vendredi 19 avril 2024

Quand Eddy Merckx lançait la mode des cyclistes entrepreneurs

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

Véritable enjeu de société bien au-delà d’un peloton qui ne l’a pas toujours bien appréhendée, la reconversion des coureurs se déroule d’autant mieux qu’elle aura été préparée bien en amont de la retraite sportive. Hier et aujourd’hui, les exemples ne manquent pas de ces cyclistes entrepreneurs ayant réussi à se réinventer ailleurs que sur un vélo.

Atout seigneur, tout honneur, celui du plus grand de tous, Eddy Merckx. Dans le sillage d’un Louison Bobet inspirateur, à Quiberon dès 1962, du premier centre moderne de thalassothérapie français, le « Cannibale » ne tarda pas lui non plus à entreprendre, une fois le vélo raccroché. A 33 ans, en créant sa propre marque de cycles haut de gamme (EMC, Eddy Merckx Cycles), il montrait l’exemple.

« J’étais encore jeune, je ne pouvais pas vivre de mes rentes. » Accompagné de son conseiller financier, Freddy Liénard, avec qui il partageait 50 % du capital de la société, mais aux ambitions démesurées, le champion belge connut des débuts difficiles.

Après le départ de Liénard, le salut est venu de Madame Merckx, Claudine, qui s’est révélée une excellente gestionnaire, pour [asseoir le développement d’une société finalement revendue en 2014 à Jan Toye, un industriel belge (qui l’a depuis cédée à Ridley Bike). Une vraie réussite qui aura permis au quintuple vainqueur du Tour de se faire plaisir, sans trop de pression économique, dans des rôles de consultant pour la télé, ou comme dirigeant du CIO belge.

2009 : Cippollini, le premier à relancer l’entrepreneuriat

En 2009, Mario Cippollini fonda aussi sa propre marque de cycles MCipollini, basée à Sorga, en Italie, avec des usines à Vérone, Milan, Pise, Venise et Florence. Mais la disparition de l’équipe Vini Zabu en 2021, pour laquelle il était l’équipementier officiel depuis 2010, tout en dessinant les maillots, a freiné sa petite entreprise. Dans le même registre, le sprinteur australien Baden Cooke a été à l’origine de la création des vélos Factor dès 2013.

L’ancien maillot vert du Tour collaborait avec David Millar pour développer une marque qui se voulait révolutionnaire en proposant des roues haut de gamme. Il a notamment équipé AG2R La Mondiale. Il s’en est extrait en 2018, ce qui poussa peut-être la formation française à signer chez… Eddy Merckx Cycles! Andy Schleck a misé sur le même créneau (Andy Schleck Cycles) en ouvrant un magasin à Itzig, dans le sud du Luxembourg, qui propose aussi de la restauration, pour une quinzaine de salariés qu’il gère en véritable chef d’entreprise aux côtés de sa femme, Jil.

Quand la logique pousse la plupart à investir, ou à s’investir, dans un milieu qu’ils connaissent bien, comme entraîneur, directeur sportif, pilote, manager ou consultant média, elle ne les guide pas tous. Miguel Indurain a par exemple créé en 1991 une chaîne de magasins de sport avec Marino Lejarreta (Forum Sport), en intégrant une cinquantaine de sportifs espagnols dans son actionnariat, n’hésitant pas à diriger lui-même un store à Pampelune pendant une dizaine d’années avant de tout céder en 2016 pour créer une agence de pub et une agence immobilière.

Virenque, le projet hôtelier en suspens

En marge d’un rôle de consultant sur Eurosport qu’il n’exerce plus depuis 2019, Richard Virenque avait racheté un terrain sur la commune de Carqueiranne, avec un ambitieux projet hôtelier à la clé.

« Nous avions obtenu un permis de construire pour un hôtel 5 étoiles avec la perspective de créer 120 emplois. En 2020, alors que les travaux allaient commencer, le tribunal administratif de Toulon a suspendu le permis. J’ai obtenu gain de cause en première instance, mais l’appel des opposants au projet l’a retardé de 18 mois… On est dans l’attente et dès que nous en aurons l’autorisation les travaux démarreront. Je suis déterminé à le mener à bien car c’est le grand projet de mon après carrière. »

La nouvelle génération qui arrive sur le marché de l’emploi aujourd’hui oriente sa reconversion vers d’autres domaines, celui des start-ups et des nouvelles technologies.

Nouvelle génération, nouvelles orientations…

Niels Brouzes en est un bon exemple. Après une carrière chez Big Mat Auber 93 entre 2002 et 2010, l’entrepreneur de 39 ans a intégré le monde de l’Insurtech au sein de la société Wellness625 qu’il a fondée et dirigée jusqu’en janvier 2022 avant de créer la plateforme Sorius qui propose un coaching nouvelle génération.

« Je suis un homme de projets, j’ai très vite compris ma direction d’après carrière ; l’entrepreneuriat », déclarait-il au magazine Forbes en 2020. Hyperactif dans sa volonté d’innover, créer l’arborescence de l’application pour le bienêtre smartphone Wellness625 ne lui a pas suffi. Il a enchaîné avec Sorius pour se mettre au service des coureurs et leur offrir à prix réduits les moyens d’une préparation adaptée à leur niveau.

Champion de France espoir, vainqueur du Tour du Finistère, Niels conseille depuis dix ans coureurs pros et amateurs et n’est pas prêt d’arrêter d’entreprendre. C’est aussi le cas d’Anthony Morin (45 ans), gérant de la station de lavage Théo Lavage à Plestin les Grèves. Rachetée en 2016 sous l’appellation Calyps’eau Armor, la station a adopté une technologie de pointe dans le domaine du lavage automobile.

L’ancien cadet du Tour de France 1997 avait aussi créé des stations à Morlaix, à Plougasnou dès 29 ans, alors qu’il mettait fin, en 2003, à une carrière remplie de 9 victoires chez les pros avec Bigmat Auber, La Française des Jeux et Crédit Agricole.

Société d’agents, TP, d’autres univers pour les cyclistes retraités

De Benoit Jarrier (31 ans), ex-Arkéa Samsic, qui a acheté une minipelle et envisage de créer une société de travaux publics, à Christophe Le Mével (Crédit Agricole, FDJ, Cofidis), qui a monté sa propre structure d’agents, Cycling Life Management, en passant par Florian Vachon (37 ans), ancien vainqueur de Paris-Bourges, agent immobilier franchisé Capifrance ou Alexis Dulin (30 ans, 8 saisons pros) qui a créé sa micro entreprise « Cycles Alexys Dulin, entretien et réparation ».

Sans oublier Pierrick Fedrigo à la tête des Gîtes du moulin du Grand Auque, en Dordogne, qui organise des séjours d’entraînement, ni Axel Domont qui s’est installé au domaine des Côtes Rousses pour faire du vin en biodynamique, et encore moins Clément Chevrier (AG2R La Mondiale) qui s’est lancé dans la sommellerie, recruté par Jean Sulpice à l’Auberge du Père Bise à Talloires en Haute Savoie…

Les trajectoires diffèrent, mais se rejoignent sur la même volonté de conserver un minimum d’adrénaline pour rendre plus supportable celle qu’on appelle « la petite mort » et qu’eux appréhendent plutôt comme une nouvelle vie.

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