On est tous habitués à voir des sportifs de haut niveau jouer les mannequins pour des équipementiers, ou encore dernièrement pour la marque Dior qui s’est associée au PSG… Pourtant, d’un point de vue juridique, cela pose certaines questions. Thierry Granturco*, spécialiste de droit du sport et des nouvelles technologies y répond à travers cette chronique.
Lionel Messi et Cristiano Ronaldo sont des sportifs de haut niveau. Mais ils sont aussi des… mannequins. En tous cas, d’après la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 12 mai 2021 (Cass. 2e civ., 12 mai 2021, n° 19-24.610), est venue rappeler au monde du football professionnel et du sport de haut de niveau qu’il n’échappe pas au droit commun.
En France, l’activité de mannequin est définie par l’article L. 7123-2 du Code du travail: « Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée : 1) Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ; 2) Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image ».
Un footballeur qui conclut, moyennant rémunération, un contrat avec un équipementier en vue de porter les accessoires de la marque, est généralement considéré par la presse comme titulaire d’un contrat de « sponsoring ». Mais il pourrait donc tout aussi bien être considéré comme un « mannequin ». Cela semble être un détail. Mais ce « détail » change tout. Car un contrat de mannequin est aussi, et surtout, un contrat de travail.
L’évasion impossible
Pourquoi est-ce un (gros) problème ? Parce que les footballeurs sont férus de montages juridiques et fiscaux. Des montages qui leur permettent, précisément, de soustraire à l’impôt des pays dans lesquels ils jouent les revenus liés à leurs contrats d’image.
Or si ces contrats de « sponsoring » sont considérés comme des contrats de travail, ces montages tombent à l’eau. Les footballeurs percevront non plus des redevances, mais des salaires, soumis à des cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu, avec une très forte fiscalité – eu égard aux revenus globaux des joueurs.
C’est la détermination des URSSAF des Bouches du Rhône, qui a permis de dévoiler le pot-aux-roses. Lors d’un banal contrôle, elles avaient considéré que les contrats de « sponsoring » signés par la société Uhlsport France avec des athlètes de haut niveau étaient, en réalité, des contrats de travail de mannequin, soumis à cotisations sociales.
Elles avaient, par conséquent, fait subir un redressement à Uhlsport France. Les contrats signés par Uhlsport imposaient, moyennant rémunération, trois obligations principales aux sportifs : porter exclusivement des équipements de la marque ; fournir des photographies d’eux portant ces équipements ; accepter que leur image, ainsi que leur nom, soient associés à des opérations de commercialisation.
Contestée par Uhlsport France, la décision fut portée devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, puis devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Deux juridictions qui décidèrent de rejeter le redressement opéré par les URSSAF. Ne pas imposer aux sportifs de participer à des présentations publiques écartait, selon ces juridictions, l’existence d’un lien de subordination, constitutive d’un contrat de travail.
Tous mannequins ?
Ce n’est pas ce qu’a décidé la Cour de Cassation, saisie par les URSSAF. La haute juridiction, dans un arrêt en date du 12 mai 2021, a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (13 sept. 2019, n° 19/14352, URSSAF PACA). Elle a, en l’espèce, fait une interprétation stricte des dispositions du Code du travail qui prévoient une présomption de salariat renforcée pour l’activité de mannequin, régie par les dispositions de l’article L. 7123-3 du Code du travail, qui énoncent, en effet, que : « Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant une rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail ».
Il est également précisé à l’article L. 7123-4 du Code du travail que « La présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Elle n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation ».
Les magistrats ont estimé, d’une part, que les prestations requises des sportifs relevaient bien du mannequinat et de l’article L. 7123-2 du Code du travail et, d’autre part, qu’il n’appartenait pas aux URSSAF de démontrer l’existence d’un lien de subordination entre Uhlsport France et les sportifs mais bien à Uhlsport France d’en démontrer l’absence. Alors, tous mannequins, les sportifs ? La question, en tous cas, est posée.
Photo : Brett LLoyd pour Dior et le PSG