Thierry Granturco*, spécialiste de droit du sport et des nouvelles technologies, évoque dans sa chronique « l’impatriation fiscale », un statut très peu connu. Et pourtant…
La France est-il un pays « socialiste » ? Valérie Giscard d’Estaing est connu pour avoir déclaré, alors qu’il était encore à l’Elysée, qu’« au-delà de 40% de prélèvements obligatoires (en proportion du PIB), nous basculerons dans le socialisme ». L’ancien Président de la République nous a quittés le 2 décembre 2020. Et, ironie de l’histoire, le lendemain même la France confirmait son statut de deuxième pays de l’OCDE, derrière le Danemark, à prélever le plus d’impôts et de cotisations sociales, qui atteignent désormais… 45,4% de notre PIB.
L’impact de cette fiscalité est particulièrement lourd pour nos clubs de football professionnels, à qui l’on demande par ailleurs d’être performants dans l’économie ultra-libérale du football européen. Ils sont en effet soumis à des prélèvements obligatoires bien supérieurs à ceux de leurs voisins et concurrents.
En France, les présidents passent et la fiscalité reste. Mais comment faire pour que les meilleurs joueurs mondiaux restent aussi ? Une solution a été inventée. Elle s’appelle l’impatriation fiscale.
Qu’est-ce que l’impatriation fiscale ?
Peu connu, le régime des « impatriés » permet aux personnes recrutées à l’étranger, et notamment aux footballeurs, d’exonérer d’impôt 50% de leurs revenus perçus en France pendant une durée totale de huit ans. Les jours passés en dehors de France, dans le cadre de matchs à l’extérieur de Ligue des champions ou de stages de préparation du club par exemple, sont quant à eux totalement exonérés d’impôt.
A ces dispositions s’ajoutent celles de l’article 964 du Code général des impôts, qui prévoient que, dans le cas d’un résident ayant passé au moins 5 ans à l’étranger avant de s’installer en France, seuls sont imposables à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) les biens et droits immobiliers situés sur notre territoire.
En résumé, l’impatriation est un système fiscal particulièrement attrayant pour les joueurs étrangers souhaitant rejoindre notre Ligue 1.
Afin d’avoir un cadre de référence pour évaluer ce qui doit relever de l’exonération dans les revenus d’un joueur étranger, l’article 155-B-I-1-4e paragraphe du Code général des impôts dispose que: « Si la part de la rémunération soumise à l’impôt sur le revenu en application du présent 1 est inférieure à la rémunération versée au titre de fonctions analogues dans l’entreprise ou, à défaut, dans des entreprises similaires établies en France, la différence est réintégrée dans les bases imposables de l’intéressé. »
En d’autres termes, pour évaluer ce qui relève d’une rémunération « standard » dans le secteur du football professionnel et disposer d’une base pour juger de ce qu’il est « normal » ou non d’exonérer, l’administration fiscale procède par comparaison avec les revenus perçus par d’autres joueurs exerçant une « fonction analogue » sur le terrain.
Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une « fonction analogue » sur un terrain de football.
La « fonction analogue » dans le football
La Cour administrative d’appel de Paris apporte un début de réponse à cette question juridique tout à fait inédite, dans un arrêt daté du 16 mars 2021 récemment porté à notre connaissance.
L’affaire concerne un joueur du PSG, ayant évolué comme milieu de terrain pour le club parisien, entre 2009 et 2011. Pour déterminer le salaire de référence de ce joueur, le PSG produit une attestation précisant que le salaire du joueur avait été fixé en fonction des rémunérations de 7 autres joueurs du club, évoluant aux postes de milieu de terrain ou de défenseur, et ayant une notoriété ou une expérience comparable à la sienne.
Saisie, la Cour administrative d’appel rejette cette approche aux motifs que: « ces critères, qui ne se bornent pas à définir les fonctions analogues dans l’entreprise (…) mais ajoutent au texte légal en exigeant la prise en compte de caractéristiques propres aux individus exerçant les fonctions, ne peuvent (…) être retenus ».
Les magistrats de la Cour administrative d’appel de Paris, manifestement férus de football, ajoutent que: « les joueurs occupant des postes de défenseurs ou d’attaquants ne peuvent être regardés comme exerçant des fonctions analogues à celles des joueurs exerçant comme milieux de terrain ».
Dit autrement, les fonctions analogues doivent être évaluées poste par poste. Un milieu de terrain devra voir sa rémunération de référence être fixée par rapport à celles d’autres milieux de terrain, mais non en référence à celles de gardiens de but, de défenseurs ou d’attaquants. La Cour refuse que les clubs se retranchent derrière l’expérience, les titres et la renommée d’un joueur pour évaluer son salaire. Elle estime qu’une telle approche n’est pas prévue par le Code général des impôts et doit donc être écartée.
4-4-2 ou 3-5-2 ?
Personne ne sous-estime les compétences footballistiques des magistrats de la Cour administrative de Paris. Il n’en reste pas moins qu’un joueur professionnel de football n’est pas un « impatrié » comme un autre.
Il peut, certes, exister des différences entre deux directeurs marketing venant s’établir à Paris et leur salaire de référence peut effectivement être utile pour déterminer le montant de leurs exonérations fiscales. Mais jamais ces différences ne pourront être aussi importantes qu’entre Neymar et d’autres attaquants de Ligue 1, voire même d’autres attaquants du PSG.
Et, par ailleurs, Neymar est-il attaquant… ou milieu de terrain ? Un joueur ne peut-il pas être défenseur central et milieu de terrain, selon l’adversaire contre lequel il doit évoluer ? Un joueur de couloir est-il attaquant, milieu de terrain… ou défenseur ?
La Cour administrative d’appel a, le 16 mars dernier, posé les bases de réflexion de ce que pourrait être le salaire de référence dans le football professionnel, pour ce qui relève du système d’impatriation fiscale. Il est, toutefois, tout sauf certain qu’elle ait clarifié la situation. On peut même dire qu’elle a fait une passe en retrait là où nous l’attendions plus offensive et plus percutante. Et c’est bien dommage pour le football français.
*Thierry Granturco est avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, spécialiste de droit du sport et des nouvelles technologies. Il est actif dans le milieu du football professionnel depuis 30 ans après avoir lui-même joué à haut niveau à l’Olympique Lyonnais (OL).