En pleine pandémie, exemplaires, elles ont ouvert la voie. Mues par la passion de centaines de bénévoles, les « petites » classiques françaises font plus que de la résistance, chacune selon leur identité et avec la même foi.
Vingt ans, parfois plus, après la disparition de Bordeaux-Paris, du Grand Prix des Nations et du Midi Libre, à quoi ressemble le paysage des classiques françaises qui fonctionnent à l’ombre des épreuves World Tour ? Comment vivent-elles cette période particulière qui leur impose de plus en plus de charges, notamment en termes de sécurité et d’obligations sanitaires ?
Les témoignages de trois organisateurs parmi les plus représentatifs, Guillaume Delpech (Faun Ardèche Classic et Royal Bernard Drôme Classic), Claudine Allègre (Etoile de Bessège Tour du Gard) et Pierre Caubin (La Route d’Occitanie) décrivent une situation certes fragile financièrement, mais qui offre de réelles perspectives d’amélioration à court ou moyen terme.
Créée en 1971, l’Etoile de Bessège Tour du Gard (UCI Europe Tour depuis 2005) a vécu un drame en 2020 avec le décès de son fondateur, Roland Fangille (82 ans), âme d’une épreuve qui a failli disparaître, mais qui a trouvé, en Claudine Allègre, sa fille, une nouvelle dynamique. « Je voulais que l’Etoile continue avec la même philosophie de mon papa, nous ditelle après la 50ème édition remportée par le Belge de Lotto Soudal Tim Wellens. Parce que si la recette fonctionne depuis 50 ans, ce n’est pas un hasard. »
Tim Wellens vainqueur de l’Etoile de Bessèges l’une des classiques françaises !
L’esprit de famille, la convivialité, la fidélité en des valeurs de plus en plus rares dans le milieu professionnel restent d’actualité pour la plupart des courses de cette dimension. C’est même ce socle, animé par des structures associatives bénévoles, qui permet de franchir tous les obstacles et de compenser en investissements humains les énormes défis à relever. Et d’abord financiers.
Avec des budgets toujours inférieurs au million d’euros, en grande partie alimentés par les subventions des collectivités et des partenaires plus que jamais indispensables, l’équilibre est fragile. « En même temps, ce financement presque intégralement public qui peut être un frein en temps normal s’est révélé une force en pleine période de crise sanitaire », souligne Pierre Caubin, le directeur de La Route d’Occitanie (UCI Europe Tour).
L’épreuve pyrénéenne créée en 1977 et remportée par Egan Bernal en 2020 a bénéficié d’un plateau exceptionnel… Première épreuve après quatre mois d’interruption liée à la pandémie, la manière avec laquelle les organisateurs ont assumé la pression inhérente à la situation démontre un vrai savoir-faire.
Entre 500 000 € et 700 000 € pour les tours locaux
Quatre jours de course pour un budget de 500 000 euros pour La Route, cinq jours pour un budget de 700 000 euros pour l’Etoile, qui a bénéficié de son côté de l’annulation de l’épreuve World Tour de Valence en Espagne, les deux classiques françaises n’avaient jamais été aussi sollicitées par les cadors du peloton en manque de compétition.
« Astana, Quick Step, Movistar, UAE… on en a refusées beaucoup, précise Claudine Allègre, car nous n’avions plus de place. Surtout, on voulait absolument ne pas abandonner des équipes moins prestigieuses, mais qui nous sont fidèles. »
Même si la présence des grands leaders assure généralement une visibilité médiatique supérieure, donc la possibilité de mieux commercialiser l’épreuve, le modèle économique dépend moins de la présence de stars que de la fidélité des partenaires soucieux de s’associer à un événement authentique et porteur de valeurs fortes.
« En 2018, poursuit Claudine, nous avons passé un cap. Nous étions en fin de contrat avec la chaîne L’Equipe et on nous a conseillés de devenir nos propres producteurs, en passant par une société de production. Ainsi, nous revendons une partie des droits télé à L’Equipe, qui les exploite vers les Etats-Unis, la Colombie, l’Australie… et on se garde l’exploitation des pays limitrophes comme la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas… »
De quoi rêver intégrer un jour le World Tour ? « Ce n’est pas un objectif ! » reprennent en coeur les deux plaques-tournantes.
Le financement public a sauvé les classiques françaises
« On nous a proposé de poser notre candidature, précise Claudine, mais papa n’avait pas voulu car il fallait trouver 60 000 euros supplémentaires. Quand je vois qu’on a présenté 11 équipes du World Tour cette année, je me dis qu’il a eu raison ! » « Avec un calendrier surchargé, c’est prendre le risque de changer de date, explique Pierre. Or, notre force a toujours été de nous situer quinze jours avant le Tour de France. »
La Grande Boucle est un booster pour une épreuve qui offre les Pyrénées en avant-première. « Franchement, sans le Tour, on ramerait pour trouver des villes d’accueil », continue le directeur de la Route d’Occitanie qui se félicite d’être revenu à l’équilibre financier l’an passé, lui aussi dans le sillage de son paternel, président de l’association qui gère l’épreuve et qui est aussi membre du ROC (Rassemblement des Organisateurs de Courses), peut-être l’embryon d’un mouvement plus large qui réunirait les petites classiques françaises.
Programmées en même temps que le Tour de Suisse, et trois ProSéries européennes, cela n’a pas empêché la présence de 9 équipes World Tour sur les cols pyrénéens en 2020 et d’en attendre autant pour 2021. La meilleure preuve que nos « petites » classiques françaises ne doivent pas se prendre pour d’autres. Grâce à l’originalité des parcours qu’elles proposent, à la qualité de leur organisation, c’est en restant fidèles à leur esprit familial qu’elles font de la résistance.