Il y a 40 ans, l’Equipe de France de football soulevait son premier trophée de l’histoire : l’Euro. Luis Fernandez, joueur majeur de cette sélection, se remémore cette aventure exceptionnelle. A cette occasion, il évoque aussi les chances de la génération actuelle de leur succéder et d’offrir un troisième sacre européen à la France, 40 ans plus tard.
Il y a 40 ans, vous avez gagné l’Euro 1984, le tout premier titre français, ça représentait quoi à l’époque ?
C’était un titre qui était attendu parce qu’on était quand même dans une situation de favoris suite à la Coupe du Monde 1982 (4ème, Ndlr). Après avoir donné une belle image pendant le Mondial, quand tu organises le Championnat d’Europe derrière, au départ, tu es certainement le favori logique. On a su répondre aux attentes et être bien accompagnés par tous ces supporteurs qui nous ont suivis dans tous les stades de France, c’était un plaisir.
Cette défaite terrible contre l’Allemagne en 1982 (3-3, 5 tab 4) vous a-t-elle aidé à mieux gagner après ?
Michel Hidalgo a su créer un groupe avec un état d’esprit remarquable avec une volonté et de la grosse qualité. Michel Platini était le Ballon d’Or de la Juve et il jouait bien, avait envie de bien faire les choses et de rendre un pays er. C’est comme ça qu’on a été unis et ers de porter ce maillot et d’essayer de ne plus décevoir.
Ça vous a fait quoi de commencer la compétition dans “votre” Parc des Princes vous qui jouiez auPSG?
Quand on joue au Parc des Princes et qu’on a eu l’occasion de le fréquenter avec le Paris Saint-Ger- main, c’est fort, mais comme de jouer à la Beaujoire, à Geoffroy-Guichard et au Vélodrome. Voir tout cet enthousiasme qu’il y avait autour de l’équipe de France, tous ces supporteurs qui accompagnaient l’équipe pour l’encourager. C’est avec cette volonté qu’on peut se surpasser, parce qu’on a vrai- ment senti des supporteurs présents qui avaient cette envie de nous voir aller chercher ce titre de champion d’Europe. Quand on voyait ces stades pleins, ça nous galvanisait, on avait une envie supplémentaire de réussir. Sans eux, on n’y serait peut-être pas arrivés.
Et à titre personnel, qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Je viens de l’immigration espagnole. Porter le maillot de l’équipe de France, ça a été pour moi un honneur. C’est quelque chose d’inoubliable. Pouvoir intégrer cette génération de Michel Platini, pouvoir jouer avec eux pour un garçon qui vient des quartiers, c’est quelque chose de merveilleux. Donc j’avais un devoir, c’était de faire les choses de la meilleure des façons et de porter ce maillot avec un honneur particulier. J’étais heureux et er d’être de cette génération.
« La France a tout pour être championne d’Europe cette année »
La nale devait être particulière pour vous en raison de cette double nationalité franco-espanole. Comment avez-vous abordé la rencontre ?
Les origines espagnoles, on les met de côté. Je suis avant tout Français parce que j’ai eu la nationalité et je suis honoré de l’avoir eue avec mes frères et sœurs et d’avoir grandi sur le territoire français avec ma fa- mille. Contre l’Espagne, je me suis donné à fond encore plus, je me suis surpassé. J’ai vraiment essayé de commettre le moins d’erreurs et
d’être présent pour qu’on ne puisse pas me reprocher quoi que ce soit. Il y a des Espagnols qui étaient un peu plus durs avec moi. On le ressentait, mais j’ai su passer au-delà et être un joueur qui portait un maillot avec tous les honneurs qui en incombent pour gagner ce match.
Qu’est-ce qui restera comme le plus beau match : la deminale épique contre le Portugal ou la finale avec le but gag, une Arconada !
Tous les matches sont particuliers et différents, que ce soit celui de la Belgique, du Portugal ou du Danemark. L’essentiel, c’est qu’au bout de l’aventure, il y ait la victoire. Que vous marquiez un but gag ou que vous en mettiez cinq, l’important, c’est de gagner ce titre, le tout premier en sport collectif.
Quel a été le plus grand défi que vous ayez dû surmonter en route vers le titre ?
Le plus grand défi , c’est d’être un favori attendu. Tu es censé ne pas décevoir. Et ne pas décevoir, c’est être fort, être bon, être présent, être irréprochable et avoir un état d’es- prit remarquable. C’est pour ça qu’en ressortant de là, on a la tête haute et on est vraiment er et heu- reux de ce qu’on a réalisé.
Avez-vous gardé des choses, des maillots ?
Non, je n’ai pratiquement rien gardé. A cette époque, on donnait tout. Pour nous, c’était important de ne pas décevoir, donc après chaque match, on donnait nos éléments. On était heureux de pouvoir les offrir à tous. J’ai surtout en tête le souvenir d’avoir pu réaliser ce qui a été fait.
En 1984, Michel Platini avait fait un tournoi remarquable, a-t-on son remplaçant aujourd’hui en équipe de France ?
Aujourd’hui, l’équipe de France est un groupe qui est beaucoup plus étoffé. À notre époque, on jouait quasiment tous dans le championnat de France, aujourd’hui, la plupart des joueurs jouent à l’étranger. Ça leur permet d’avoir été champions du monde en 2018 et finalistes en 2022. Cette expérience acquise dans des grands clubs, ça aide. Il y a de la qualité dans cette équipe, beaucoup d’éléments qui sont importants et qui sont beaux à voir jouer.
Et vous, y a-t-il un joueur dans lequel vous vous revoyez ?
Non, mais je dirais que dans tout ce groupe, que ce soit au milieu de terrain ou sur le plan offensif ou défensif, il y a vraiment la qualité nécessaire, s’ils sont unis et jouent ensemble, pour sortir vainqueurs de ce Championnat d’Europe.
40 ans après votre génération, ça peut être l’année où les Bleus gagnent l’Euro ?
Oui, parce qu’ils auront à cœur d’effacer le Championnat d’Europe précédent où on avait été déçu. Après avoir été champions du monde, ils étaient passés complètement à côté. Ils avaient été hors-sujet donc ils voudront forcément effacer ce passage en essayant de réaliser un Euro digne du talent et du potentiel qu’ils possèdent.
« Griezmann est un joueur qui a la particularité de faire participer tout le monde »
Si vous deviez donner un conseil à ces Bleus actuels sur la façon de réussir dans un tournoi comme l’Euro, quel serait-il ?
Je leur dirai de ne pas sous-estimer les adversaires qu’ils ont à jouer, parce que tous leurs adversaires seront motivés à essayer de battre un champion du monde ou un vice-champion du monde. C’est toujours ça qui donne de la force à un adversaire. Vous êtes censé partir favori, mais le favori doit rester maître du jeu, ne pas baisser dans la motivation, au contraire, être dé- terminé encore plus que d’habitude, et rester fort mentalement. C’est le conseil que je leur donnerai : respecter les adversaires et les prendre au sérieux.
Avec quel joueur de l’équipe actuelle auriez-vous voulu jouer ?
On aime tous Griezmann, comme on aime Mbappé, mais c’est vrai que Griezmann est un joueur qui a la particularité, dans un collectif, de faire participer tout le monde. Il joue avec des qualités que l’on aime. Mbappé a aussi des qualités incroyables pour finaliser le travail. Les deux sont bons à prendre.
Si on fait un match entre votre génération 1984 et celle de 2024, qui gagne ?
Je prends celle de 84. Elle a toutes les qualités requises pour être championne du monde aussi. Elle a fait quand même deux demi-finales de Coupe du monde, malheureusement, ça a été deux fois contre l’Allemagne. Mais c’était une génération particulièrement douée et avec un état d’esprit remarquable. Cette génération que j’ai connue et côtoyée m’a fait un bien énorme pour la suite de ma carrière de joueur et d’entraîneur.
40 ans après, regrettez-vous quelque chose du football de 1984 par rapport à celui d’aujourd’hui ?
Avant, on était accessibles, on était proche. C’était un public populaire, qui aimait le football et qui remplissait les stades. Ces ambiances-là, je ne les ai plus aujourd’hui. C’est ça qu’il me manque, parce que ce sont ces ambiances qui nous ont aidés à nous surpasser en tant que joueur. Aujourd’hui, on n’a plus ça. Dans le football, il y a beaucoup de manquements, d’erreurs commises qu’on paye cash. Ça ne nous empêche pas d’avoir des joueurs qui jouent dans des championnats très élevés, mais ça manque, tout ça.
Propos recueillis par Marine Pattyn