lundi 24 mars 2025

Le cyclisme est-il raciste ?

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

L’éclosion de Biniam Girmay en 2022, premier coureur noir africain à remporter une Classique, masque le manque de diversité d’un peloton qui, malgré son incontestable ouverture au monde, n’est toujours pas un modèle de diversité et de mixité culturelle.

Après avoir intégré des coureurs venus des Amériques (du nord et du sud) et d’Océanie, l’élite du cyclisme international tarde à en faire de même avec l’Afrique et l’Asie.

Comme si le peloton buttait invariablement depuis des décennies sur la dernière marche vers une mondialisation qui ferait du vélo un sport vraiment universel, à l’instar du football, du basket ou de l’athlétisme, trois sports qui suscitent des vocations jusque dans des quartiers populaires où une jeunesse issue de l’immigration parvient à s’identifier à ses champions. Pourquoi n’en est-il pas de même avec le cyclisme ?

Pourquoi, par exemple, a-t-il fallu attendre le 18 juillet 2019 pour voir enfin une étape du Tour (la 12ème) traverser des quartiers populaires, en l’occurrence ceux de Toulouse ? Si l’association de Laurent Girard, Média-Pitchouns, qui milite dans le quartier de Bagatelle, depuis 2009, pour le développement du cyclisme dans un environnement qui ignore largement la pratique, est à la base de cette incursion en terre inconnue, c’est pour tenter de pallier le manque de considération du Tour pour des zones trop rarement traversées car peu télégéniques.

Les caméras préfèrent montrer des images de cartes postales. Les grands ensembles urbains sur lesquels repose la trop lourde responsabilité de l’intégration des populations immigrées n’en font pas partie. Paradoxalement, la plus grande manifestation populaire au monde n’a donc qu’un très faible impact dans ces zones dites « sensibles » qui constituent pourtant de précieux viviers à talents pour beaucoup d’autres sports. Un énorme décalage sépare les deux mondes et explique que peu de cyclistes pros en soient issus.

Bouhanni : « il serait bien qu’il y ait plus d’Africains et de Maghrébins… »

Même s’il n’a pas grandi en banlieue, mais dans les Vosges, Nacer Bouhanni est un des rares cyclistes de l’élite mondiale à avoir des origines nord-africaines (algériennes). Plus que de se positionner en porte-parole, son profil et son parcours le poussent à établir un constat implacable :

« Les jeunes préfèrent le foot, l’athlétisme, la boxe, le rugby où il y a plus de modèles à copier dans une diversité qui ne fait pas partie de la culture du cyclisme. Le vélo est pratiqué par une grande majorité d’Européens. C’est un constat. Je me sens bien dans ce milieu, je m’y suis épanoui mais, c’est vrai, ce serait bien qu’il y ait plus d’Africains et de Maghrébins. »

Et le sprinteur d’Arkéa Samsic de poursuivre en mettant l’accent sur une autre problématique essentielle, économique celle-là : « Le vélo nécessite un investissement important avec un matériel assez cher; les chaussures, le casque, les pédales, etc. c’est plus simple de faire du foot. J’étais passionné car mon père et mon frère étaient cyclistes, j’ai eu la chance d’avoir une famille qui était déjà dedans et qui m’a facilité les choses, mais je conçois que ça puisse être un frein pour beaucoup de gens. »

Le vélo, un sport d’élite ?

Moins glamour, moins sexy, moins bling-bling, plus ingrat, plus dur aussi dans l’effort qu’il demande, le vélo n’attire pas les jeunes des banlieues. Réputé conservateur, le cyclisme pro n’en fait clairement pas assez pour aller chercher d’autres profils et s’ouvrir à d’autres influences.

La sous-représentation des Africains ou des Asiatiques dans le peloton est la conséquence d’un immobilisme contre lequel l’UCI a décidé d’agir en créant notamment le CMC, centre mondial du cyclisme en Suisse, une structure née en 2002 qui commence à porter ses fruits.

L’émergence de Biniam Girmay, l’un de ses anciens pensionnaires, en est l’exemple le plus spectaculaire. Mais pour ne pas qu’il soit seulement l’arbre qui cache la forêt, il faudra en faire beaucoup plus. Des antennes du CMC ont été implantées en Afrique du Sud, en Corée du Sud, en Inde, au Japon, au Portugal.

Pour l’heure, 2000 athlètes de 235 nationalités y ont été formés. A l’instar du football, les Pays du golfe investissent également de plus en plus dans le vélo, dans le sillage du Tour du Qatar en 2002, d’Oman depuis 2010, de celui des Emirats Arabes Unis, à Bahreïn… en espérant que la présence du World Tour au Moyen-Orient suscite des vocations.

l’UCI s’empare du problème de la diversité

C’est aussi dans ce but que l’UCI a confié l’organisation des championnats du monde 2025 au Rwanda, dans la même logique que Timo Schäfer a créé en 2010 en Allemagne l’équipe Bike Aid pour faciliter l’accueil et l’intégration des coureurs africains en Europe. Sur fond de racisme latent, dans les pas de MTN-Qhubeka, cette initiative ne s’est pas faite sans difficultés, certains voyant d’un mauvais oeil la présence d’Africains dans le peloton.

Avant de prendre sa retraite en 2020, Kevin Reza (B&B Hotels/KTM), avait été victime de ces a priori, insulté par Gianni Moscon sur le Tour de Romandie 2017. En plus d’une suspension, le coureur italien avait été contraint par son équipe, la Sky, de suivre… un cours de sensibilisation à la diversité ! Un comble pour un des plus éminents représentants d’un sport qui se veut universel, mais qui a encore énormément de chemin à parcourir avant de prétendre l’être vraiment. Il y a deux ans, dans Le Parisien, Kevin Reza résumait la situation :

« Il est difficile de faire prendre conscience à certaines personnes que le cyclisme a besoin d’être rafraichi comme les autres sports parce qu’il y a beaucoup de sports qui évoluent sur ce point et qui progressent en ce qui concerne le racisme. Mais le cyclisme a beaucoup à apprendre et il est vraiment loin derrière. »

Tous les continents ne sont pas représentés

En attendant qu’un Chinois ou un Tunisien parvienne un jour à gagner un grand Tour ou un Monument, tous ceux qui rêvent d’un cyclisme pas uniquement réservé aux blancs ont placé tous leurs espoirs sur Biniam Girmay. En espérant que l’Erythréen de chez Intermarché-Circus-Wanty ait les épaules assez larges pour assumer ce que d’aucuns appréhenderaient comme un fardeau.

Pas lui. Après sa victoire sur Gent-Wevelgem en mars 2022, sa déclaration laisse à penser qu’il était prêt à endosser le rôle d’étendard : « Ça va tout changer pour moi, j’espère aussi que ça va tout changer dans un futur proche pour tous les coureurs africains… » et un peloton qui n’a encore jamais été black-blanc-beur.

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