mardi 10 décembre 2024

Jumbo-Visma et Soudal Quick Step, les vraies raisons de la fusion ratée

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

Pendant quelques jours, tout le peloton a retenu son souffle à l’annonce d’une fusion entre Jumbo-Visma et Soudal-Quick Step qui aurait profondément bouleversé la hiérarchie d’un peloton déjà très déséquilibré. Mais qu’on n’imaginait pas aussi fragile économiquement. Cet épisode est-il le symptôme d’un système à bout de souffle ?

Cet automne, le World Tour est passé tout près d’une véritable révolution… qu’eut été la fusion entre deux des meilleures équipes du monde, la Belge Soudal-Quick Step et la Néerlandaise Jumbo-Visma, toutes les deux fragilisées par la perte d’un partenaire.

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Même avortée, cette tentative a révélé au grand jour les failles d‘un modèle économique plus que jamais dépendant de quelques grands sponsors privés. Face à l’arrivée des partenaires étatiques aux moyens souvent illimités, à l’instar d’UAE Team Emirates, Bahrain ou Astana, voir Evenepoel, Alaphilippe, Van Aert, Kuss ou Vingegaard ne pas encore connaitre, le jour de l’annonce du tracé du Tour de France 2024, le nom de leur formation pour la saison prochaine était inédit et un peu inquiétant quand même.

Avant de trouver un nouveau sponsor titre, c’est sous le nom qu’elle portait lors de ses premiers jours d’existence, en 2013, à savoir Blanco Pro Cycling Team, que Jumbo-Visma avait déposé son dossier d’enregistrement pour la saison 2024…

« La glorieuse incertitude du sport est encore là. Mais pour combien de temps ? »

« On sent très bien que l’économie des équipes est instable, nous dit Philippe Raimbaud, agent historique et président de la première association internationale d’agents (World Association of Rider’s Agents, WARA). Cette tentative de fusion est plus surprenante, car elle concerne deux des meilleures formations du monde, mais [ elle est aussi révélatrice que la disparition de B&B Hotels-KTM il y a un an. »

Cette fusion avortée renvoie à celle, actée, entre Jayco AlUla et Liv-TeqFind dans le peloton féminin, mais aussi et surtout à la disparition de deux équipes ProTeam masculines, à savoir Human Powered Health et Bolton Equities Black Spoke. Ces dossiers seraient-ils le symptôme d’un système à bout de souffle ?

« Ça fonctionne encore et ça a toujours fonctionné comme ça, relativise Thierry Vitu, directeur de la communication et président de Cofidis Compétition. Je trouve surtout troublant de voir arriver de plus en plus d’investisseurs étatiques aux moyens illimités. Dans le futur, ça peut générer un cyclisme à deux vitesses sans équité sportive. »

Présent depuis 27 ans dans le cyclisme, si Cofidis « n’a toujours pas trouvé de bonnes raisons de s’en désengager », ça pourrait changer eu égard à l’évolution d’un World Tour de moins en moins homogène :

« Il faudrait réfléchir rapidement au meilleur moyen d’éviter que le fossé se creuse, poursuit Thierry Vitu, éviter de prendre le départ avec le seul objectif de se battre pour la 2ème place. Pour le moment, nous l’avons prouvé cet été sur le Tour en gagnant deux étapes, la glorieuse incertitude du sport est encore là. Mais pour combien de temps ? »

Un budget de 15 millions d’euros par an

En investissant autour de 15-16 M€ par an, « depuis 27 ans, ça fait quand même un gros montant ! », avant d’envisager de prolonger au-delà de 2025, Cofidis appelle donc de ses vœux la mise en place de barrières par l’UCI pour « empêcher la création de monstres au sein du peloton, des équipes capables de présenter des budgets énormes en réunissant les meilleurs coureurs du monde. »

En fusionnant, la Jumbo et Quick Step auraient fait partie de ces monstres. En restant chacun de leur côté, ils maintiennent le fragile équilibre entre « les formations classiques et historiques qui veulent faire du sport avant tout, celles, anglo-saxonnes, pour lesquelles le cyclisme est un business comme un autre, et celles qui s’appuient sur des Etats » note Philippe Raimbaud.

Pour réguler le marché, l’agent de Bryan Coquard ou Guillaume Martin ne croit pas au salary cap « car comment faire pour mettre Astana au même niveau qu’une formation comme Groupama-FDJ qui doit consacrer 25% de son budget à l’URSSAF ? Certes, pendant la crise sanitaire, les cyclistes français ont été les seuls à toucher leur paye, il faut savoir l’apprécier à sa juste valeur, mais en temps normal je ne vois pas comment l’UCI peut empêcher des grands patrons de se parler entre eux. C’est la vie des entreprises sur laquelle l’UCI n’a aucune prise. Si demain le boss de Cofidis a envie de se rapprocher d’AG2R pour créer une seule équipe, personne ne pourra rien y faire ! »

Des interrogations pour l’avenir des coureurs

En attendant, le peloton se préparait certainement à accueillir de nouveaux sponsors pour permettre aux coureurs de Jumbo-Visma et de Soudal-Quick Step de poursuivre leur carrière, éviter les inévitables licenciements qu’aurait engendré une fusion, sans lever les doutes sur leur avenir respectif : « Les deux formations sortent forcément fragilisées de cet épisode, souligne Philippe Raimbaud. Si, sportivement, ça va se voir beaucoup moins, structurellement, il demeure un gros point d’interrogation des deux côtés… »

« Dans un sport où l’investissement des sponsors privés est de plus en plus important, j’ai lu et entendu beaucoup de commentaires sur cet épisode, mais aucun qui remerciait Jumbo de tout ce qu’il avait apporté au cyclisme mondial, tient à préciser Thierry Vitu, pour conclure. J’ai forcément le regard d’un sponsor, mais je constate une fois de plus que c’est lorsqu’on n’est plus là qu’on nous regrette… »

Le message est passé en direction de tous ceux qui ont terminé la saison 2023 avec la certitude de poursuivre leur carrière en 2024. Désormais un vrai privilège.

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