jeudi 28 mars 2024

La chronique tactique de Noël Tosi : grandeur et décadence des centres

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Fort de ses 35 années d’expérience sur un banc de touche, Noël Tosi* offre son expertise de technicien au Quotidien du Sport. Retrouvez chaque semaine sa chronique tactique.

Lors d’un stage à Clairefontaine dans le cadre de l’obtention du diplôme d’entraineur professionnel. Il était convenu que les entraineurs qui avaient obtenus la note de 14 sur 20 lors de la session précédente, revenait pour « être » en situation l’année d’après, et ils devaient élaborer une séance sur un thème donné par l’encadrement.

Cette année là (on ne la citera pas , pour me rajeunir un peu !) Le sensationnel entraineur « Daniel Jeandupeux » se trouvait en situation. La direction technique de la Fédération Française de Football et son directeur technique de l’époque, Gérard Houiller, avait confié à Daniel Jeandupeux un sujet à traiter : « Les Centres ». J’étais à l’époque tout jeune entraineur, avide de voir comment cet entraineur d’exception allait traiter le sujet.

Des centreurs excentrés mais qui ne débordent pas

Daniel Jeandupeux organisait alors un jeu, huit contre huit, sur un demi terrain, avec un gardien de chaque coté.
 Le bloc équipe défensif était composé de deux fois quatre joueurs sur deux lignes.

Le bloc équipe offensif était composé, de deux défenseurs excentrés, sur leur mauvais pied (un droitier à gauche et un gaucher à droite)
. Une ligne de quatre avec un ailier gauche à droite (donc deux pieds renversés de chaque coté), et un ailier droit à gauche, faisant doublure avec son défenseur qui était lui aussi droitier.

Dans l’axe, deux attaquants formant avec la ligne de quatre et les ailiers, la ligne offensive d’un quatre-quatre-deux, avec deux ailiers pieds opposés et derrière eux deux défenseur, pieds opposés aussi.

Daniel Jeandupeux confiait le ballon systématiquement à l’équipe qui attaquait et jouait contre les deux lignes de quatre défenseurs. Lorsque le ballon arrivait dans les pieds d’un ailier, il demandait à celui ci de temporiser le jeu, de rentrer à l’intérieur puis de donner en retrait sur son défenseur.

Pendant le cheminement de ces deux passes, qui était quantifié à deux ou trois secondes, il obligeait les cotés opposés à se déplacer dans l’angle mort de la surface ou rarement les défenseurs se déplacent.

Tant et si bien que les centres distillés dans le dos de l’axe défensif central, par les ailiers, ou par les latéraux, trouvaient à chaque fois un joueur qui marquait. La particularité de ces centres c’est qu’ils étaient tous effectués en dehors de la surface de réparation. Jamais un ailier n’allait chercher la ligne pour centrer.

Daniel Jeandupeux à Gérard Houllier : « Moi je centre comme je veux et si je n’ai pas envie que mes ailiers aillent chercher la ligne »

A la stupéfaction générale, Gérard Houllier interrompait la séance, et invectivait Daniel Jeandupeux, en lui disant que ce n’était pas une séance sur les centres car les ailiers n’allaient pas chercher la ligne.

D’abord surpris, l’entraineur Suisse lui répondit calmement : « Moi je centre comme je veux et si je n’ai pas envie que mes ailiers aillent chercher la ligne, je ne vais pas chercher la ligne pour centrer, de toute façon seul le résultat compte : quatre centres, trois buts. »

Qu’est ce que le directeur technique nationale pouvait rétorquer à ça ?
C’est vrai que chaque entraineur fait centrer son équipe comme il en a envie.

Le plus drôle dans l’histoire c’est que Daniel Jeandupeux s’est tourné vers nous, les stagiaires en disant : 
« Il a du oublié la branlée que je lui ai mis en Suisse avec son, équipe de France. »

Les centres et leur qualité dépendent du joueur, certes, et de son talent, mais l’entraineur se doit de les diriger voire de les modifier pour des différents plans de jeu.

“Les centres sont des chocolats que l’on distille avec amour”


Lors d’un match de Ligue 2, je savais que la défense centrale de l’équipe adverse culminait à plus d’un mètre quatre-vingt-dix, et que le jeu de tête était son point fort. Peu d’équipes pouvaient s’ enorgueillir de marquer sur centres contre cette équipe.

A l’entrainement pendant toute la semaine j’ai demandé à mes ailiers de piquer tous les ballons afin qu’ils montent très hauts et redescendent au deuxième poteau, car mes attaquants étaient de très petites tailles (Aubanél,  1m70 , Grandet 1m 65) et ils n’avaient aucune chance de marquer sur des centre aériens normaux.

Ce jour là par deux fois mon équipe a marqué sur centre au deuxième poteau.

Les centres sont des « chocolats » que l’on distille avec amour. Et même si leur qualité dépend de la qualité technique du joueur, l’entraineur moderne doit aussi dire, et travailler ce qu’il souhaite, pour améliorer le liens entre ailiers, défenseurs ou milieux de terrains.

C’est en donnant les clés pour déverrouiller le problème posé par une défense que l’entraineur arrive à acquérir sa crédibilité.

L’entraineur directif peut être pas ! Mais l’entraineur qui trouve la véritable façon de centrer pour débloquer une situation sera aux yeux de ses joueurs un magicien de la dernière passe. Même si quoi qu’il arrive ce sont toujours les joueurs qui centrent.


*Premier technicien français à avoir entraîné aux Etats-Unis, Noël Tosi a commencé sa carrière sur un banc à l’âge de 27 ans. Passé par Grenoble, Nîmes, Gueugnon, Arles-Avignon, Angers et Cherbourg (entre autres) en France, il a aussi été sélectionneur du Congo et de la Mauritanie.

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