PAR BENOIT SEVILLE
En 2023, près de 75% des Français avait regardé au moins une fois le Tour de France ! Cette année, les Français seront encore au moins autant et voilà pourquoi.
Au moment où ces lignes seront publiées, le Tour de France 2024 aura déjà commencé depuis plusieurs jours. Le Slovène et ultra-favori Tadej Pogacar aura probablement fait main basse sur le maillot jaune et nous autres, simples mortels incapables de grimper l’Alpe d’Huez autrement qu’en voiture ou avec une assistance électrique, aurons déjà passé plusieurs heures vissés sur nos canapés.
À l’heure actuelle, une question doit sûrement tarauder le directeur du Tour, Christian Prudhomme: les 3501 kilomètres prévus par la 111ème édition de la Grande boucle permettront-ils à celle-ci de battre le record d’audience établi l’année dernière ? Réponse le 21 juillet prochain à Nice.
En 2023, France Télévisions avait estimé à 42,5 millions le nombre de français ayant regardé au moins une minute du Tour.1 C’est près de 75% de la population totale du pays. De son côté, l’organisateur, Amaury Sport Organisation (ASO) avance le chiffre, parfois contesté, de 3 milliards de téléspectateurs par an dans le monde, ce qui en ferait le 3ème évènement sportif le plus regardé sur la planète derrière la Coupe du Monde de football masculin et les JO d’été.
C’est un fait incontestable : la Grande Boucle attire. C’est une valeur sûre (on serait presque tenté de dire refuge) dont la diffusion rapporterait chaque année à ASO la coquette somme de 40 millions d’euros de bénéfices nets2. Une jolie poule aux œufs d’or.
Comment expliquer cet engouement ?
À la différence de la Coupe du Monde ou des Jeux Olympiques qui n’ont lieu que tous les quatre ans, le Tour n’est pas rare. Le cyclisme n’est pas non plus, à l’inverse du football, le sport le plus populaire au monde et le Tour aura beau essayer, il ne suscitera jamais autant de passion patriotique que les Jeux Olympiques. Et pourtant, il est là, sur le podium des évènements les plus populaires du Monde, devant la Coupe du Monde de Cricket et les Jeux Olympiques d’hiver et loin, très loin, devant ses homologues italien et espagnol. Comment cette course à l’origine si franco-française a-t-elle pu devenir cet événement suivi dans près de 190 pays du monde ?
Il faut rendre à César ce qui lui appartient et il est impossible de disserter sur le succès du Tour sans saluer le travail d’ASO, de Christian Prudhomme et de ses prédécesseurs et de leurs équipes. Parcours propice au suspense, communication maîtrisée, ambiance électrique et paysages à couper le souffle : tout est fait pour que le spectateur ne ressente pas le besoin de saisir sa télécommande et de changer de chaîne.
Des récits qui passent de génération en génération
La force du Tour, c’est son histoire. L’histoire de la Grande Boucle est remplie de duels homériques et c’est en grande partie sur eux que s’est construite sa légende. On ne saurait parler du Tour sans raconter l’affrontement entre Anquetil et Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme ou le contre-la-montre de la dernière étape de l’édition 1989 où Greg Lemond subtilise le maillot à Laurent Fignon pour 8 petites secondes ou encore le saut de chaîne d’Andy Schleck dans le port de Balès alors qu’Alberto Contador attaquait son maillot jaune. Même ceux qui n’y ont pas assisté car ils n’étaient pas nés (c’est mon cas pour les deux premiers évènements) connaissent ces histoires. Elles sont passées de génération en génération, à la manière de contes ou de légendes et contribuent à la mythologie du Tour.
De ce point de vue, l’édition 2023 avait tout pour plaire et elle n’a pas déçu. Le duel entre Tadej Pogacar, double vainqueur des éditions 2020 et 2021, et le danois Jonas Vingegaard, vainqueur l’année précédente, a tenu en haleine les téléspectateurs de Bilbao à Paris. Netflix ne s’y est d’ailleurs pas trompé et la deuxième saison de la série sur le Tour de France diffusée sur la plateforme fait une large part à la lutte héroïque entre les deux hommes.
Le Tour, c’est de la sueur, mais aussi du sang et des larmes
Le Tour c’est de la sueur évidemment, mais aussi du sang et des larmes. Le sang des chutes – malheureusement, les drames attirent, la Formule 1 le sait tout aussi bien que le cyclisme, et c’est avec le paradoxe de protéger les coureurs mais d’assurer le spectacle que les organisateurs doivent composer – et les larmes de tristesse ou de joie des athlètes et des spectateurs. Que celui qui n’a pas senti ses yeux s’humidifier à la vue de Thibaut Pinot fendant la foule en délire dans le virage du col du Petit Ballon qui porte désormais son nom lève la main ? Nous ne le croirons pas. Le franc-comtois n’a peut-être jamais gagné le Tour mais il a conquis le cœur de tous les français.
Le Tour de France, c’est donc ce savoureux mélange d’héroïsme et d’émotion, de triomphes légendaires et de défaites majestueuses, tout cela dans un décor de carte postale et une ambiance de stade turc.
Mais encore plus que cela, le Tour c’est avant tout une histoire commune et des souvenirs. Des souvenirs de course évidemment mais pas que. Pour beaucoup d’entre nous, le Tour sera toujours cette course que l’on regardait lors de chauds après-midi d’été, à côté de nos grands-père qui somnolaient et qui ne se réveillaient qu’en sursaut pour voir l’arrivée avant de nous bassiner avec leurs souvenirs des exploits de Merckx et Hinault alors que nous ne jurions que par ceux de Voeckler. Puisse l’édition 2024 en créer de nouveaux. Vive le Tour !