Plus qu’un témoignage, Philippe Delerm, auteur (entre autres) de « La beauté du geste » ou de « La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives », a souhaité prendre la plume pour écrire lui-même ce que lui inspirait Kylian Mbappé.
— Par Philippe Delerm
« On a l’impression de le connaître depuis toujours, ce Kylian. Il tient le haut de l’affiche depuis pas mal d’années désormais. Mais surtout, il est devenu un personnage de notre vie, un peu comme un héros de bande dessinée, une sorte de Tintin moderne, incorruptible et tendre, sur qui on peut compter. Différent en cela des héros de BD il a une famille, des assises solides, des gens qui l’ont aidé, poussé à aller au bout de ses rêves, sans oublier d’y ajouter une exigence morale, des valeurs, comme on dit.
Il n’appelle pas la familiarité, mais on a quand même l’impression de pouvoir passer la main sur le haut de son crâne, en affection. On a eu tort de le chambrer récemment parce qu’il préconisait à ses coéquipiers de « bien manger, bien dormir ». C’était une façon gentiment ironique de rappeler aux vedettes du foot qu’ils ne devaient pas être des agents du bling-bling. Il y a une forme évidente de sagesse chez ce jeune adulte si adulé, aux avis si posés, imperméable à toutes les dérives de l’argent roi.
Kylian Mbappé, un homme moderne
Kylian Mbappé n’est pas qu’un personnage. Un jeune homme moderne, mais d’une humanité qui pourrait être de tous les temps. Un joueur moderne aussi qui dit « le football, il a changé. » On est toujours un peu surpris de la sérénité des analyses de ce si jeune joueur que le destin a tant récompensé et bousculé à la fois.
Que peut-on espérer d’autre quand on gagne une Coupe du monde à 19 ans, et que tous les spécialistes voient en vous le nouveau Pelé ? Eh bien peut-être un épanouissement d’une autre nature. Kylian est devenu la foudre, l’arme absolue qui peut changer le sort d’un match à lui seul.
Un crochet dévastateur, une vitesse de course supersonique, un tir enveloppé venu de la gauche qui semble prendre une puissance de bolide en allant se ficher dans la lucarne opposée. On a déjà vu cela tant de fois, avec bonheur. Et cependant est venue comme en corollaire l’image d’une certaine solitude.
« Il manque à Kylian d’avoir évolué dans une équipe qui a un vrai style de jeu »
Parfois, on aurait échangé un but de Kylian contre certaines séquences délicieusement subtiles entre Benzema et lui. Temps révolu : Benzema ne jouera plus en équipe de France. Sans doute, « le football il a changé », les équipes qui gagnent sont rarement celles qui portent la balle.
C’est patent en équipe de France, où le joueur de Bondy a failli nous donner une autre Coupe du monde dans un match où il avait très peu vu le ballon par ailleurs. C’est un peu différent, mais plus triste au Paris Saint Germain, dans une équipe qui se liquéfie dès que l’opposition devient consistante.
Il manque à Kylian d’avoir évolué dans une équipe qui a un vrai style de jeu, un milieu de terrain offensif et conquérant. Il lui manque d’avoir eu comme partenaire un Iniesta de la grande époque, ou un Modric plus jeune, pour lui donner davantage et exiger plus encore de son talent. Les jeunes pousses de Paris lui donneront peut-être un jour cela, ou la philosophie d’un entraîneur à la Zidane ou à la Guardiola. Tout est tellement devant encore. »
*Romancier et poète