On se trompe souvent lorsqu’on évoque le jeu à la nantaise en ne pensant qu’aux actions d’éclat, aux buts spectaculaires, aux envolées offensives. C’est en cherchant ce qu’il y avait de commun entre le Nantes de Suaudeau en 1996, si flamboyant et séduisant, et celui de Denoueix en 2001, plus laborieux, qu’on a le plus de chances de trouver sa définition. Et de percer aussi les mystères d’une méthode.
« La grande force du FC Nantes, d’une époque à l’autre, a été d’assurer la transition entre Suaudeau et Denoueix, ce qui devrait donner des idées à d’autres clubs, pour former, préparer quelqu’un à sa succession. » Eric Carrière a vécu les derniers moments de Suaudeau avec les pros, avant de retrouver celui qui l’avait accueilli à la Jonelière.
Il a donc vécu la transition de l’intérieur, pour une continuité dans le travail et les idées qui allait permettre au club de voguer vers un huitième titre, sept ans après le septième.
Ce n’est pas autrement que le jeu à la nantaise s’est régénéré dans les années 70, Suaudeau prenant le relais de Vincent qui lui même l’avait pris d’Arribas, pour une grande régularité et le maintien d’une certaine forme de compétitivité qui passait forcément par la mainmise du sportif sur les contraintes économiques.
« La force de Nantes a longtemps été de donner les clès du club aux hommes de terrain, soulève l’ancien canari Guy Lacombe, ce sont eux qui ont donné une vision, qui traçaient un chemin. Encore fallait-il ne pas se tromper de techniciens. De toute façon, lorsqu’ils se sont trompés, immédiatement les résultats ont été moins bons. »
Entre 1988 et 1991, sous l’ère du président Bouyer, le passage de Blazevic n’eut d’autres conséquences que de plonger le club au bord de l’abîme, ce qui paradoxalement lui permit de revenir à son adn en faisant confiance aux jeunes du centre de formation et de relancer un processus qui avait fait ses preuves, qui les ferait encore jusqu’au licenciement de Denoueix en 2001… par une équipe dirigeante qui avait pris la main.
« Suaudeau était bouillonnant de réflexion »
Et des présidents successifs qui pensaient que le jeu à la nantaise était éternel et dépendait moins des hommes qui l’ont animé que des moyens financiers qu’ils étaient prêts à y consacrer.
« Un jour, en arrivant dans un club, un président m’a dit : « J’ai-merais qu’on joue comme le FC Nantes ». Je lui ai répondu; alors mettez moi d’abord avec les U15, accompagnons-les jusqu’en senior, et surtout soyez patient ! »
Du côté de Toulouse, le jeune coach Guy Lacombe connaissait trop une réalité nantaise qui intriguait. Quel était donc le secret de ce jeu à la nantaise ? « Lorsque j’étais au PSG, poursuit Dominique Casagrande, je sentais beaucoup de curiosité de la part du staff, celui de Giresse notamment, pour savoir ce qu’on faisait à l’entaînement de si spécial qui amenait l’équipe à une telle fluidité dans le jeu. »
Suivre une séance d’entraînement de Coco Suaudeau aurait pu aider Alain Giresse à mieux comprendre. Parce qu’il aurait vu le maître l’animer avec passion et conviction pour en sortir souvent vidé mentalement -, parce qu’il aurait aussi senti l’esprit qui accompagnait des exercices souvent inventés au gré des leçons tirées des matches précédents, des pistes de progrès qu’il voulait exploiter.
« Denoueix et Suaudeau partageaient la même philosophie, le même souci du collectif, sans l’exprimer de la même manière, mais ils avaient en commun la même obsession permanente de chercher, encore et toujours chercher, réfléchir au jeu, trouver des solutions… J’ai connu Suaudeau à mes débuts, avec la réserve, il était bouillonnant de réflexion. »
Guy Lacombe a bien tenté de copier quelques idées ça et là, qui en soi n’avaient rien de révolutionnaires : le mouvement permanent, les déplacements, les appels de balle, la recherche de l’espace, la quête de la contuinité dans le jeu… mais les contextes dans lesquels il les mettait en pratique ne lui ont jamais vraiment permis d’aller au bout de ses idées. Pas le temps.
Denoueix valorise les individualités avec un collectif exceptionnel
« Parce que ça dépend aussi des joueurs, de leur association, et de la façon d’animer l’ensemble, un domaine où Suaudeau était un maître. »
« Denoueix ne cessait de nous répéter qu’un joueur sera toujours meilleur s’il a autour de lui d’autres joueurs qui le comprennent, qui se comprennent, témoigne Eric Carrière. Il disait tout le temps : « Quand deux joueurs se comprennent, c’est fort, mais quand trois joueurs d’une même équipe parviennent à être sur la même longueur d’onde, c’est très fort. »
Cela renvoie à sa phrase sur la valeur additionnée de deux joueurs qui ne pourra jamais être supérieure à celle du lien qui les unit. Comprendre l’autre, c’est pouvoir anticiper ses déplacements pour lui mettre le ballon à une touche dans l’espace. Et lorsque on parvient à faire ça dans une zone dense, c’est le sumum. C’est ce que parvenaient à faire Messi, Suarez et Neymar à Barcelone. C’est le Jeu avant le Je !
« Ce qu’est parvenu à faire aussi le trio Pedros-Loko-Ouédec sur une période plus courte certes, mais avec la même impression de simplicité. Johan Cruyff disait : « Jouer au football est très simple, mais jouer simple au football est la chose la plus difficile qui existe. »
C’est évidemment pour ça que le jeu à la nantaise a toujours autant de mal à survivre au départ de ses géniteurs.