Longtemps à la traîne de leurs homologues européens, les clubs français font de plus en plus appel à d’anciens joueurs dans leur organigramme. Même s’ils partent de loin, la volonté de rattraper le retard est bien réelle encouragée par la réussite des uns… et l’échec des autres.
En début de saison, lorsque le Barça a présenté son organigramme technique, les plus nostalgiques ont pu revivre les meilleures heures des années 90. Avec Deco directeur sportif, Xavi entraîneur principal, Bojan Krkic coordinateur, Alesanco responsable de la formation, Araujo, responsable du scouting, les cinq postes clés du secteur sportif étaient occupés par d’anciens Blaugranas.
A peu près la même proportion d’anciennes gloires oeuvrent au sein des staffs du Milan AC, du Bayern Munich, de l’Ajax ou du Real. En France, si les anciens n’ont jamais été bien loin de leur ancien club, ils ont longtemps eu des rôles secondaires, d’ambassadeur ou de représentation, à l’instar de Boli à l’OM. Lorsque les Girondins de Bordeaux, lâchés par King Street et au bord du précipice, sont descendus en L2, l’analyse de Johan Micoud sur L’Equipe TV témoignait de cette réticence à s’appuyer sur ceux qui avaient fait l’histoire :
« Ce club n’a jamais tendu la main à des anciens joueurs qui avaient pas mal de caractère et de personnalité. Je ne vois presque personne dans l’organigramme des années 90-2000 où il y avait des joueurs qui auraient tout fait pour leur club, qui étaient vraiment amoureux des Girondins. On ne s’est jamais appuyé sur ces personnes pour transmettre le flambeau. Et chaque fois que ces joueurs parlaient, on disait qu’ils n’étaient pas à l’intérieur, qu’ils ne pouvaient pas comprendre, alors qu’ils avaient des idées. Jamais on n’a essayé de creuser davantage. »
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Luis Fernandez : « quand on voit qu’un club comme Saint-Etienne remplace une légende vivante (Rocheteau) par un agent de joueurs… »
Si une prise de conscience est en cours, le chemin est encore long pour rattraper le retard. Alors qu’il fut, au PSG, l’exemple même de tout ce qu’un club peut attendre d’un de ses anciens joueurs, Luis Fernandez regrette encore
« qu’un club comme St-Etienne remplace une légende vivante comme Dominique Rocheteau par un agent de joueurs (David Wantier, Ndlr). On voit où ils en sont depuis ! » Et de poursuivre :
« En même temps, le statut d’ancien joueur ne suffit pas. Encore fautil avoir toujours été exemplaire, avoir tout donné, être un modèle pour les supporteurs et les jeunes générations. A Paris, Leonardo n’a jamais capté l’âme du club. Sinon Tuchel n’aurait pas gagné la Ligue des Champions quelques mois après qu’il l’ait viré… »
Lui-même sur le départ d’un club avec lequel il a gagné une coupe européenne, « mais où je ne me reconnaissais plus dans les valeurs véhiculées », Fernandez note tout de même « l’excellent travail réalisé dans des clubs comme Nice, Brest ou Lens, où d’anciens joueurs ont des responsabilités et les assument. Ça prouve tout le sens qu’il y a à faire appel à des personnes qui connaissent l’histoire du club et sont susceptibles de la transcender. »
Luis Fernandez salut le travail de Brest et Lens
A des postes très variés, Marc Keller à Strasbourg, Michel Der Zakarian à Montpellier, Vincent Guérin ou Zoumana Camara au PSG, le trio Pichot-Noro-Wimbée à Lille, Grégory Lorenzi à Brest, Florent Ghisolfi à Lens puis Nice, Florian Maurice à Rennes après avoir été à Lyon, Mathieu Bodmer au Havre marchent sur les traces de Lacombe ou Juninho à Lyon, d’Anigo, Casoni, Durand ou aujourd’hui Jean-Pierre Papin à l’OM.
Depuis son poste d’entraîneur de la réserve, l’ancien Ballon d’Or acquiesce : « Le passé est très important. Il n’y aurait pas le « aujourd’hui » s’il n’y avait pas eu le « hier ». Dans un club, il faut respecter ses anciens. J’ai eu la chance de jouer au Bayern et au Milan AC, où il y a énormément d’anciens joueurs. Ils ont des places plus ou moins importantes, mais ils sont là et ce sont des références. »
Si les nouvelles générations n’ont pas vécu en direct ses exploits des années 90, ils suffisent à crédibiliser son discours, souvent, aussi et peut-être surtout, à faire le lien avec des propriétaires étrangers qui n’ont pas d’autre choix que de s’appuyer sur des profils maison pour faciliter les contacts avec un environnement qui demande des preuves d’attachement et de fidélité.
Les anciens joueurs ont toute leur importance
« Mais aller chercher un ancien uniquement pour le présenter aux supporteurs et aux médias ne suffit pas pour le rendre légitime, poursuit Fernandez. Il faut qu’il ait un poste opérationnel et pas seulement de représentation. A partir du moment où on l’a choisi, il faut lui faire confiance et considérer, parce qu’il l’a déjà démontré en tant que joueur, qu’il continue à agir pour le bien du club. »
A l’instar de la trajectoire des Verts qu’ils côtoient désormais en L2, comme d’autres, c’est bien parce que les Girondins passés sous bannière US en 2018, avant d’être repris par Gérard Lopez en 2021, n’ont jamais eu cette volonté d’ancrage territorial et historique qu’ils se retrouvent aujourd’hui à essayer de remplir un stade impersonnel qui ne renvoie à aucun grand moment de son pourtant si riche palmarès. « Les oublis du passé forment les erreurs d’aujourd’hui. Les erreurs d’aujourd’hui révèlent l’ignorance du passé… » disait le philosophe.