Dans « Libre », son autobiographie, Claude Puel revient sur 50 ans d’une carrière riche en challenges relevés, et peut-être pas encore terminée. Pour Le Foot, il en dit un peu plus sur son ressenti et la façon dont il a vécu les plus grands moments. Notamment son passage à Saint-Etienne.
Tout d’abord, que devenez-vous depuis votre départ de Saint-Etienne ?
Je fais une pause. J’ai eu des sollicitations depuis mon départ de Saint-Etienne, mais pour le moment, je n’ai pas donné suite. Cela ne correspondait pas à ce que je recherche. Je serais un peu plus exigeant pour une prochaine étape, avec un club avec des moyens, et je veux rester en Europe, sinon je ne bougerais pas.
Dans votre livre vous vous posez carrément la question de continuer…
J’arrive à un âge où j’ai envie de me faire plaisir. Ça veut dire retrouver l’Europe, ou les moyens d’aller chercher l’Europe. Je vais être un peu plus exigeant, en choisissant un club qui a les moyens de pouvoir jouer au haut niveau. Plus un projet dans ce sens, que d’aller dans un club où il faut repartir de zéro, un club qui n’a pas vraiment de moyens. Où on exerce souvent dans l’incompréhension. J’ai donné pas mal dans ce genre de situations, c’est pour cela que je suis assez exigeant par rapport à mon nouveau projet. Si je n’ai pas de projet qui m’intéresse, je resterais à la maison, tranquillement.
« 5/6 sélections m’ont contacté, mais je veux rester en Europe »
Une sélection, cela ne vous tente pas ?
J’en ai eu pas mal… J’ai eu 5/6 sélections… Mais je veux rester en Europe et je ne veux pas aller ailleurs.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?
Ça fait quelques années qu’on me propose d’écrire ma bio… je n’ai jamais donné suite parce que j’était encore en activité, et j’ai toujours pensé que, si un jour j’écrivais ma bio, je voulais le faire avec mes mots, mon ressenti. Il fallait du temps. J’ai commencé après Southampton, quand j’ai eu un peu de temps de libre, puis après Leicester… et après Saint-Etienne, je l’ai fini. C’est tout ce qui me restait de toutes ces années, mon enfance, ma carrière… Je voulais un livre qui ne soit pas uniquement ma bio, je voulais quelque chose qui soit assez fluide, qui se lise bien. Avec des parcours de vie au gré de ma carrière. J’ai fait des chapitres qui représentent tous quelque chose de spécial. Les supporters de chaque club peuvent s’y référer, on peut passer d’un chapitre à un autre, en sauter un et revenir en arrière… Ou le lire dans sa continuité, comme un parcours de vie.
Je voulais aussi en profiter pour expliquer ce que je ressens du football, de l’évolution du football et du métier d’entraîneur. Parler de mes relations avec les journalistes. Plein de choses qui peuvent intéresser les passionnés de football, les jeunes entraîneurs qui ont envie de faire une carrière. Avec plein de défis à relever.
A 13 ans, Claude Puel faisait 2388 jongles du pied droit et 500 de la tête !
On y apprend quelques informations surprenantes, notamment qu’à l’âge de 13 ans, vous faisiez 2388 jongles du pied droit, 500 du pied gauche et 500 de la tête. Etonnant pour un joueur dont la technique n’était pas la principale qualité…
(Sourire) C’était à 12/13 ans, à l’époque du fameux « concours adidas »… Mais réussir des jongles ne prédispose pas obligatoirement à faire une carrière professionnelle. D’ailleurs beaucoup de ceux que j’ai affronté en finale de ce concours, comme celui de jeunes footballeurs, n’ont pas fait de carrière…
Tout au long de votre carrière, vous l’expliquez très bien, vous avez lutté pour renverser des situations qui n’étaient pas à votre avantage, mais en revanche, vous n’avez pas réussi à jouer en Equipe de France, c’est un regret ?
Je ne fonctionne pas comme ça… Je n’ai pas franchement de regrets, parce que j’ai toujours voulu avancer, sans me retourner. J’ai toujours regardé devant. Il s’est passé des choses bonnes, des moins bonnes… J’ai plutôt cherché à en tirer les leçons, sans regretter.
Vue votre carrière, c’est quand même étonnant de n’avoir jamais porté le maillot de l’Equipe de France ?
Il y a plusieurs facteurs qui l’expliquent… D’abord, je me suis fixé au poste de milieu défensif à l’âge de 23/24 ans, avant, je jouais un peu à tous les postes. J’ai été mature à l’âge de 27/28 ans… Ma plus belle saison, je l’a fait à 32 ans. Je fais une saison que je considère de très très haut niveau. Même à 28 ans, ça commençait à être âgé pour intégrer l’Equipe de France et il y avait déjà en place un milieu extraordinaire.
« C’est mon caractère, mon mental, qui m’ont permis de durer et d’affronter l’adversité »
Cette faculté de retourner des situations qui n’étaient pas forcément à votre avantage, notamment quand vous étiez joueur, c’est ce qui définit votre carrière ?
Disons que c’est mon caractère, mon mental, qui m’ont permis de durer et d’affronter l’adversité. C’est ce qui m’a porté, ce qui m’a fait avancer.
Sans être carriériste ?
A Monaco, où j’ai fait toute ma carrière de joueur, j’ai eu la chance de jouer toujours le haut de tableau, avec des joueurs énormes. En tant qu’entraîneur, je n’ai jamais été carriériste. Ce sont des coups de cœur. Je suis allé dans des endroits, parce que ça se passait bien au niveau des discussions, parce que le club représentait quelque chose et que j’avais envie de le relancer. De le faire remonter dans la hiérarchie, et le plus souvent sans aucun moyen. C’était le petit qui allait chercher la Coupe d’Europe, la Ligue des Champions… C’est ce qui me comblait, même si ce n’est pas évident, parce que les gens, les supporters, les médias, ce qu’ils cherchent avant tout, ce sont les résultats.
Les 3 points comme vous l’écrivez…
Voilà… Savoir dans quelles conditions on évolue, avec quels moyens, quelles structures… c’est complètement secondaire. Pour moi, ça représentait quelque chose. D’ailleurs les premières fois que Lyon s’est intéressé à moi, je me posais la question. Mais qu’est ce que je vais aller faire dans cette équipe ? Elle est bien… Je ne voyais pas la nécessité d’avoir un palmarès. Ce qui m’intéressait, c’était de partir au début d’une aventure, pour arriver à quelque chose. C’est ce qui m’animait.
« Au lieu d’être cohérent, Jean-Michel Aulas m’a lâché »
Aller à Lyon, en 2008, c’était une erreur ?
Le jour où je décide d’aller à Lyon, le club vient de faire le doublé, mais pour moi, c’est une équipe qui est sur la pente descendante. C’est une équipe qui arrive en bout de course et qu’il faut rajeunir. C’est parce que j’avais ce ressenti que j’accepte d’aller à Lyon. Mais quand j’arrive à Lyon je ne peux pas expliquer qu’il va falloir faire évoluer les choses…
Vous n’en aviez pas parlé avec Jean-Michel Aulas de ce sentiment et de cette nécessité de changement ?
Non, mais je pense qu’il le ressentait. Que ce soit lui, ou Jérôme Seydou, ils le ressentaient. C’est pour cela qu’ils m’ont donné un rôle plus étendu sur le plan sportif. Au fond d’eux, ils sentaient qu’il fallait réinjecter de la fraîcheur. Tout redynamiser. C’est la même chose à Saint-Etienne.
Là, c’était encore plus flagrant…
Saint-Etienne s’est intéressé à moi dès que Gasset est parti… Saint-Etienne venait de terminer 4ème, mais je voyais une équipe en fin de parcours. C’était une équipe vieillissante, que je ne sentais pas capable de jouer tous les trois jours, avec la Coupe d’Europe. Et il n’y avait aucun joueur, à part Saliba, pour prendre la relève. Je ne me voyais pas arriver comme ça, je me disais que les gens n’allaient pas comprendre…
« A Saint-Etienne, je pensais qu’ils allaient comprendre. Mais en fait, non, ils n’ont pas compris »
Et puis quelques mois plus tard, vous avez accepté…
Si j’ai fini par aller à Saint-Etienne, c’est d’abord parce que c’est un club que j’appréciais, mais aussi parce que le club était 20ème . Je me suis dit : ils vont se rendre compte qu’il y a un gros travail à faire. Il faut injecter de la jeunesse dans l’effectif, il faut l’améliorer, parce que ce n’est pas suffisant. Je pensais qu’ils allaient comprendre. Mais en fait, non, ils n’ont pas compris. Et en plus, quand je suis arrivé, il n’y avait plus aucun moyen. Si on ne vend pas Fofana, on est en dépôt de bilan. Je me suis retrouvé coincé, sans aucune possibilité de faire évoluer quoi que ce soit, si ce n’est de lancer des jeunes pour éventuellement préparer l’avenir et les vendre pour avoir de l’argent, ce qui a été le cas pour Fofana et Gournat. Si on ne vend pas ces deux joueurs, pour plus de 60 millions d’euros, près de 70 avec Honorat, on est très très mal.
Votre mission était impossible, d’ailleurs, personne ne vous en veut…
Non, pour moi elle était possible. J’avais montré à Lille, ou j’ai joué pendant deux ans le maintien, à Nice où il fallait tout reconstruire, sans aucun moyen, que c’était possible. A Saint-Etienne, c’était un peu une mission comme ça, avec en plus ces hauts salaires que trainait le club… C’était du costaud, il fallait tenir, tous ensemble, sauver la place en Ligue 1, et à partir de là, il y avait toute une reconstruction possible. Il y avait des jeunes qui arrivaient au haut niveau, 15 joueurs qui partaient dont les plus hauts salaires… Saint-Etienne avait la capacité de garder ses jeunes en les peaufinant, et en les encadrant par des joueurs de qualité, à base de transfert. Parce que le club pouvait repartir avec des finances saines.
C’est une grosse erreur de vous avoir écarté alors que vous n’aviez que deux points de retard sur le premier non relégable ?
Je ne dis pas ça… C’est comme ça. Je regrette juste d’avoir dû partir en laissant l’équipe au milieu du gué.
« Les dirigeants sont sous pression. Populaire, médiatique… cette pression qui vous pousse à agir, ou mal agir, c’est selon »
Après votre départ, la situation a empiré…
Oui, mais on le voit encore cette année, les dirigeants sont sous pression. Populaire, médiatique… A ce moment de la saison, il y a énormément de pression qui vous pousse à agir, ou mal agir, c’est selon… C’est comme ça.
…
Il m’est arrivé, à Lille, de jouer le maintien et d’être dans les trois derniers jusqu’à deux ou trois journées de la fin. Et on finissait 14ème, puis 10ème. Avec ces joueurs-là, en travaillant, on découvre la Ligue des Champions, la troisième année. Quelles étaient les autres solutions ? Il n’y a pas d’autres solutions, puisqu’il n’y a pas de possibilité de transferts, si ce n’est de faire des transferts les derniers jours, des joueurs blessés que l’on veut relancer. Mais ce ne sont pas des bonnes choses.
Quand vous êtes écartés, vous vous sentez capables d’éviter la relégation ?
J’étais prêt à me battre jusqu’au bout. C’est pour ça aussi que Xavier Thuilot était venu avec moi, pour justement, tenir dans des moments comme ça. Mais ça n’a plus été possible (ndlr : arrivé en même temps que Claude Puel, Xavier Thuilot a quitté le club en janvier 2021)
Dans votre parcours d’entraîneur, il y a un passage dans un club dont vous êtes le plus fier ?
(Il réfléchit)… Non, partout, je pense qu’on a réussi à faire des choses fantastiques. Champion avec Monaco lors de la première année avec certainement l’équipe la plus jeune à avoir gagné le championnat, réussir à maintenir Lille qui avait le 19ème budget de Ligue 1, faire ce qu’on a fait à Nice, à Lyon…
La deuxième année à Lyon, le président Aulas a qualifié la saison comme meilleure saison du club. On a terminé 2ème, joué une demi-finale de Ligue des Champions. Même la troisième saison, j’en suis fier. Après avoir très peu de marge au niveau du respect, puisqu’on m’avait lâché au niveau des médias, des supporters… j’ai réussi à garder mon autorité dans le vestiaire et nous sommes passés d’une 17ème place en septembre à une troisième place en fin de saison… C’était à chaque fois une aventure différente, avec des choses à prendre. Partout où je suis passé, je suis content de ce que j’ai fait.
A Lyon, lors de cette troisième saison, vous découvrez une facette différente de Jean-Michel Aulas, qui finalement ne nous étonne pas trop. Il vous fait porter le chapeau…
Après un début de saison très difficile, notamment parce qu’elle suit la Coupe du Monde, avec beaucoup d’internationaux français qui l’avait mal vécue, le président a dû avoir peur des conséquences et au lieu de rester cohérent, il m’a lâché et finalement, je me suis retrouvé un peu seul. Je retire beaucoup de satisfaction, en terme de management, d’avoir réussi à terminer 3ème, en gardant la confiance de mon vestiaire, malgré tout ce qui pouvait être dit.
« C’est beaucoup plus difficile d’entraîner des joueurs qui se prennent pour des stars, que d’entraîner des vraies stars. »
Dans votre livre, on voit que vous ne cherchez pas le buzz. Vous ne citez pratiquement pas de noms…
(Il souffle…) Cela ne sert à rien. Ce n’est pas un règlement de comptes, c’est un livre sur le football. Je voulais partager 50 ans de carrière, joueur et entraîneur. Un parcours de football, un parcours de vie. Je voulais partager ça avec le plus grand nombre. Et ça me permet d’expliquer que, lorsque je fais quelque chose, c’est bien réfléchi. Je travaille pour ça. A chaque fois, c’est pour les joueurs, pour les dirigeants… je me donne entièrement dans cette mission. J’explique les difficultés que l’on peut rencontrer à chaque fois, parce que chaque club est différent. Il y a toujours des challenges à relever. En étant le plus honnête possible.
Par certains points, vote parcours fait penser à celui de Christophe Galtier, sur son passage à Lille bien sûr. Vous pensez que vous auriez pu entraîner un gros club comme le PSG, avec toutes ses stars ?
Je pense que c’est beaucoup plus difficile d’entraîner des joueurs qui se prennent pour des stars, que d’entraîner des vraies stars.
LiIBRE – 50 ans de football / Claude Puel.
Solar Editions – 240 pages – 19,90 euros