FRANCE – PORTUGAL (VENDREDI, 21H)
Auteur de « Kylian Mbappé, né pour gagner », Martin Leprince a longuement enquêté sur le joueur du PSG, désormais capitaine de L’Equipe de France, depuis 2018.
Journaliste d’investigation, Martin Leprince avait enquêté sur le phénomène Kylian Mbappé après la Coupe du monde 2018, pour écrire un livre paru chez Mareuil Editions (Kylian Mbappé, rendez-vous avec l’éternité). Cinq ans plus tard, l’auteur a rajouté 100 pages à son ouvrage, rebaptisé « Kylian Mbappé, né pour gagner ». Ses heures passées à enquêter sur la personnalité et l’entourage du capitaine de l’Equipe de France, font de Martin Leprince, un des journalistes qui le connaissent le mieux.
Pourquoi un livre sur Kylian Mbappé ?
Un footballeur comme Kylian Mbappé dépasse largement le cadre du sport. De par sa personnalité, de par sa renommée et, plus encore ces dernières années, de par la dimension qu’il a pris. Si on ne prend que le football français, il n’y a pas d’équivalent. Pour l’instant, il y a peut-être Zidane et Platini… aucun autre footballeur n’a eu ce statut. En plus, Kylian Mbappé a atteint ce statut beaucoup plus jeune. Même si là, il peut y avoir un débat sur le fait qu’il a peut-être pris du retard au niveau de son palmarès, en restant sept ans au PSG. A l’époque, en 2019, il était parti très très vite et très très haut. Là, c’est un peu moins le cas, il n’a eu que des titres nationaux, mais ses stats sont toujours incroyables. Aujourd’hui, on constate aussi, et c’est intéressant, qu’il est en avance sur Platini et Zidane, au moment où ils quittent le championnat de France.
« Il n’y a plus le même attachement pour lui qu’il y a 5 ans »
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné en faisant cette enquête ?
Le plus frappant, et j’en n’avais pas forcément conscience, c’est l’évolution entre 2019 et aujourd’hui. Et le mot « évolution » n’est pas assez fort, c’est un véritable changement de son image. En 2019, il était une sorte de gendre idéal, d’icône de tout un pays, que tout le monde aimait, qui était applaudi dans tous les stades de France, alors qu’il portait le maillot du PSG, un club clivant. Aujourd’hui, l’image n’est plus du tout la même. Il y a encore, surtout au niveau des jeunes, énormément de gens qui sont fans, mais l’affection pour Mbappé n’est plus la même. Au point que l’on peut même s’interroger sur le terme « affection ». Dans le livre, je fais le parallèle avec Federer, Nadal et Djokovic. Les gens aiment profondément Nadal et Federer, mais Djokovic, qui les a dépassé en terme de palmarès, il n’est pas aimé. Il n’est pas détesté, mais il n’est pas aimé. Il y a quelque chose qui ne passe pas. Il y a un côté robot, un manque de spontanéité… Mbappé aujourd’hui, est plus dans ce cas-là. Les supporters du PSG qui lui reprochent parfois un certain nombre de choses, oublient qu’il est quand même resté sept ans à Paris. On entend qu’il n’a fait que passer, qu’il n’a pas montré son attachement au club, alors qu’il est resté plus longtemps que toutes les légendes du club, qui ont été adorées. Les Cavanis, Pauleta, etc… On l’a vu lors de son départ, dans une certaine froideur. Il n’y a jamais eu, à par chez les enfants, une grande affection. Et c’est valable aussi pour les Français. Même si les Français vont continuer à le suivre. Il n’y a plus le même attachement pour lui qu’il y a 5 ans.
Chez lui, tout semble calculé, vous l’avez ressenti ?
Il a une communication très réfléchie, avec un énorme staff autour de lui. Le plus gros staff que l’on ait jamais connu pour un sportif français. On peut le voir à travers sa façon de communiquer, le choix des thèmes, les phrases prononcées, qui ne sont pas spontanées, les mots employés… Aujourd’hui, il apparait comme une personne un peu trop centrée sur lui-même et il n’est pas une idole comme son talent footballistique, son palmarès, le voudraient…
« Sa personnalité, son côté individualiste, carriériste et ambitieux, totalement décomplexée, est très rare chez les sportifs français »
Comment l’expliquez-vous ?
Sa personnalité, son côté individualiste, carriériste et ambitieux, totalement décomplexée, est très rare chez les sportifs français. C’est plutôt une mentalité d’Américain, qui assume complètement ce rapport à la réussite. En France, on préfère Poulidor à Anquetil. Le deuxième magnifique et authentique au vainqueur un peu hautain. La France, en football notamment, est un pays qui a longtemps perdu et qui a aimé ces joueurs généreux qui perdaient. Le symbole, c’est Séville 82 et cette demi-finale de Coupe du Monde perdue contre l’Allemagne. C’est à la fois un traumatisme et une heure de gloire… Le fait qu’un jeune sportif assume vouloir devenir le meilleur footballeur de l’histoire, en parlant aussi d’objectifs personnels et pas forcément d’objectifs collectifs, ça a du mal à passer.
La confiance qu’il a en lui le rend prétentieux…
Il y a beaucoup de choses qui jouent dans l’inconscient collectif. Il y a aussi une injustice qui est de dire qu’on veut avoir le meilleur joueur du monde, mais quand lui, assume devoir le devenir et ne se cache pas pour le dire, ça lui est reproché. C’est compliqué…
Que retenez-vous de vos dernières semaines d’enquête ?
Il est resté en France alors qu’il aurait sans doute voulu partir plus tôt. Il a vécu une année extrêmement compliquée avec une direction du PSG qui lui était très hostile. Malgré tout, comme il est très fort mentalement, il a su résister. Même si on dit qu’il n’a pas fait la saison de sa vie, il a quand même marqué énormément de buts. C’est sa force mentale qui m’a le plus impressionné. Il n’a jamais dévié de ses objectifs.
« Après la mort de Nahel, son message a été plus vu que celui d’Emmanuel Macron »
Il y a deux ans, alors que tout le monde le voyait au Real Madrid, il prolonge. Beaucoup de rumeurs ont circulé à ce sujet…
C’est évident qu’à l’époque, il y avait des enjeux politiques entre la France et le Qatar. Que Macron ait poussé pour qu’il prolonge, c’est une évidence. Après, c’est compliqué de démontrer si c’est ça qui l’a fait changer d’avis. Ce qui est sûr, c’est que Kylian Mbappé a averti le président du Real Madrid, Florentino Perez, le jour même de l’officialisation de sa prolongation avec le PSG. Ce qui veut dire qu’il était vraiment tout proche de partir. Ce que l’on peut dire, c’est que ce sont plus des éléments extra-sportifs que sportifs qui l’ont poussé à prolonger.
De ce que vous avez appris de Kylian Mbappé, quel regard portez-vous sur sa prise de position avant les législatives ?
C’est déjà la confirmation qu’il est devenu beaucoup plus qu’un footballeur. Dans le livre, je parle de ses prises de position au moment des émeutes, après la mort du jeune Nahel. Une enquête d’opinion a révélé que les Français estimaient, en majorité, qu’il n’était pas dans son rôle à ce moment là. Mais son message a été plus vu que celui d’Emmanuel Macron. De par sa notoriété, ses prises de position ne sont pas anecdotiques. Elles créent des réactions, en positif ou en négatif, mais elles ne laissent pas indifférents.
Aujourd’hui, vous qui l’avez longuement étudié, qu’auriez-vous envie d’écrire sur lui ? Vous avez déjà envie de rajouter des pages ?
Je pense qu’il va prendre une dimension encore supérieure au Real Madrid, mais il va d’abord falloir qu’il comprenne qu’il ne pourra pas faire à Madrid ce qu’il a fait au PSG. Il va certainement étoffer son palmarès avec des Ligues des Champions et qu’il va monter encore plus haut. La question qu’on peut se poser, c’est combien de temps ? Un interlocuteur me disait que le travail répétitif, ce n’est pas trop son truc. Pour l’instant, il a une bonne hygiène de vie, même s’il sort, qui lui permet d’être au top niveau et de ne pas se blesser souvent. Mais une fois qu’il aura gagné deux ou trois Ligues des Champions, est-ce que ça va être un Cristiano Ronaldo, qui se lève chaque matin avec l’envie de gagner encore plus de titres, ou est-ce qu’il va vouloir passer à autre chose et s’arrêter, comme Zidane ou Platini, à un peu plus de 30 ans ?
« Kylian Mbappé, né pour gagner », Mareuil Editions