’Alpe était notre décision, à Greg et à moi, pas celle de Tapie.

Pourquoi n’est-il pas resté plus longtemps dans le cyclisme ?

Son projet initial était d’investir aux Etats-Unis et de se servir d’un coureur, en l’occurrence Greg LeMond, pour y vendre des pédales automatiques.

Mais sans LeMond, sans Hinault, les deux seules personnes qui l’intéressaient dans le vélo à ce moment-là, il ne voyait plus d’intérêt de rester. Il est allé voir ailleurs. Son arrivée dans le cyclisme s’expliquait aussi par le rachat de sociétés comme Look, Terraillon ou La Vie Claire. Dès lors qu’il les avait relancées, ou revendues, il ne voyait plus les choses de la même manière.

Etes-vous resté en contact avec lui après sa parenthèse vélo ?

Oui, assez régulièrement, on s’appelait. La dernière fois que je l’ai eu au téléphone, quelques mois avant son décès, il m’avait dit qu’il ne lâchait rien, qu’il continuait à se battre… C’était un battant, un gagnant.

Cyclisme magazine 14

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