jeudi 25 avril 2024

En Arménie, dans les pas de Youri Djorkaeff

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Reportage dans les pas de Youri Djorkaeff à Erevan. Le champion du monde 98, directeur général de la Fondation FIFA a participé au lancement du programme Campus, en faveur des enfants défavorisés. L’occasion d’en savoir encore un peu plus sur l’histoire de ce grand champion.

Ce dimanche après-midi, dans l’enceinte du stade de football de l’équipe nationale, l’ambiance est à la fête à Erevan, la capitale. Pendant toute une semaine l’ancien champion du monde de 1998, avec les associations et fondations partenaires, est retourné sur le terrain du ballon rond, mais, aussi, sur celui de la bienfaisance et du coeur. Avec sa casquette de Directeur Général de la Fondation FIFA, il a lancé un nouveau programme qui s’intitule Campus. « Pendant 7 jours, explique-t-il, nous avons permis à une centaine d’enfants défavorisés, qui sont soit des orphelins, soit issus de familles de réfugiés, de connaître et de pratiquer ce sport », explique l’ancien joueur du PSG (entre autres).

Pendant 7 jours, il n’y a pas que le ballon qui était à la fête. Les enfants ont été accompagnés personnellement par les équipes des partenaires de la Fondation FIFA : l’UNICEF, l’UNFPA, l’UNHCR et l’ONG My Forest Armenia. Des travaux pratiques ont permis aux jeunes de se familiariser sur les sujets de la santé mentale, de la résilience, de l’égalité des genres, de la nutrition.

Youri Djorkaeff, une âme d’enfant

En mars dernier, à Erevan, il fêtait ses 53 printemps. Youri est, toujours, à l’offensive. Il attaque, court plus vite, et, marque quelques buts. Il surprend. Il a des airs de « petit prince », celui que l’on appelait « le petit Mozart », dans les années 80. A l’époque, il officiait sous les couleurs du club de Grenoble. Il avait 15 ans. Depuis, il a gardé son âme d’enfant. Ce dimanche après-midi, en remettant les diplômes, qui valident et officialisent la semaine vécue au Campus par cette jeunesse défavorisée, Youri se souvient de ses premières années. « Avant de devenir professionnel et de jouer au football, j’ai, d’abord, pratiqué le judo, le tennis, la natation, et, l’athlétisme. »

Comme son père, le second d’une fratrie de trois garçons, va s’essayer au football. Son père est un joueur professionnel, qui portera une cinquantaine de fois les couleurs de l’équipe de France. La seule condition, se souvient Youri, « était de réussir en même temps mes études. Mes parents m’ont toujours dit que je pouvais jouer au football tant que je suivais les cours à l’école. » Il se rappelle ces longues journées qui commençaient à 7h00 du matin pour se terminer après 22h00. A Lyon, une fois les cours terminés, il courait à l’entraînement. « J’avais 10, 12 ans, raconte-t-il. Je ne pensais pas devenir professionnel. Mais, je voulais jouer à un bon niveau. J’avais trois entraînements par semaine, plus les matchs le week-end. La compatibilité avec l’école était souvent difficile. » Travailleur, l’enfant, qui a vu son père à la télé, s’endort le soir fatigué. C’est une saine fatigue où tous les muscles qui se sont exprimés, ceux de l’intelligence, comme ceux du physique, se reposent enfin. Le jeune Youri rêve, sous les étoiles. Il se revoit sur le terrain du club de Décines. Il court derrière le ballon rond. Son frère Denis, son aîné de 3 ans, court à ses côtés. Ils se font des passes, sous le regard amusé et exigeant, à la fois, de leur père, Jean, leur entraîneur.

« 100% Français et 100% Arménien »

Quand on regarde cette fratrie, avec le dernier, Misha, qui a 6 ans de différence avec Youri, la curiosité et le questionnement vous viennent à l’esprit. Les années auraient dû les séparer ; les rapports de force, les complexes et les jalousies, les éloigner les uns des autres. Rien de tout cela chez eux. Bien au contraire, au fil des années, au fil de leur professionnalisation dans le milieu du football, au fil des succès, et, à la vitesse de l’étoile montante qui deviendra « champion du monde » en 1998, leur fratrie s’est consolidée.

Si le ballon rond en est l’élément le plus visible et le plus marquant, deux autres éléments sont à prendre en compte. Ils portent un seul nom : ARMENIE. Comme la plupart des familles aux racines arméniennes, la famille Djorkaeff est victime du génocide en 1915. Youri connaît son histoire familiale par cœur.

« Mes grands-parents, du côté de ma mère, Marie, étaient de Bursa, une ville de Turquie, dans l’ex-Arménie Occidentale. Ils ont vécu le génocide et ont été déportés à Alep. Puis, ils sont venus à Beyrouth, et, enfin à Marseille. Du côté de mon père, nous sommes d’origine Kalmouk, en Mongolie. J’ai, aussi, une grand-mère polonaise. Avec mes frères, si nous sommes très soudés, c’est certainement grâce à nos valeurs familiales arméniennes, et, à ce doux mélange de nos origines. Nous nous faisons une grande confiance, et, je peux souvent me reposer sur eux. »

Youri n’a pas oublié ses racines et ses valeurs. Les succès ne lui ont pas fait tourner la tête. Lui, qui se trouvait aux obsèques de Charles Aznavour, décédé le 1er octobre 2018, pourrait reprendre à son compte la célèbre déclaration d’amour de son ami : « Je suis 100% Français et 100% Arménien ».  En Arménie, Youri y met les pieds la première fois, avec toute la famille, en 1999. Depuis, il s’y rend régulièrement plusieurs fois par an. Il s’est impliqué dans de nombreux projets humanitaires. Il se souvient de la guerre de 2020, qui a frappé son pays venu secourir les populations arméniennes du Haut-Karabakh, en République auto-proclamée Artsakh.

Au chevet de l’Arménie

« Nous étions-là. Ce qu’il s’est passé, c’est que pendant ces 44 jours de conflit, qui se sont déroulés entre le 27 septembre et le 10 novembre, l’angoisse et l’incompréhension étaient totales. Nous interrogions l’Elysée, les gouvernements français et arménien. Le 45ème jour, lors de la défaite et du cessez-le-feu définitif, l’Elysée m’a appelé pour me demander d’accompagner des convois humanitaires. J’ai répondu oui avec une seule condition : que cette aide soit continue. Le Président Emmanuel Macron m’a certifié que son engagement était sur le long terme. » Fin novembre 2020, Youri se rend, donc, en Arménie. Il accompagne le convoi humanitaire. Puis, il revient, en privé, pour passer Noël avec des réfugiés à Erevan. A la suite de la guerre, des dizaines de milliers de familles ont dû abandonner leur maison au profit des Azéris, pour se réfugier, principalement, en Arménie. Depuis, l’entrée en Artsakh lui est refusée par le ministère des Affaires Etrangères Azerbaïdjanais. Youri s’interrompt un instant. Un enfant lui apporte un ballon pour son autographe. Il signe. La discussion reprend sur la politique. L’Arménie, depuis sa défaite de 2020, vit dans une certaine instabilité. Les manifestations et l’opposition ont obtenu la démission forcée du Premier ministre, Nikol Pachinian, qui assure l’intérim gouvernementale jusqu’aux élections législatives anticipées du 20 juin prochain. Pour le champion du monde, l’Arménie est une jeune pousse démocratique. « L’Arménie a compris une chose, c’est que le vote est démocratique. Il y a un désir de la population qui souhaite plus de transparence. Avant, il y avait beaucoup de flou. Aujourd’hui, elle a accès à de l’information. Et, c’est elle qui décidera. Elle a été traumatisée par la guerre et la défaite incompréhensible par rapport aux moyens mis en place. L’Arménie doit se reconstruire sur des bases solides. Et, offrir un avenir à sa jeunesse. »

Un ambassadeur au cœur d’or

La jeunesse, celle qui est la plus défavorisée, est devenue son nouveau cheval de bataille. Lui, qui n’a pas eu de ballon d’or, aura peut-être un jour le cœur d’or ? Sur le terrain arménien, il a offert pour ces 50 jeunes filles et ces 50 garçons, les meilleurs coachs d’Europe, toute l’équipe locale de la FFA, et, celle de l’équipe nationale. « Ce qui a été étonnant, pendant cette semaine, c’est qu’il y a déjà 7 filles qui souhaitent s’inscrire dans les clubs, s’enthousiasme Youri. Pour la première fois, elles ont joué au football, et, elles ont vraiment aimé. Elles veulent continuer l’aventure. Ce qui est magnifique, c’est que le lancement de ce campus a lieu ici en Arménie. Je me souviens qu’un de mes premiers déplacements en tant que CEO de la Fondation FIFA avait été au Brésil, en 2019. Un jeune d’une ONG m’a interpellé pour me dire : ‶nous nous sentons seuls. ″ Nous allons, donc, aider toutes ces petites ONG qui travaillent souvent dans l’ombre sur le terrain. Et, nous commençons, ici, en Arménie. » Youri est passionné par ses nouvelles missions. Il ne dort pas beaucoup. Le ballon rond, la pelouse verte, les co-équipiers, les coachs, le staff, les supporters sont son univers depuis une quarantaine d’années. Aujourd’hui, il est devenu l’ambassadeur du ballon rond qui transforme les coups de pied arrêtés, en coups de cœur continuels. Il rentre bientôt à Paris. Puis, direction Zurich, où se trouve le siège de la FIFA. Il y retrouvera, aussi, sa famille, ses deux garçons et sa fille. Avant de reprendre son bâton de pèlerin, et, de se rendre dans un autre pays pour lancer le deuxième Campus de la Fondation, il confie sur la Francophonie : « La culture et la langue française sont importantes. Il faut garder cet esprit français d’aider, de développer et de soutenir les communautés qui en ont besoin partout où c’est possible. »

Antoine Bordier

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