mercredi 24 avril 2024

Julian Alaphilippe : « Prendre du plaisir sur les routes »

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Arnaud Bertrande
Arnaud Bertrande
Rédacteur en chef — Pole Sport Lafont presse

Interrogé par Le Quotidien du Sport et Le Sport, à l’occasion de son livre autobiographique, “JULIAN”, le double champion du monde revient sur son exploit et aborde son état d’esprit au moment d’attaquer 2022.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?

J’ai eu beaucoup de demandes pour faire ce genre de projet que ce soit un livre, un documentaire ou même Netflix. C’est vrai que cela a été une année très chargée pour moi donc je voulais accepter la demande de manière à pouvoir garder une trace de la saison qui a été riche en émotions où beaucoup de choses se sont passées, que ce soit dans ma carrière, mais aussi dans ma vie.

Cela a-t-il été difficile de parler de votre intimité ?

Ça a été plutôt naturel, très simple, il n’y a pas eu de complication. C’était aussi un de mes souhaits de vouloir être transparent. Ne pas cacher les mauvais moments ou les déceptions. Je ne voulais pas que les gens lisent le livre et se disent qu’il n’y a que des trucs super chouettes. J’ai vraiment retracé toute l’année du mieux possible, que ce soit sportivement ou personnellement. J’ai l’impression que, quand on lit le livre, on se replonge vraiment dans la saison et c’était mon souhait.

Le livre, un hommage à son fils

Ce livre, c’est sur votre année de champion du monde, il y a eu un deuxième titre cette saison alors y aura-t-il un tome 2 ?

(Rires) Honnêtement, je ne sais pas, ce n’était pas prévu que je redevienne champion du monde. C’est ce qui fait la particularité de ce livre. Vraiment, je me suis livré en retraçant mon année 2021, sans imaginer que j’allais le redevenir.

On voit vraiment mes incertitudes et les mauvais moments, on peut lire aussi toute la part de préparation. On peut se plonger dans la saison, on voit vraiment que j’avais ça comme objectif en fin de saison et on voit que cela a marché donc c’est super, mais je ne pense pas tout de suite à refaire un deuxième livre.

Le livre : le trophée d’une année 2021 exceptionnelle

Avez-vous eu envie d’écrire pour rendre hommage à votre fils né cette année ?

C’était un tout, ça faisait un petit moment qu’on me posait la question et puis là, c’était la bonne année pour le faire avec la naissance de mon petit garçon et la saison avec le maillot de champion du monde. Qu’il y ait des bons moments, des mauvais moments, des victoires des déceptions, c’était le bon moment pour partager avec le public, les supporteurs, mais aussi pour moi. C’était chouette de faire ce livre qui retrace cette année ultra importante pour moi.

Vous allez avoir 30 ans en 2022 (le 11 juin), comment le vivez-vous ?

Ça passe très vite, je reste quand même jeune, mais dans une carrière cycliste je suis plus ou moins à la moitié. Je me revois néo pro dans l’équipe, le plus jeune à 21 ans. Maintenant, j’ai 30 ans quasiment, ça passe vite et ça permet aussi de retracer le chemin parcouru et de surtout viser les objectifs et les courses que je rêve de gagner encore.

Avez-vous envie de montrer une image plus attractive du cyclisme ?

Pas spécialement. Ecrire ce livre pour être un ambassadeur du cyclisme, ce n’est pas du tout le projet. Je pense que j’essaye de faire au mieux pour prendre du plaisir, être épanoui dans ce que je fais et donner une bonne image du cyclisme. Je le fais depuis toujours, à partir de là ce n’était pas une nécessité d’en rajouter moi-même.

Alaphilippe, pas une star

Comment gérez-vous votre popularité et votre nouveau statut de star ?

Je ne me considère pas trop comme ça. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que je n’ai jamais changé. Après, bien sûr, il y a beaucoup plus de sollicitations qu’au début de ma carrière. Plein de choses ont changé, j’essaye du mieux que je peux d’être disponible avec mes supporteurs, avec les médias et avec le public. Il me le rend bien d’ailleurs, après bien sûr, il faut savoir se protéger, garder du temps pour soi, surtout maintenant avec mon petit garçon. On gère au mieux et je pense que c’est très important de garder une part de jardin secret.

Comment avez-vous géré cette popularité ?

C’est venu assez spontanément, dans le sens où comme je l’ai dit, je suis toujours resté le même, cela ne m’a pas vraiment changé. Après oui, il faut toujours garder une part pour soi, les sollicitations cela fait partie de mon métier, beaucoup plus ces dernières années, mais ça me plaît aussi. Je suis content de partager quand ça va, quand ça ne va pas. Quand je me lève et que je pars rouler, je n’ai pas 50 photographes devant chez moi donc ça va, je m’en sors bien.

Alaphilippe veut encore briller sur le Tour

Votre rêve, c’était d’être champion du monde, vous l’avez exaucé, quel est le prochain ?

Je l’ai réussi oui, deux fois, c’était même inespéré. Là, clairement, l’objectif, c’est de prendre du plaisir et d’être présent sur les rendez-vous que je vais me fixer. Ils ne sont pas encore établis à l’heure actuelle même si j’ai déjà une idée dans ma tête avec les classiques ardennaises et le reste. Le stage que l’on va faire en décembre va permettre de finaliser la perspective de l’année prochaine. Et après débutera la préparation. Il y a les classiques ardennaises bien sûr, mais j’aurais envie de briller au Tour encore et dans d’autres courses que je rêve de gagner.

Les Mondiaux pour faire la passe de trois, estce exclu en Australie au vu du parcours ?

Non, ce n’est pas exclu. Pour l’instant, on a très peu d’informations. Le peu que je sais, c’est que ça risque d’être un championnat du monde taillé pour les sprinteurs. Donc, voilà, je serai quand même très content si je suis sélectionné et de faire le boulot pour l’équipe de France.

« Douter nous permet de nous remettre en question et de progresser »

A l’aube de vos 30 ans, qu’est-ce qui change dans votre manière d’aborder les courses ?

Je fais toujours ça avec plaisir, envie et motivation. Je pense que c’est ce qui me donne ce feulà en moi. Le jour où je n’aurai plus ça, ce sera l’heure d’arrêter. Je sais aussi qu’il ne me reste pas 10 ans au plus haut niveau. Les prochaines années vont être importantes pour justement me fixer des objectifs et ne pas vouloir être partout que ce soit sur des monuments, certaines classiques ou sur le Giro pour la première fois.

Il y a plein de choses qu’il faut bien définir à l’avance pour ne pas se louper, c’est important pour moi de bien caler tout ça, je veux vraiment continuer les années qu’il me reste au plus haut niveau. Je ne veux pas finir en faisant des courses sans être au niveau auquel je peux être. Le jour où je ne suis plus performant comme je sais comment je peux l’être pour moi, c’est l’heure de tirer le frein et de faire autre chose.

Alaphilippe ne veut pas se passer du Tour

Pourriez-vous envisager de faire une saison sans le Tour de France à l’image de Romain Bardet ?

C’est envisageable, mais j’ai du mal à me dire que je ne ferai pas le Tour. Cette course, on en rêve tous. Je me rappelle encore de ce que j’ai pu ressentir avant de participer à mon premier en 2016. C’est vraiment une émotion à part, c’est un peu le fer de lance d’une saison. Même si on peut préparer des objectifs avant et après le Tour, cela reste toujours le point de mire d’une saison. M’imaginer faire une saison sans le Tour, ce serait un peu difficile, en tout cas je n’y pense pas maintenant.

Quelles sont les courses que vous n’avez pas encore remportées et qui vous font rêver ?

Les courses qui me font rêver et où j’ai envie de reprendre le départ avec l’ambition de gagner, c’est Liège, le Tour de Lombardie, le Tour des Flandres. Des courses où j’ai performé, mais je n’ai pas gagné, ce sont des objectifs que je me fixe d’ici la fin de ma carrière. C’est ce qui me donne la motivation et l’envie de continuer.

Julian Alaphilippe : « Je pourrais échanger un de mes titres de champion du monde contre une victoire dans le Tour »

Disputer les Jeux Olympiques, ça vous fait rêver ?

Oui bien sûr, Paris 2024, c’est dans un coin de ma tête. Je n’y pense pas tous les jours quand je me lève parce que c’est encore très loin, il y a beaucoup de choses à faire d’ici là, mais je sais pourquoi je ne suis pas allé à Tokyo, et je sais pourquoi j’irai à Paris.

Seriez-vous prêt à échanger un de vos titres de champion du monde contre une victoire dans le Tour de France ?

Oui bien sûr en sachant que j’en garderais quand même un ! Un Tour de France au palmarès, je pense qu’aucun coureur ne dira le contraire.

Julian Alaphilippe : « J’ai conscience de ce dont les gens rêvent »

Cela vous fatigue-t-il l’attente autour de vous pour être le successeur de Bernard Hinault ?

Non, ça ne me fatigue pas dans le sens où j’ai toujours pris beaucoup de recul, sur ce que je fais, sur ma carrière, sur ce que j’attends de moi. J’ai conscience de ce dont les gens rêvent.

Enormément de gens veulent voir un vainqueur français sur le Tour, et j’en fais partie, je serais super content pour celui qui va y arriver, ou même moi si je me fixe cet objectif et que j’y arrive, ce serait vraiment l’apothéose. Après, je me fixe tellement d’objectifs à côté du Tour que je sais que je ne peux pas être partout.

J’ai pris cette option de préparer les classiques et d’être prêt pour le Tour, mais peut-être pas dans l’optique d’un classement général. C’est un choix, il y a d’autres coureurs qui misent tout sur le Tour et qu’on voit moins en début de saison.

Il y en même qui sont bons toute la saison. Moi j’ai toujours pris du recul à me dire de rester concentré dans ce que j’ai à faire moi, de ce dont je rêve moi plutôt que d’être là où les gens veulent te voir, c’est déjà assez difficile comme ça, il faut toujours relativiser. Il y a de l’attente, c’est normal, mais j’espère que ce sera vite terminé et qu’un Français gagnera le Tour.

« Je m’entends avec beaucoup de coureurs »

Votre oncle Franck est persuadé que vous pouvez le gagner, est-ce vous qui ne voulez pas vous mettre trop de pression ?

Une chose est sûre, c’est que le jour où je décide de tout miser sur le Tour et de vraiment partir dans cette optique-là, que ça marche ou que cela ne marche pas, je ne le crierai pas sur tous les toits. Il y a déjà assez de pression comme ça et je pense que cela ne sert à rien d’en rajouter. L’année où j’ai fait 5ème (en 2019, Ndlr) peut-être qu’on a tout oublié, mais au départ personne n’imaginait que je pouvais atteindre cette place.

Avez-vous des amis proches dans le peloton en dehors de votre équipe ?

Oui, bien sûr, je m’entends bien avec beaucoup de coureurs. Après, les amitiés les plus proches restent dans mon équipe, ce sont des mecs avec qui je passe plus de la moitié de l’année.

A l’époque où vous étiez dans l’équipe de l’Armée de Terre, imaginez-vous faire une telle carrière ?

Non jamais, à cette époque-là, j’étais déjà très heureux de faire du vélo en amateurs. J’avais soif de victoire et l’envie de progresser, de montrer de quoi j’étais capable. Mais jamais je n’avais imaginé être à Quick Step, gagner des courses et devenir champion du monde !

Arnaud Démare a lui aussi sorti un livre « Une année dans ma roue.» Qu’en avez-vous pensé ?

Oui, j’ai vu qu’il faisait sa promo, mais je ne l’ai pas encore lu, mais j’espère le lire.

Alaphilippe a fait l’Armée avant de pédaler

Il a émis des doutes sur certaines pratiques dans le peloton, vous arrive-t-il vous aussi de douter de certains coureurs aujourd’hui encore ?

Tout le monde peut s’interroger, mais à partir du moment où l’on sait ce qu’on fait et qu’on est tranquille dans ses bottes, moi je n’ai pas de problèmes comme ça, et même si des coureurs sont meilleurs que moi du moment où on commence à avoir des doutes, dans ces cas-là cela ne sert à rien d’aller s’entraîner.

Pour vous, c’est quoi la plus grande joie du cyclisme ?

Le fait que ce soit un sport populaire et gratuit pour les spectateurs sur le bord des routes et pour moi cela reste une passion.

Peu de gens s’en rappellent, mais vous avez fait du cyclo-cross.

J’ai toujours adoré ça, j’en ai fait en cadets, juniors et en espoirs. J’étais en équipe de France à faire les différentes compétitions. A cette époque-là, c’était pour moi à la bonne franquette, on partait en camion en Belgique ou aux quatre coins de la France.

Vous avez aussi passé une année à l’Armée de Terre comme on le disait.

J’avais 18 ans, j’ai découvert le cyclisme amateur au plus haut niveau, le fait de s’entraîner tous les jours. Il y avait des coureurs expérimentés avec qui j’ai appris les valeurs. J’habitais aussi à la caserne donc c’était un peu la débrouille.

Alaphilippe doute beaucoup

Doutez-vous beaucoup ?

Je peux presque dire tous les ans, même là je viens d’être champion du monde, j’ai coupé et je viens de revenir et j’ai plein de doutes. J’ai fait 2h de vélo, j’ai été nul et tu te dis comment je vais pouvoir gagner une course dans quelques mois. C’est ce qui nous remet en question et nous permet de progresser.

Quel a été déclic pour vous ?

2018 quand j’ai gagné ma première Flèche Wallonne devant Valverde.

Et l’année de la maturité ?

2019, une super année pour moi au niveau sportif. J’ai vraiment réussi à me canaliser pour pouvoir mettre la balle au fond et ne pas se contenter des places d’honneur.

Quand avez-vous commencé à gagner de l’argent avec le vélo ?

En 2014, avec mon premier contrat pro. Je sortais de l’Armée de Terre où je touchais le SMIC, le salaire minimum des pros à l’époque, c’était aux alentours de 3000 €.

Pensez-vous à la retraite ?

Le jour où on commence à y penser, c’est que ça sent mauvais. Il me reste des années, je ne les compte pas.

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