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Le manager général de l’équipe Arkéa-B&B Hotels, Emmanuel Humbert se montre très alarmiste quant au modèle actuel du cyclisme.
Quel bilan faîtes-vous de la saison 2024 ?
Le bilan sportif est bon. On a effectué une belle saison. Peut-être la meilleure (9 victoires, Ndlr). Il y a eu notamment une victoire d’étape sur le Tour de France (Kévin Vauquelin lors de la 2ème étape, Ndlr). Cela montre le statut de l’équipe.
Qu’est-ce qu’il aurait fallu essayer de mieux faire encore ?
Dans le monde actuel, pour améliorer le sportif, ce n’est presque qu’une question financière. Elle apporterait une qualité sportive encore supérieure. Avec des coureurs plus forts, une structure plus forte. Dans ce cas, il y a moyen de davantage exister. Cependant, avec les moyens dont nous disposons, et la valeur de nos coureurs, par rapport à ce qu’on a fait et ce qu’on a, on s’est bien débrouillé.
À lireJonas Vingegaard a rendez-vous sur le Mont VentouxLa saison prochaine, il faudra faire sans Matis Louvel parti chez Israel-Premier Tech…
Oui mais il y en aura d’autres aussi. Il y a des départs et des arrivées. La vie cyclique de nos équipes est ainsi faite. Une équipe tourne avec des départs et des arrivées. Je rappelle également que Matis n’a fait que la fin de saison. Il n’a disputé que très peu de courses lors des six premiers mois.
« On se bat contre des mastodontes »
Une année 2025 décisive se profile pour la survie de votre équipe en World Tour (renouvellement des licences pour 2026-2028, Ndlr), cela vous préoccupe-t-il beaucoup ?
Avant de me préoccuper de cela, il s’agit aussi de revoir profondément le modèle de nos équipes. Elles sont en danger par rapport à de grosses structures. On se bat contre des mastodontes. On essaie de faire au mieux avec ce que l’on a (sic). Après, si nous ne sommes plus World Tour, c’est bien dommage. Mais, si cela arrive, c’est qu’on n’aura pas pu faire différemment.
Vous avez évoqué dans Ouest France votre inquiétude sur la fragilité du modèle économique du cyclisme français, que faudrait-il changer ?
Déjà, il ne faut surtout pas perdre la base. On doit trouver des moyens. Au moins, conservons cette base de minimes, de cadets, de juniors, qui pratiquent le cyclisme. Après, seulement peut-être qu’on fabriquera des champions. Cependant, il n’y a aucune certitude. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut conserver cette motivation, cette envie émanant des parents et des jeunes athlètes pour pratiquer le cyclisme.
À lireDans 8 jours Paris-Roubaix, la course crainte, détestée, fantasmée…Aujourd’hui, il y a quand même des équipes amateurs, des clubs de jeunes qui disparaissent. Ce ne sont pas de bons signaux. Le cyclisme amateur français ne va pas très bien. Il faut à tout prix conserver cela. Et je me répète préserver la base. Les petites équipes certes avec de beaux budgets sont également en difficulté. Sur un plan mondial, c’est très compliqué d’exister.
60% des équipes françaises en péril
Pourquoi, selon vous, dans cinq ans, 60% des équipes françaises risquent-elles de disparaître ?
En général, je ne parle pas pour ne rien dire. Je dis les choses que je pense. Et cet état de fait justement, je le pense réellement. Actuellement, l’écart se creuse de plus en plus. Il y a trois, quatre équipes qui ont énormément d’argent. Pour toutes les autres, c’est très difficile. Il y a de la survie un peu partout. Je ne suis pas convaincu que, dans cette configuration, avec les modèles économiques de chaque équipe, cela puisse perdurer, et que ce soit vertueux pour les années à venir.
Quand on voit que, dans la même catégorie, la plus petite équipe avec 15 millions d’euros se bat contre la plus grosse, à un moment donné celle de 15, ne va plus exister. Jusqu’à preuve du contraire, un Tour de France, un Tour d’Italie, un Tour d’Espagne, un Tour des Flandres, ne se courent pas qu’avec 25 coureurs et trois équipes. Cette configuration n’est pas viable.
Faut-il craindre la mort du cyclisme français à terme ?
Je ne sais pas si ce n’est que français. Cela pourrait être européen voire mondial. Par exemple, un pays comme l’Italie ne va pas mieux que la France. Il n’y a plus d’équipes World Tour en Italie. Il y a une ou deux équipes Pro Team (Team Corractec-Vini Fantini, Polti Kometa, VF Group Bardiani, Ndlr) et c’est fini. Ce qui est arrivé à l’Italie peut arriver à la France, à l’Espagne, à la Belgique… Des équipes qui étaient d’origine italienne sont parties dans des pays où ce ne sont que des travailleurs indépendants.
À lire30 secteurs pavés sur 259 km de course, bienvenue dans l’enfer de Paris-RoubaixOn ne parle pas des mêmes rapports. Quand je négocie avec un coureur qui débarque de chez UAE ou de chez INEOS, quand il veut un, moi je suis obligé de réfléchir à une fois et demie. Déjà qu’on a moins de budget qu’eux, en plus on dépense plus d’argent. Si on ne trouve pas des choses plus vertueuses, on n’est pas loin de se prendre le mur…. Cela ne va pas dans le bon sens.
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Emmanuel Hubert alerte sur la dépendance aux partenaires privés
Le cyclisme de haut niveau reste aussi un sport qui existe par l’appui de ses partenaires.
Le cyclisme ne vit uniquement que par ses partenaires privés !
Ce qui vous pousse à penser à une défiscalisation des charges pour tenter de lutter à armes égales.
Peut-être que les politiques doivent réfléchir pour aider le sport et donner du grain à moudre aux entreprises pour mieux investir dans le sport. Au moins qu’il y ait une certaine défiscalisation sur les charges patronales. Sans aller jusqu’au mécénat, mais au moins tendre vers cela. J’ai 150 salariés assujettis aux charges comme celui qui travaille chez Findus.
Il faut peut-être essayer de trouver des solutions. Après, pourquoi le sport et pas d’autres entreprises, j’en conviens. Néanmoins, le sport renvoie une bonne image. Le sport, c’est la santé, c’est une belle école de la vie. Il faudrait trouver certaines facilités à ce que les partenaires soient engagés à investir dans le sport.
À lireDans 15 jour le Giro : quelle sortie pour Romain Bardet ?D’autant qu’en cyclisme les droits télévisuels n’existent pas…
Il n’y a pas de droits télé dans le vélo pour les équipes. Je ne sais pas ce que cela représente sur un plan financier. Mais peut-être qu’il y a des réflexions à avoir. C’est une réflexion qu’on doit tous avoir. En créant surtout un modèle économique vertueux.
Comment retenir nos pépites quand un Lenny Martinez par exemple quitte la Groupama-FDJ pour Bahrain-Victorious ?
Madiot n’est pas plus idiot que les autres. Il sait compter. S’il propose 1,5 à Martinez et qu’en face on propose 3, le choix de Martinez est vite fait. Si cela continue ainsi, on est voué effectivement à perdre nos meilleurs coureurs.
Que peut-on vous souhaiter pour la prochaine saison ?
À lireTour de France Femmes : Squiban exceptionnel, au tour de Ferrand-PrévotUne saison réussie serait un maintien en World Tour. Ce que j’ai besoin aussi, c’est que mes 150 salariés s’éclatent et que la famille Arkéa perdure.
Un dernier mot sur Vincent Lavenu qui a quitté Decathlon AG2R La Mondiale par la petite porte…
C’est un ami. C’est quelqu’un que je respecte beaucoup. La fin qui lui arrive n’est pas forcément celle qu’il mérite par rapport à toute sa persévérance, sa bienveillance, son apport au cyclisme en général. Je l’ai parfois au téléphone. Je lui dis de profiter de sa famille. La vie est ainsi faite, elle peut s’arrêter demain, il faut en profiter. Il est dommage que sa sortie ne soit pas par la plus grande porte par rapport à tout ce qu’il a apporté au cyclisme. C’est ainsi. Peut-être demain ce sera moi, après-demain Madiot, et ensuite un autre…
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