Sur un marché des marques de vélos qui n’a jamais été aussi fragmenté, la concurrence fait rage pour se démarquer. Celles qui ne sont pas associées à des formations de premier plan, et ne peuvent donc pas compter sur les stars du peloton pour booster leurs ventes, comptent sur le Tour, l’autre facteur déclenchant.
Avant d’entamer son parcours professionnel chez Royal Vélo, puis Mavic, Campagnolo et Ekoï, l’actuel directeur France des cycles Bianchi, Christophe Soenen, se souvient s’être précipité chez son revendeur de vélos préféré pour lui commander le modèle Gitane sur lequel courrait Bernard Hinault. « Je sortais de l’adolescence, je voulais le même que lui parce qu’il était la star de l’époque ! »
Quarante ans après, les réflexes des passionnés de cyclisme restent les mêmes, attachés au prestige et aux résultats des champions autant qu’à leur personnalité. Dans un marché que se partagent de plus en plus de marques (16 pour les 18 formations de World Tour) « quand Mavic a eu jusqu’à huit équipes sous contrat en même temps lorsque j’en étais le chef des ventes à la fin des années 90 », la quête du champion est plus que jamais un enjeu commercial crucial. En témoigne le « contrat à vie » qu’a signé Peter Sagan avec Specialized.
Si la marque californienne accompagne le triple champion du monde slovène depuis une dizaine d’années, si elle lui a permis de rejoindre des formations comme BORA-hansgrohe ou TotalEnergies qui n’en avaient pas forcément les moyens, c’est évidemment parce que sa popularité a toujours boosté les ventes et continue de le faire désormais qu’il est passé au VTT.
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Pogacar, un vélo à 17 200€
Dans le même registre, la personnalité de Pogacar est savamment exploitée par Colnago, la marque italienne qui a notamment sorti une édition limitée de son modèle phare, le V4Rs Tadej, avec lequel il a disputé et gagné les derniers championnats du monde.
Proposé à 17 200€ pour les vrais fans ou les collectionneurs, la machine à gagner n’est que la partie émergée d’un iceberg plus imposant qui pèse un chiffre d’affaires de 55 M€ qui a triplé ces trois dernières années pour un bénéfice proche des 15 M€ en 2023. Difficile de ne pas y voir l’influence des performances hors norme de Pogi et du contrat signé avec UAE Team Emirates.
« Notre mission est d’être la marque de vélos la plus désirable du monde », expliquait l’été dernier sur le site Le dérailleur, le PDG de Colnago, Nicola Rosin. Pour autant, « il est difficile de dire si l’augmentation des ventes est la conséquence des victoires des coureurs », indique Nick Sims, longtemps directeur marketing chez Specialized, « parce que beaucoup d’autres facteurs comptent liés aux résultats d’ensemble de l’équipe, à son image dans le grand public, etc.
Des vélos qui se vendent partout
« Il existe aussi une différence entre un marché européen où le coureur prime sur le vélo et un marché US où les passionnés voudront absolument posséder le même vélo que leur idole » au risque de créer un décalage si le modèle de vélo du champion n’est pas adapté au cycliste du dimanche.
Pour éviter cet écueil, les marques proposent plusieurs modèles, plus ou moins haut de gamme et grand public. Chez Look, partenaire de Cofidis depuis trois ans, « le best-seller est toujours le vélo utilisé par les coureurs sur le Tour de France, confirme Antonin Liverset, le responsable marketing. L’événement amène énormément de visibilité et encore davantage si on a la chance, comme il y a deux ans, de gagner des étapes. »
Et de miser sur la notion d’équipe à défaut de compter dans ses rangs une star du peloton : « Notre approche ne serait pas la même si on avait Pogacar ou Sagan. Nous les avions tous les deux sous contrat sponsoring pour les pédales et le retour sur les ventes était évident ».
En Europe, le coureur prime sur le vélo, aux Etats-unis, c’est l’inverse…
Du 796 BRS de chez Look au Cervéla R5 de Wout Van Aert en passant par le Specialized S-Work Tarmac SL8 (!) de Remco Evenepoel, jusqu’au RCR Replica de chez Van Rysel, tous dépendent moins du travail effectué en amont par leurs équipes d’ingénieurs que des résultats et de la notoriété des coureurs.
La logique est la même que pour vendre un maillot de foot, « et c’est pour ça que le sponsoring sportif se porte bien malgré la crise » poursuit Antonin Liverset, également passé par les équipes marketing de… l’OM et qui a été marqué par le lien terriblement efficace qui a permis pendant des années à une marque, Trek, de surfer sur les succès, certes factices, mais terriblement efficaces, d’un coureur, Lance Armstrong.
Niveau identification, Antonin préfère se souvenir « des exploits d’un Laurent Jalabert plein de panache sur les routes de la Vuelta dans les années 90 sur un vélo Look, la marque préférée de mon père. Celle qui a inventé la pédale automatique et le cadre en carbone en 1986 et reste intimement liée aux victoires d’Hinault et LeMond sur le Tour… » Même en matière de marketing et de commercialisation, on ne demeure finalement toujours que le produit de son enfance.