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- Marine, la compagne d’Alexis Vuillermoz (TotalEnergies) : « Je suis contente qu’il ait arrêté… »
- Manon Testou : « A chacun de prendre ses responsabilités »
- Céline, la compagne de Julien Simon (TotalEnergies) : « Les sorties d’entraînement sont devenues plus dangereuses que les courses »
- Eloïse, la compagne de Romain Combaud (Picnic PostNL) : « Jusqu’où faudra-t-il aller ? »
- Angelica, la compagne de Bruno Armirail (Decathlon AG2R La Mondiale) : « Les jeunes ont moins conscience du danger »
Parce que le métier de leur coureur de conjoint devient de plus en plus dangereux, elles ont souhaité prendre la parole et exposer publiquement leur malaise. Marine, Eloïse, Angelica, Manon et Céline espèrent une vraie prise de conscience.
Marine, la compagne d’Alexis Vuillermoz (TotalEnergies) : « Je suis contente qu’il ait arrêté… »
Pour la première fois depuis douze ans, Alexis Vuillermoz ne fera pas partie du peloton en 2025. L’ancien vainqueur d’étape du Tour (2015) a mis un terme à sa carrière… pour le plus grand soulagement de sa femme, Marine.
« La façon dont évolue le cyclisme et les prises de risques de plus en plus importantes prises par les coureurs font que je suis contente qu’Alexis ait mis un terme à sa carrière. D’autant qu’il n’a pas été épargné par les blessures et que son tempérament l’a toujours amené à tout donner, et même parfois plus jusqu’à se mettre en danger physiquement, sans en avoir forcément conscience. Pour nous, les femmes de coureurs, ces prises de risques ne paraissent pas tout le temps justifiées.
Je n’aurais pas réagi de la sorte il y a une dizaine d’années, mais le matériel évolue de telle manière que les vitesses atteintes dans les descentes ou dans les sprints sont hallucinantes aujourd’hui. Alexis s’est fracturé une rotule sur une chute à l’entraînement, le bassin sur une chute dans une descente sur le Tour de Suisse… où un an après un coureur s’est tué ! Ses prises de risques là sont-elles nécessaires, est-ce que ça vaut le coup ?
Evidemment non. Entre ambitions sportives, volonté de signer un nouveau contrat, objectifs élevés d’équipes qui sont avant tout des entreprises, les coureurs sont pris dans un engrenage dans lequel, c’est triste à dire, ils sont les seuls à pouvoir s’extraire. Dans cette course à l’armement entretenue par les équipementiers, à chacun de mettre le curseur de la prise de risques où il le veut, où il le peut.
À lireCyclisme : bientôt un maillot qui change de couleurs ?Pour en parler avec d’autres compagnes de coureurs, je sais que beaucoup ne regardent plus les courses, les descentes ou les sprints massifs quand leur conjoint est concerné. Parce qu’elles sont abondamment relayées sur les réseaux sociaux, en images chocs et traumatisantes, les chutes sont devenues un élément de stress et d’angoisse important pour un foyer. J’en étais arrivée à un point où, quand il partait en course, je ne lui souhaitais pas de gagner, mais d’être prudent.
« Quand il partait en course, je ne lui souhaitais pas de gagner, mais d’être prudent »
Je n’avais pas envie de le voir revenir avec des « pizzas » (sic) partout, et des blessures qui, je le sais par expérience, impactent toute la famille. Aujourd’hui, pour rattraper notre fils de 2 ans, c’est moi qui lui court après, Alexis ne peut pas à cause de son genou… On va donc éduquer différemment notre petit gars qui a déjà un tempérament de casse-cou, en le sensibilisant à tous les risques et en l’orientant davantage vers la pratique du VTT en pleine nature que vers le cyclisme de compétition sur route où, même lors de banales sorties d’entraînement, le danger est toujours présent. »
La compagne de Rudy Molard (Groupama-FDJ)
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Manon Testou : « A chacun de prendre ses responsabilités »
En janvier 2024, pris dans une chute collective sur le Tour Down Under, en Australie, Rudy Molard s’en sortait miraculeusement avec une commotion cérébrale, des plaies au visage et de multiples abrasions. L’épisode a profondément marqué Manon.
Comment avez-vous vécu la lourde chute de Rudy le 18 janvier 2024 ?
C’était horrible car avec le décalage horaire je l’ai apprise à mon réveil en découvrant toutes les notifications sur mon téléphone. Il y en avait tellement que je me suis dit : « Soit il a gagné, soit il est tombé ». J’ai compris que c’était grave quand j’ai vu tous les messages WhatsApp envoyés par le directeur sportif et le médecin de l’équipe.
Est-ce symptomatique de l’évolution du cyclisme selon vous ?
À lireJonas Vingegaard a rendez-vous sur le Mont VentouxNous sommes ensemble depuis 2010 et j’ai vu les choses évoluer. Mais il y a toujours eu des chutes. En moyenne, Rudy tombe trois fois par saison, ça fait partie du métier sauf qu’avec les réseaux sociaux, ça prend plus d’ampleur. Lorsqu’il est tombé sur le Tour en 2018, la caméra était juste sur lui à ce moment-là et ils ont dû montrer l’image une dizaine de fois. Je n’en pouvais plus !
« Lorsqu’il arrive en bas d’une descente de col, je me dis : ouf,une de passée ! »
Ça ne vous inquiète pas ?
Si bien sûr, ça gâche le plaisir. Le jour où il va arrêter, ça ne va pas me manquer. Lorsqu’il arrive en bas d’une descente de col, je me dis : « Ouf, une de passée ! » Le problème est multiple qui tient à des pelotons de plus en plus homogènes, des oreillettes qui informent tout le monde en temps réel ce qui pousse de plus en plus de coureurs à vouloir être au même moment au même endroit donc à risquer l’embouteillage. Les risques augmentent encore avec la recrudescence d’aménagements routiers, type trottoirs, ronds-points, dos d’âne, etc. et les effets d’un matériel de plus en plus pointu.
Les coureurs ont-ils conscience des dangers ?
Ça dépend lesquels, certains ont mauvaise réputation. Rudy me disait que, quand il débutait, il n’allait jamais frotter avec les leaders aux avant-postes. Aujourd’hui, les jeunes n’hésitent pas à le faire, ils n’ont peur de rien. Ils arrivent plus tôt et font évoluer la façon de courir.
Pour plus de spectacle, les organisateurs sacrifient-ils trop la sécurité ?
Les comportements, heureusement, vont quand même dans le bon sens. Il y a une dizaine d’années, aucun coureur ne se serait permis de monter au créneau comme l’a fait Pogacar pour annuler une course (Les Trois vallées varésines en octobre 2024 en raison des mauvaises conditions météo, Ndlr). Entre le spectacle, nécessaire, et l’intégrité des coureurs, il y a un juste compromis à trouver. A chacun de prendre ses responsabilités, les coureurs pour ne pas dépasser les limites, les organisateurs pour ne pas les mettre dans des situations difficiles.
À lireDans 8 jours Paris-Roubaix, la course crainte, détestée, fantasmée…Les formations sensibilisent-elles suffisamment leurs coureurs ?
Elles le font de plus en plus, en tout cas chez Groupama-FDJ, où on interdit aux coureurs de prendre des selfies quand ils sont sur le vélo, où on leur demande de ne pas prendre de risques inutiles. J’avais aussi été impressionné par la prise en charge de Rudy après son accident avec la mise en place par l’équipe médicale d’un protocole post-traumatique avec un suivi psychologique.
Céline, la compagne de Julien Simon (TotalEnergies) : « Les sorties d’entraînement sont devenues plus dangereuses que les courses »
Des débuts de son mari chez SojaSun à la fin de sa carrière cette année chez TotalEnergies, Céline a constaté l’évolution d’un métier clairement devenu à risques.
Avez-vous eu déjà peur en pensant aux risques que prenait Julien sur les courses ?
Oui, bien sûr, surtout lors des arrivées groupées parce que depuis deux saisons il devait amener les sprints et aller au charbon comme il dit. Même s’il a accumulé les blessures après des chutes (clavicule, cheville, coude…), dont une sur la Route du Sud qui le priva du Tour de France 2020, la dernière lors du Tour du Finistère juste devant nous (!), il y a toujours eu plus de peur que de mal. Mais on voit bien aujourd’hui que ces situations se multiplient et avec des conséquences de plus en plus graves.
Avait-il conscience des risques qu’il prenait ?
La prise de conscience est venue en vieillissant. En même temps, il n’avait pas le choix, et il aimait ça, aller au combat. Il a toujours aimé frotter et a toujours assumé même si parfois, c’est vrai, il me disait qu’il craignait la chute. Lui comme moi nous avons beaucoup évolué dans la perception du risque à partir du moment où on a eu un enfant. Par exemple la maman de Julien avait beaucoup plus peur que moi…
« Prévenir plus rapidement les compagnes des coureurs au sol »
Comment viviez-vous les descentes des cols ?
À lire30 secteurs pavés sur 259 km de course, bienvenue dans l’enfer de Paris-RoubaixPlus facilement que les sprints, où il dépendait de l’attitude des autres, quand il me disait maîtriser plus sereinement les trajectoires des descentes. Les courses les plus dangereuses étaient souvent celles où les niveaux des coureurs et des formations n’étaient pas homogènes. Ces dernières années, les aménagements urbains en nette augmentation étaient aussi difficiles à gérer, il en a été victime une fois.
Selon vous, les formations sensibilisent-elles suffisamment leurs coureurs aux risques qu’ils prennent ?
Elles sont dans leur logique de performance. Je trouve juste dommage que les compagnes des coureurs au sol ne soient pas prévenues plus rapidement. Lors d’une chute de Julien, alors que j’étais au foot avec mon fils, personne n’avait pris la peine de me prévenir alors que tous ceux qui l’avaient vu à la télé me demandaient si c’était grave. Je sais qu’il y avait un petit carnet avec tous les numéros à prévenir en cas d’urgence dans une voiture de son équipe, ça aurait été bien que je reçoive un petit message pour me rassurer, m’informer.
Aimeriez-vous que votre fils de 11 ans marche sur les traces de son père ?
Je sais que Julien n’aimerait pas. Pour le moment, il joue au foot et c’est très bien (rires) ! J’adore le vélo, l’adrénaline des courses, les week-ends passés en déplacement… mais il faut reconnaitre que c’est de plus en plus dangereux, à l’image des sorties d’entraînement qui le sont encore davantage que les courses car il n’y a ni encadrement, ni sécurité.
Eloïse, la compagne de Romain Combaud (Picnic PostNL) : « Jusqu’où faudra-t-il aller ? »
« Je suis contente qu’un magazine spécialisé traite enfin d’une problématique qui génère énormément de stress dans les familles des coureurs, lors des entraînements, où on guette toujours avec soulagement le moment du retour, ou des courses où on angoisse à chaque chute collective. Je fais confiance à Romain, qui a conscience des dangers, mais il me dit que certains peuvent avoir des comportements dangereux au sein du peloton. »
« J’entends que le risque fait partie du métier, qu’il est nécessaire à la performance, mais dans un sport qui est déjà soumis à beaucoup de facteurs extérieurs difficilement gérables, face à l’évolution technologique du matériel, qui pousse à toujours plus de vitesse, et la pression économique qui pèse sur les équipes, je me demande si le jeu en vaut vraiment la chandelle. Je regrette aussi beaucoup la manière, parfois malsaine, avec laquelle les médias rendent compte des chutes. »
À lireDans 15 jour le Giro : quelle sortie pour Romain Bardet ?« J’étais devant la télé, prostrée, lors de la dernière sur le Tour du Pays basque et une fois que j’ai eu l’assurance que Romain n’était pas impliqué, j’ai pensé à tous les proches des coureurs au sol qu’on voyait en gros plan. C’était tellement gênant que même le commentateur d’Eurosport a demandé à son réalisateur de changer de plan… »
« À travers Romain, ça fait longtemps que je suis le cyclisme et que je vois les choses évoluer dans le mauvais sens ; les chutes sont de plus en plus récurrentes, massives et violentes. Jusqu’où faudra-t-il aller pour qu’il y ait une prise de conscience et qu’on arrête de privilégier le spectacle au détriment de la sécurité ? »
Angelica, la compagne de Bruno Armirail (Decathlon AG2R La Mondiale) : « Les jeunes ont moins conscience du danger »
« L’année dernière, il ne s’est pas passé un mois sans qu’il y ait une ou plusieurs chutes graves, jusqu’au décès d’un coureur (André Drege sur le Tour d’Autriche le 6 juillet, Ndlr). Face à cette réalité, l’inquiétude grandit forcément. Bruno me dit qu’il est prudent, je lui fais confiance, mais je sais aussi qu’il ne peut pas tout maîtriser. »
« Dans une descente notamment, l’accident peut vite arriver comme en 2015 quand il s’est fait une triple fracture de la rotule en percutant une voiture qui arrivait en sens inverse sur une sortie d’entraînement. Depuis, il va moins frotter car il a été très marqué. J’ai l’impression que les anciens gèrent mieux les dangers, lancent des alertes sur les réseaux sociaux, quand les plus jeunes en ont moins conscience, sont moins sensibilisés. Et finalement, peu de managers en parlent… ça ne donne pas envie aux gamins de faire un métier soumis à de plus en plus de dangers. Sans parler de la tenue qui ne protège rien. C’est comme s’ils étaient tout nus… »
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