
Rien ne va plus entre DAZN et la LFP, qui se retrouvent devant les tribunaux. Au point de s’en remettre à un « Grenelle du foot français », en présence du ministre, ce lundi. Comment en est-on arrivé là, et aussi, comment peut-on s’en sortir ?
Même les centaines de milliers de fans de football qui piratent les images pour regarder le championnat peuvent trembler. Car si la Ligue de football professionnel ne trouve pas une solution, il n’y aura bientôt plus d’images de Ligue 1. Et peut-être rapidement plus de Ligue 1 du tout… Le pire reste envisageable, tant la crise des droits TV impacte les clubs.
Heureusement, on n’en est pas encore là. Mais depuis le mois de juillet, la situation ne cesse de se dégrader. À l’origine, la difficulté de la LFP à trouver un diffuseur pour la Ligue 1. L’été dernier, l’instance qui dirige le football professionnel avait fini par choisir deux diffuseurs « par défaut » pour éviter l’écran noir. Le groupe anglais DAZN diffuse 8 des 9 affiches, alors que BeIN Sports diffuse la neuvième. Après une réunion « houleuse », le 14 juillet, le projet de « chaîne LFP » est abandonné (16 voix contre, 2).
Textor et Oughourlian vs Labrune et Al-Khelaïfi
Dans cette réunion, au cours de laquelle tout le monde a eu l’occasion de s’exprimer et dont des extraits ont été publiés dans les médias, on s’aperçoit des désaccords sur la politique à mener pour les droits TV. Particulièrement de la fronde menée par le tandem Textor - Oughourlian, qui s’en prend à Al-Khelaïfi. Les « mutins » dénoncent un conflit d’intérêt pour le président du PSG, qui est également le patron de BeIN Sports, sans pour autant que personne ne défende une proposition jugée assez solide par le collège des présidents de club.
Tout a basculé le 29 mai 2018, quand la LFP, dirigée par Didier Quillot (sous la présidence de Nathalie Boy de la Tour), annonçait officiellement l’arrivée de Mediapro à la place de Canal+, diffuseur emblématique du championnat de France, pour la période 2020-2024. À l’époque (en comprenant BeIN Sports, qui diffusera 2 matchs), on annonce des droits TV dépassant le milliard d’euros par an. Canal+ ne diffusera donc plus une image de la Ligue 1. La suite, on la connaît. Tout commence lors de la saison 2020-2021, dans un monde en pleine pandémie de Covid. Du côté de Mediapro, la chaîne Telefoot a vu le jour, mais le projet va droit dans le mur. Le 31 janvier 2021, Mediapro quitte déjà la France. Canal+ revient dans la danse et « sauve » la fin de saison. Avant qu’un nouveau protagoniste, Amazon, ne récupère une partie des droits. La dégringolade continue quand Canal+, qui estime ne pas être respecté, surtout après son « opération sauvetage » en 2021, décide de ne pas participer à l’appel d’offres pour les années 2024 à 2028. On en arrive à ce fameux 14 juillet 2024.
À quoi joue Canal+ ?
Aujourd’hui, on peut quand même s’interroger sur la véritable stratégie de Canal+. Si le divorce est trop facilement présenté par certains comme le résultat du désaccord profond avec un homme, Vincent Labrune, on a appris mi-février que Canal+ n’a de toutes façons aucune intention de revenir dans la danse pour les droits TV de la Ligue 1. Auprès du journal L'Équipe, le groupe et son président, Vincent Bolloré, ont fait savoir qu'ils n'étaient pas intéressés par la diffusion de la Ligue 1. L'ex-diffuseur historique du championnat a précisé qu'aucune discussion n’était en cours pour suppléer DAZN. L’argument primaire, « que Labrune s’en aille et Canal+ reviendra », ne tient plus la route. Enfin, pour ceux qui l’ont cru. La question est juste de savoir si le groupe Bolloré a toujours eu l’intention de lâcher la Ligue 1.
Aujourd’hui, les discussions entre DAZN et la LFP s’est légèrement détendue quand le groupe anglais a fini par payer les 35 millions mis sous séquestre, même si l’intervention du Tribunal du commerce a été nécessaire. Mais les désaccords restent présents. Pour le diffuseur, son échec commercial (1,5 million d’abonnés espérés à la fin de la saison, contre à peine plus de 500 000 au début du mois dernier) est en grande partie dû à un manque de transparence sur le potentiel d’abonnés et un manque d’action dans la lutte contre le piratage. Pour ces raisons, DAZN demande même 57,3 millions d’euros à la LFP, pour « tromperie sur la marchandise ». Il est également reproché aux clubs de ne pas tout mettre en œuvre pour faciliter l’habillage des rencontres.
Le message envoyé aux clubs est terrible : la Ligue 1 voulait un milliard, elle n’arrive pas à obtenir 400 millions sans passer par le Tribunaux. Soit elle n’est pas au niveau de ce que l’instance du football français en demande, soit elle est mal vendue… Peut-être les deux. C’est tout l’objet des débats autour des Droits TV. C’est de cela qu’il sera question le 3 mars.
Un feuilleton qui va durer
Le président du RC Lens, Joseph Oughourlian, est devenu symbole de l’opposition à Vincent Labrune (avec John Textor et rejoint par Waldemar Kita), accusé d’être la marionnette du très puissant patron du PSG. « On ne peut pas émietter notre produit. Cela a conduit à perdre nos clients, les consommateurs de foot sur la télé payante, et c’est la responsabilité de la Ligue et de son président. L’erreur DAZN est pire que celle de Mediapro », estime Oughoulian.
Que va-t-il se passer maintenant ? Dans un premier temps, le plus important est ce qui va ressortir de la réunion organisée le lundi 3 mars par la Fédération. Une sorte de « Grenelle du foot », qui réunira l'ensemble des parties prenantes, notamment la Ligue de football professionnel, les dirigeants de Ligue 1, le diffuseur DAZN et le fonds d'investissement CVC. La ministre des Sports, Marie Barsacq, sera également présente, aux côtés de Philippe Diallo, président de la 3F. Pas sûr qu’une solution « miracle » ressorte de cette réunion, tant les parties semblent éloignées.
La polémique sur l'arbitrage, mise en exergue par la pétage de plombs de Pablo Longoria la semaine dernière après la défaite de l'OM à Auxerre, n'arrange en rien les relations entre les différents acteurs du monde du foot. Tout mis bout à bout, on peut parler de véritable crise.