A l’occasion de la sortie de son livre, « Balles neuves », rencontre exclusive avec Henri Leconte. Le vainqueur de la Coupe Davis 1991, finaliste de Roland Garros en 1988, répond à toutes nos questions sans langue de bois, avec les mots vrais d’un ancien champion qui va de l’avant tout en se servant de son passé.
Après « Je voulais vous dire », vous publiez un nouveau livre, vous aviez encore des choses à dire ?
Ce livre n’a rien à voir, c’est complètement différent. Mes deux livres précédents n’ont rien à voir avec celui-ci. Celui-ci, c’est une vraie recherche personnelle. Je suis allé bien au delà… Avec plus de recul, plus de sérénité. Je reviens sur un parcours, avec des échecs, des joies, des peines… Il y a de la souffrance, de la résilience. Avec du recul, je comprends certaines décisions, je me comprends moi-même. C’est un vrai parcours de vie.
Une vraie autobiographie, qui dépasse le domaine sportif…
Oui, C’est sur l’homme. Comment l’homme a évolué. J’arrive à un âge, à 60 ans, et j’ai pu comprendre, analyser les différentes directions que j’ai pu prendre.
« L’analyse de ma défaite en finale de Roland Garros, de mon discours… elle est forcément différente aujourd’hui »
Vous regardez forcément certains épisodes de votre carrière de façon différente…
(Il coupe) C’est évident…
Le meilleur souvenir de votre carrière, c’est toujours le même, avec le recul ?
Bien sûr que c’est le même. Ça restera toujours la victoire en Coupe Davis en 1991. C’était un moment tellement incroyable, tellement fantastique pour moi. Une renaissance, une délivrance. Revenir de nul part pour gagner cette Coupe Davis avec Guy, avec Yannick, avec les copains, 59 ans après, ce sera toujours le plus beau souvenir de ma carrière, c’est évident.
Et le pire souvenir ?
Le pire, ça reste cette finale de Roland Garros. Même si aujourd’hui, je l’analyse complètement différemment. Elle est moins pire, mais elle est dans mes souvenirs chaque année, quand j’arrive à Roland Garros. Ce jour-là, j’ai raté mon match, mais en face, c’était le n°1 mondial, ce n’était pas n’importe qui. Le fait d’avoir perdu, en tant que Français, d’avoir perdu de cette façon… L’analyse de cette défaite, de mon discours, elle est forcément différente aujourd’hui.
La fois où vous avez été le plus content de vous c’est lors de la victoire contre Sampras en finale ce Coupe Davis ?
Il y a eu aussi beaucoup de matchs incroyables… Contre Becker à Roland Garros… Mais bien sûr, si je dois en retenir un, c’est cette victoire à Lyon. Parce que c’était David contre Goliath. Le 159ème joueur mondial qui bat Pet Sampras, le n°3 mondial.
Y repenser, ça vous rend fier de votre carrière ?
Quand on lit ce livre, on voit aussi beaucoup d’humilité, d’acceptation… J’ai accepté beaucoup de choses aujourd’hui, que je n’ai pas toujours acceptées. Fier oui, avec tout ce que j’ai pu vivre. Toutes les opérations du dos et les problèmes que j’ai pu avoir. Je suis fier de ce que j’ai fait, parce que j’étais passionné. Parce que, aussi, le public m’a poussé, m’a permis de revenir, de me dépasser. Ce sont énormément de choses qui vous permettent de mieux vous connaître et de faire la part des choses.
« Si j’avais pu gérer mes émotions, j’aurais été plus performant »
La fois où vous avez été le mois content de vous ? On suppose que c’est après la finale de Roland Garros…
Il y a un parcours magnifique à Roland Garros cette année-là, même si on se souvient surtout de la finale. Avant, il y a eu une communion magnifique avec le public. Je n’ai pas su gérer mes émotions. On se rend compte qu’aujourd’hui, les émotions, c’est ce qui nous guide. On a vu un Alcaraz qui a perdu tous ses moyens face à Nenad Djokovic, cette année à Roland Garros…
En gérant mieux vos émotions vous auriez pu être numéro 1 et gagner un grand Chelem, être un plus grand champion ?
Bien sûr. Bien sûr (il répète). C’était une génération, où on ne pouvait pas réellement parler de ça. Quand on avait un problème, si on allait voir un psy, on disait qu’on était malade, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Si j’avais pu gérer mes émotions, j’aurais été plus performant. Déjà, j’aurais été moins souvent blessé. Et j’aurais peut-être fait des choses différemment… On ne peut pas le savoir, on ne peut pas revenir en arrière. Ce qui est important aujourd’hui, c’est de comprendre ce qui s’est passé, et de le partager. Peut-être, le retransmettre à certains, pour qu’ils puissent être plus forts.
…
Ce que j’ai fait, aujourd’hui j’en suis fier. Mais c’est important, dans une vie de sportif de haut niveau, de comprendre pourquoi les choses se passent. On apprend plus d’une défaite que d’une victoire. Une victoire, c’est très éphémère. Il faut l’analyser, la comprendre, pour la réaliser encore une fois. C’est ça, la force des très grands champions. Roger Federer, Rafaël Nadal et Nenad Djokovic, ils ont fait ça toute leur carrière. Ils ont gagné plus de 60 grands chelem à eux trois ! On ne le révéra plus jamais. Pour en arriver là, il y a un vrai travail sur l’humain, sur soi-même, avec beaucoup d’abnégation, de confiance.
« Ecouter ma passion a été mon meilleur choix. J’y ai puisé, une force, une puissance… »
Le meilleur choix que vous avez fait durant votre carrière ?
Le choix de ma passion. Ecouter ma passion. Ma passion m’a sauvé. La passion pour mon sport, j’y ai puisé une force, une puissance… C’est ce qui m’a sauvé ! Après, on fait des choix. C’était Patrice Dominguez, c’était Ion Tiriac, qui est venu me chercher quand j’avais 13/14 ans… Ce sont des rencontres. Il y a des bonnes et des mauvaises rencontres. Parfois, on veut tellement sauver les autres… Mais les autres, on ne peut pas les sauver.
Votre pire choix ?
Il n’y en a pas… Déjà, on ne choisit pas, on le sait seulement après. Ça peut être une mauvaise rencontre, un mauvais match… Mais tu ne choisis pas de faire un mauvais match. Après, il faut assumer. Il y a forcément des choix qui n’ont pas été bons, mais tu ne peux pas le savoir tant que tu ne l’as pas vécu.
Mais il y a bien des choses que vous regrettez ?
Bien sûr, sans doute…. Mais il faut l’accepter. On ne vit pas avec le passé. Il faut avoir beaucoup d’humilité et se dire, « c’est le passé, ce que je veux, c’est avancer ». C’est un travail sur soi. J’ai beaucoup fait ce travail et je suis plus serein.
On appelle cela aussi de la maturité…
Bien sûr, j’ai 60 ans et j’ai fait ce travail d’acceptation. Avec une chose très importante : être à l’écoute. On est enfermé dans un système très exigeant, qui vous demande beaucoup de sacrifices. Il faut savoir écouter son corps, mais aussi son cœur. Aujourd’hui, je sais ce que je ne veux plus.
Depuis 1988, ça fait 25 ans, aucun français n’a été en finale de Roland Garros, comment l’expliquer ?
On a quand même eu une belle génération, même si elle a été critiquée, avec Clément, et Tsonga notamment, qui ont joué des finales à l’Open d’Australie. On a eu des demi-finales à Roland Garros… Je crois qu’aujourd’hui, on est dans une période de petite « cassure ». Il a y a eu du relâchement dans la sélection et sans doute aussi dans le recrutement. On s’occupait beaucoup de Roland Garros, un peu moins des clubs, un peu moins des jeunes. Après, le plus important, ce sont les joueurs. Ce sont eux qui doivent faire des choix. Aller voir ailleurs, ne pas rester dans son cocon, tranquille. Après, il y a le travail. La chance, on l’a provoque par le travail. Ça se construit, ça met du temps. C’est un peu plus difficile aujourd’hui, parce que le tennis est devenu très compliqué.
« Il faut que l’on fabrique un vrai joueur de terre-battue »
Tout est fait aujourd’hui au niveau de la fédération pour permettre l’éclosion d’un futur vainqueur de Roland Garros ?
Il faut qu’on prépare un vainqueur de Roland Garros, en regardant ce qui se fait en Espagne par exemple. Je me souviens, quand on jouait Roland Garros avec Yannick, on se préparait deux mois et demi avant. On s’entraînait sur terre-battue. Aujourd’hui, on ne prépare pas un joueur sur terre-battue, on prépare un joueur pour gagner des tournois. C’est une vraie discussion à avoir au sein de la fédération, un vrai travail, une vraie organisation qu’il faut mettre en place, et ça ne se fait pas du jour au lendemain.
Est-ce que les joueurs sont prêts pour ça ?
Bien sûr… Il faut aussi gérer la pression supplémentaire quand vous jouez à Paris. Cette pression, il faut savoir l’utiliser pour être encore plus fort. Une joueuse comme Caroline Garçia a du mal à performer à Roland Garros à cause de ça. Ça se travaille… Il faut aussi savoir utiliser des anciens champions, pour pouvoir aider la nouvelle génération qui arrive. Il faut sincèrement que l’on fabrique un vrai joueur de terre-battue.
Commencer par distribuer votre livre aux jeunes joueurs, ça pourrait les aider ?
Ça peut aider tout le monde. Dans le sport, dans la vie… Quand j’étais jeune, j’ai appris beaucoup en lisant les livres de Mike Horn (aventurier célèbre pour ses expéditions, notamment au Pôle Nord, Ndlr). J’ai lu le livre de Thomas Pesquet (astronaute français ayant passé près de 400 jours dans l’espace, Ndlr). On apprend des autres, même dans d’autres domaines. Je souhaite partager, leur dire qu’on est avec eux. Quand on sort un livre, c’est une partie de soi qu’on met à découvert. Ça sort des tripes. Pour faire ce livre, pour être vrai, j’ai travaillé sur mes propres souffrances. On a tous nos propres souffrances, il faut les accepter.
« Balles neuves », c’est un nouveau départ ?
Balles neuves, c’est quand on repart. Pas de zéro, mais avec un « bakground », un bagage, que l’on accepte ou qu’e l’on n’accepte pas, et qu’on travaille dessus pour être encore plus fort et plus performant.
Balles neuves, autobiographie. Chez Marabout, collection « Sports ». 192 pages. Dans toutes les bonnes librairies. Préface de Jean-Paul Loth.