(par Thierry Granturco, spécialiste en droit du sport)
L’Arabie Saoudite est-elle le nouvel acteur montant du football mondial ? Thierry Granturco*, spécialiste de droit du sport et des nouvelles technologies, analyse le coup de force de l’Arabie Saoudite sur les transferts.
En une seule saison, à grands coups de centaines de millions d’euros, l’émirat a fait de Newcastle United, club de Premier League, un club majeur du football anglais se classant quatrième du dernier championnat, devant Liverpool et se qualifiant immédiatement pour la fameuse – et lucrative – Ligue des Champions.
Cet investissement réussi a été suivi d’une vraie performance de l’équipe nationale lors de la Coupe du Monde au Qatar. Même si les Saoudiens ne sont pas sortis des poules qualificatives, ils ont réalisé un exploit en battant les Argentins de Lionel Messi, futurs champions du monde.
Quelques mois plus tard, l’Arabie Saoudite annonçait l’arrivée dans son championnat de deux stars, Cristiano Ronaldo et Karim Benzema. D’autres stars du football devraient les rejoindre.
Enfin, Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, vient d’exprimer clairement sa volonté d’organiser la Coupe du Monde en 2030.
Une OPA sur le football mondial
L’Arabie Saoudite peut-elle « se payer » le football mondial, comme elle s’est payée Ronaldo, Benzema et Newscastle United ?
D’autres pays, comme la Chine et le Qatar, ont déjà tenté, par le passé, de développer leurs championnats nationaux en recrutant les meilleurs joueurs mondiaux. Ces expériences ont échoué malgré des salaires mirobolants et des infrastructures luxueuses.
La raison de ces échecs est simple. Elle est… sportive. Le niveau des championnats chinois et qataris, comme celui de l’Arabie Saoudite aujourd’hui, se situe entre notre championnat amateur de National 1 – la Ligue 3 – et notre championnat professionnel de Ligue 2.
Recruter une star du football pour le faire jouer à ce niveau, c’est lui demander d’abandonner ses ambitions sportives et sa carrière, contre une rémunération hors norme.
Si Cristiano Ronaldo et Karim Benzema, tous deux Ballons d’Or, ont accepté l’offre de Riyad, c’est qu’ils sont tous les deux en fin de carrière. Gageons que Kylian Mbappe, candidat au Ballon d’Or à 24 ans, ne l’acceptera pas dans l’immédiat. Si tant est qu’il l’accepte un jour.
Un échec annoncé
Par ailleurs, pour avoir une équipe nationale performante, capable de faire briller son pays dans des compétitions internationales majeures, il faut pouvoir compter sur un système solide de formation de ses jeunes joueurs. Et sur un championnat leur permettant, une fois formés, de s’aguerrir pour atteindre in fine le très haut niveau. Les grands pays européens de football, comme l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, la France et l’Italie, bénéficient de ces deux atouts. La force de l’un peut compenser la faiblesse de l’autre.
Si le championnat français de Ligue 1 est, par exemple, moins performant que celui de ses voisins, la formation en France excelle et permet à nos meilleurs joueurs de parfois quitter la France pour les autres grands championnats européens, leurs clubs prestigieux, et d’atteindre les sommets du foot mondial.
Pas plus que la Chine hier et le Qatar aujourd’hui, l’Arabie Saoudite ne peut compter sur un championnat suffisamment performant pour permettre à ses joueurs de progresser au plus haut niveau ni d’être « exportables » vers les grands championnats mondiaux.
L’Arabie Saoudite remportera sûrement des succès dans le cadre des compétitions organisées par la Confédération asiatique de football, dont elle dépend. Mais elle ne peut pas espérer s’imposer au plan international. Elle peut, en revanche, espérer retirer de ses investissements un gain d’image et une influence politique.
Le Qatar a acheté le Paris Saint-Germain (PSG) et domine le football français depuis plus de 10 ans. Les Emirats Arabes Unis ont acheté Manchester City et dominent le football anglais, voire européen, depuis plusieurs années. L’Arabie Saoudite a acheté Newcastle United et espère bien s’imposer face à ses voisins du Golfe.
Un gain d’image et une influence politique
Pour les mêmes raisons, Riyad organisera en 2029, dans une ville qui n’existe pas encore, les Jeux asiatiques d’hiver. Un projet qui lui coûtera, selon les premières estimations, 500 milliards de dollars. Elle s’est, également, portée candidate à l’organisation de la Coupe du Monde de football de 2030, ainsi qu’à celle des Jeux Olympiques de 2030.
En parallèle, L’Arabie Saoudite a lancé en 2021 un projet gargantuesque dans le domaine du golf, en créant à grands coups de milliards de dollars un tournoi concurrent de celui du PGA.
Il en est de même en tennis, avec la création de la Diriyah Tennis Cup, qui aura attiré les plus grandes stars du tennis mondial l’année dernière. Ou encore avec la F1, puisque le Grand Prix automobile d’Arabie saoudite compte pour le championnat du monde de Formule 1 depuis 2021. On ne compte plus les compétitions sportives internationales organisées et surfinancées par l’Arabie Saoudite.
Les Saoudiens ne brillent dans aucun de ces sports. Mais ils commencent à y exister et continueront à y exister en les finançant. Au même titre que le Qatar brille à travers le PSG, a brillé à travers la Coupe du monde de football accueillie en 2022 sur son sol, et brille à travers quelques compétitions internationales organisées à Doha, l’Arabie Saoudite brille à travers le club anglais de Newcastle United et les différentes compétitions internationales qu’elle finance déjà, ou se propose de financer.
L’Arabie Saoudite ne deviendra pas l’eldorado du football mondial. Mais elle participera à financer indirectement le football mondial, et en particulier européen, en permettant sans le vouloir nécessairement aux clubs du vieux continent de bénéficier de ses largesses. L’important n’est-il pas de participer ?
*Thierry Granturco est avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, spécialiste de droit du sport et des nouvelles technologies. Il est actif dans le milieu du football professionnel depuis 30 ans après avoir lui-même joué à haut niveau à l’Olympique Lyonnais (OL).