Amputé de la jambe droite en juin 2023. Matthieu Lartot a eu le cancer à deux reprises. À 44 ans la voix du rugby de France Télévisions a retrouvé avec joie le micro avec les JO dans le viseur.
Comment allez-vous ?
Physiquement, ça va, je progresse tous les jours. J’arrive à remplir les missions qui étaient les miennes avant que tout ça ne ressurgisse.
Aspirez-vous à refaire du sport ?
Ça fait partie des bénéfices secondaires de l’amputation. Aujourd’hui, je peux prendre un vélo. D’ici quelques mois à quelques années, je pourrai reskier. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est de partager des moments, notamment avec mes enfants que je n’ai jamais pu partager avec eux comme des balades en vélo puisqu’avec ma jambe raide c’était impossible. Rien que ça, ça suffit à mon bonheur.
Vous avez attendu 23 ans pour être amputé. Avec le recul, auriez-vous dû vous y résoudre plus tôt ?
Mes discussions avec Patrick Knaff (ancien journaliste du service des sports, amputé lui-aussi, Ndlr) m’ont permis sans doute de cheminer et de me préparer mentalement à cette éventualité mais, de moi-même je n’aurais jamais pris la décision d’être amputé.
Je l’ai acceptée au moment où il a fallu prendre cette décision pour me soigner. Parce que c’était ça le but, c’était de m’amputer pour que je puisse avoir les meilleures chances de survie. Mais, de moi-même, je n’aurais jamais pris cette décision et je ne connais pas beaucoup de personnes qui prendraient ce genre de décision puisque ce n’est quand même pas anodin de se retrouver sur une jambe.
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Matthieu Lartot cumule cancer et handicap
Vous avez longtemps caché ce problème au genou parce que vous vouliez qu’on vous accepte en tant que journaliste. Le regard at-il changé depuis 2020 lorsque vous l’avez révélé dans l’émission « Ça commence aujourd’hui » ?
Les gens portent un autre regard aujourd’hui parce que mon histoire résonne en eux, parce qu’on a tous dans nos entourages des gens qui sont malheureusement frappés par le cancer. En plus, moi, je cumule cancer et handicap donc il y a une forme de bienveillance. J’ai pu le mesurer quand je suis revenu à l’antenne à l’occasion de la Coupe du monde et je le mesure quand je me rends dans les stades.
Pierre Salviac, votre prédécesseur, vous a-t-il appelé ?
Pierre m’a envoyé un message. Il connaissait mon histoire. Il savait très bien les difficultés que je pouvais avoir au quotidien. Par exemple, quand on est rentré de la Coupe du monde en Australie en 2003, lui il voyageait en business, moi j’étais en éco et, sur la deuxième partie du vol retour, il m’a cédé son siège pour que je souffre le moins possible.
Avoir pratiqué le rugby vous a-t-il aidé durant toutes ces épreuves ?
Ça m’a sans doute aidé dans ma manière de voir les choses et de les appréhender et de les combattre. Quand on fait face au cancer, c’est comme un match de rugby, il faut y mettre toute son énergie et se donner à 200% pour essayer de s’en sortir. C’est cet état d’esprit qui m’a toujours animé, que ce soit la première fois ou au moment de la récidive.
« Galthié me rendait visite pendant ma rééducation »
Durant la rééducation suite à votre amputation, on a l’impression que vous vous êtes préparé comme l’équipe de France pour la Coupe du monde pour pouvoir commenter le premier match sur France Télévisions entre l’Afrique du Sud et l’Ecosse !
C’est complètement ça. Je faisais ma préparation en parallèle de l’équipe de France. Le trait d’union, c’était Fabien (Galthié) qui venait me rendre visite régulièrement, à la fois en chimio ou au centre de rééducation. Il me racontait où ils en étaient, leur quotidien. Des joueurs m’envoyaient aussi des messages. Et moi, dans mon coin, j’avançais en espérant les rejoindre au coup d’envoi de cette Coupe du monde. Ça a été un moteur extraordinaire ainsi que les personnes qui étaient dans mon univers de rééducation. Je parle beaucoup d’Adama dans le livre parce que ça a été un personnage clé, parce que lui avait été amputé six semaines avant, il avait un peu d’avance sur la rééducation.
Il bluffait tout le personnel soignant qui n’en revenait pas parce qu’il allait à une vitesse folle. Je me suis dit que si lui il le fait, moi je dois en être capable. Je me suis mis dans sa roue, on s’est tirés la bourre et on est sortis tous les deux à vitesse grand V du centre de rééducation. Les kinés nous disaient qu’on était des extraterrestres ! Une reconstruction sur des amputations, c’est plutôt un an, un an et demi de rééducation et moi en deux mois j’étais sorti du centre et j’étais paré pour aller faire la Coupe du monde. J’ai été boosté par Adama et par tous les autres patients de l’ADAPT (de Châtillon, Ndlr) et par les kinés. J’ai retrouvé là le collectif qui fait la beauté de ce qu’on aime nous au rugby et dans le sport en général.
Lartot, la surprise de la Coupe du Monde 2023
En commentant ce premier match, vous avez finalement gagné un peu votre Coupe du monde à la différence de l’équipe de France qui, elle, ne l’a pas gagnée…
J’aurais préféré qu’elle la gagne ! Mais oui, pour moi, de manière un peu égoïste, être dans les tribunes le 8 septembre, au moment du France-All Blacks, c’était une première victoire.
Aujourd’hui, vous dites que vous êtes fier d’être handicapé. Allez-vous vous investir pour la cause ?
Il y a énormément de choses à faire sur l’inclusion, sur l’accessibilité, sur l’injustice parfois qu’il y a dans le monde du handicap. Je vais créer une association (« Debout en Bouts ») sur le grand appareillage orthopédique ; où selon si vous êtes comme moi victime d’un cancer ou d’une autre pathologie, le diabète est la première cause d’amputation en France -, vous subissez la double peine parce que vous n’avez pas d’assurance, vous n’avez pas de tiers qui financeront vos prothèses.
Les meilleures prothèses en France coûtent extrêmement chères, près de 100 000 euros. Elles doivent être changées tous les six ans. Quand vous n’avez pas d’assurance pour vous aider, vous ne pouvez pas avoir accès à ces prothèses-là contrairement à des gens qui sont victimes d’un accident de la route ou d’un accident du travail. L’association va essayer de venir en aide à des gens qui n’ont pas les moyens d’avoir accès aux meilleures prothèses.
« Moi même, je n’aurais jamais pris la décision d’être amputé »
Y a-t-il des stades où vous ne pouvez pas aller parce que c’est compliqué au niveau de l’accès ?
Il y a des stades où je peux aller, mais ça me demande de fournir des efforts encore plus importants. Il y a des stades en France qui sont désuets et qui méritent une rénovation profonde. Les clubs ne sont pas toujours responsables. Il y a des lourdeurs administratives qui empêchent parfois la rénovation ou la réhabilitation d’enceintes sportives. Il y a des contraintes très fortes qui ralentissent beaucoup les choses.
C’est peut-être là où les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour aller plus vite dans la transformation des espaces d’accueil. Donc, oui, il y a des stades où j’éprouve des difficultés plus importantes pour atteindre ma position de commentateur ou pour travailler de manière assez fluide.
D’ailleurs, je remercie le club de Toulon avec qui on a eu des discussions hyper positives et la mairie également. Parce que j’avais évoqué une tribune à Mayol qui est très difficile d’accès et c’est notamment la tribune où on commente les matches. Et on a trouvé des solutions pour, dans un premier temps, m’accueillir dans les meilleures conditions et puis pour essayer de faire changer les choses à plus long terme.
Après avoir porté la flamme, vous allez commenter les JO !
A France Télévisions, on a un défi immense à relever puisqu’on aura l’antenne 24h sur 24 sur nos deux chaînes Premium, France 2, France 3 à la fois sur les Jeux et sur les Paralympiques. On aura le même traitement médiatique pour les Para, ce qui sera une première en France.
Vous allez être surveillé médicalement pendant 10 ans. Etes-vous inquiet ?
Je suis surveillé tous les trois mois de manière assez étroite. C’est une maladie sournoise. Il y avait 5% de risques que j’ai une récidive aussi tardivement. 26 ans plus tard, le cancer m’a frappé une 2 fois, donc je ne vais pas crier victoire. Mais, aujourd’hui, tout va bien, tous les contrôles que je passe sont bons et j’avance jour après jour.
Son combat pour la vie
Au printemps 2023, une douleur aiguë, malheureusement familière, resurgit dans la jambe de Matthieu Lartot. Vingt-six ans après qu’il a été traité pour un sarcome, une nouvelle forme de ce cancer très rare réapparaît, encore plus agressive. Cette fois, l’amputation est inévitable.
Devenu le Monsieur Rugby de France Télévisions, Matthieu décide de rendre publics sa maladie, son opération et l’objectif fou qu’il s’est fixé : être au rendez-vous de la Coupe du monde qui s’ouvre deux mois plus tard. Il relève ce défi grâce à une détermination hors norme et à des rencontres qui ont transformé ce parcours du combattant en aventure humaine. A travers ce témoignage, Matthieu Lartot souhaite transmettre son énergie tenace à ceux qui, comme lui, affrontent la maladie.
« Matthieu Lartot – On n’ampute pas le cœur », 19 euros aux éditions Robert Laffont