Symptôme d’un football français des clubs aux abois, la large réélection de l’ancien président de l’OM est aussi incompréhensible, eu égard au bilan catastrophique de son premier mandat, qu’inquiétante dans ce qu’elle révèle du manque de lucidité et de stratégie de présidents aveuglés par le court terme.
“Dans une entreprise normale, Vincent Labrune aurait été viré, cela ne fait aucun doute.” Economiste du football et directeur de recherche au CNRS, Luc Arrondel, comme beaucoup d’observateurs intrigués par les dernières élections à la présidence de la LFP, ne s’explique pas l’issue de cette élection sinon à considérer que « l’économie du football n’est pas une économie comme les autres. Les instances du foot gagneraient, comme c’est le cas en Angleterre et en Allemagne, à s’ouvrir au monde, à d’autres influences, notamment académiques, pour prendre du recul et augmenter leur capacité d’analyse et de créativité. »
En attendant, l’entre-soi manifeste qui règne au sein de l’instance du foot pro a écarté d’un revers de la main la candidature de Cyril Linette, sans même un regard pour les autres protagonistes, Gervais Martel, Christophe Bouchet, Stéphane Martin ou Karl Olive et Alain Guerrini.
« Le système électoral de la LFP n’en est pas vraiment un, rappelle Luc Dayan. Il s’apparente plutôt à de la cooptation entre amis. La soupe y est tellement bonne que ceux qui sont en place n’ont pas du tout envie que ça change. »
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Labrune a laissé un « bilan financier catastrophique à l’OM »
Hypnotisés par la personnalité atypique de Vincent Labrune, ses réseaux, sa faconde et l’impression qu’il donne de ne jamais douter de lui, la quasi-totalité des présidents a accepté sans broncher de lui confier leur avenir. Tout juste ont-ils émis du bout des lèvres quelques réserves sur une rémunération (1,2 M€ annuels) complètement déconnectée. Comme s’ils lui étaient redevables de les avoir mis sous la coupe de CVC Capital Partners pour l’éternité !
Le prix à payer pour un apport en cash d’1,5 milliard d’euros qui a empêché quelques dépôts de bilan ou plutôt qui les a remis à plus tard.
« Depuis une dizaine d’années, la LFP est gérée par des incompétents, poursuit Luc Dayan, c’est affligeant. Lorsque Vincent Labrune a quitté l’OM (après cinq ans de présidence entre 2011 et 2016, Ndlr), dans le cadre de la vente du club, j’ai eu l’occasion de consulter la situation financière qu’il avait laissée à Margarita (Louis-Dreyfus). Les comptes étaient dans un état catastrophique. Pourtant, encore aujourd’hui, personne n’en parle, tout est tu. »
D’un navire olympien alors en perdition à un football français proche du naufrage, l’ancien attaché de presse du service des sports de France Télévisions continue de naviguer à vue en faisant confiance à sa bonne étoile. A 53 ans, elle brille encore.
« Plus grand joueur de poker du foot français »
Mais ça pourrait ne pas durer. Les représentants de CVC lui ont demandé le remboursement d’1,5 M€ de salaires et de notes de frais non prévus dans le deal de départ. Une plainte pour détournement de fonds publics a été déposée en novembre 2023 par Anticor contre X au PNF (parquet national financier).
La LFP exerçant une mission de service public, via le Ministère des Sports et la FFF, on reproche à Labrune d’avoir octroyé cette délégation à CVC, un fonds d’investissement luxembourgeois qui n’a évidemment pas vocation à gérer, organiser et réglementer le football professionnel français.
Les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale qui a pointé du doigt, entre autres incohérences, le contraste entre le train de vie de la LFP et la situation économique des clubs, pourraient aussi remettre en cause l’incroyable baraka de celui que So Foot qualifie dans un récent portrait qui lui est consacré « de plus grand joueur de poker du foot français… ». Juste devant Gérard Lopez ?