Deux fois champion du monde, trois fois vainqueur du Tour, Greg LeMond fut l’incarnation de l’internationalisation du cyclisme des années 80. Grâce à son palmarès, à sa personnalité et à son talent, le Californien est devenu le meilleur coureur américain de l’histoire, une histoire qu’il a marquée de son empreinte en remportant le Tour 1989 pour seulement 8 secondes lors d’un dernier chrono d’anthologie face à Laurent Fignon sur les Champs-Elysées.
Le destin de Gregory James LeMond, né le 26 juin 1961 à Lakewood, et certainement celui du cyclisme US aussi, ont basculé lors des championnats du monde 1982, à Goodwood, en Angleterre. Ce jour-là, et pour la première fois de l’histoire, le peloton a pris conscience qu’il faudrait désormais compter sur d’autres profils qu’uniquement européens et plus particulièrement sur celui d’un jeune Californien de 21 ans qui avait déjà marqué son territoire en remportant le titre chez les juniors en 1979.
Enrôlé par Cyrille Guimard chez Renault-Gitane, dans le sillage d’un compatriote, Jonathan Boyer, avec qui il ne s’entendait pas, LeMond, avait déjà démontré l’étendue de son talent. A Goodwood, il allait faire preuve d’un tempérament incroyable pour son âge en revendiquant le fait de rouler derrière son coéquipier, Boyer, échappé à quelques centaines de mètres de l’arrivée, pour prendre la 2ème place derrière Sarroni, et déclarer sans aucun complexe :
« Boyer n’aurait pas gagné et je ne voulais pas qu’il gagne car ce n’est pas un de mes amis. Je ne pensais pas qu’il était le genre de coureur qui devait être champion du monde. »
Un an après, le « Star-Spangled Banner » résonnait dans le ciel d’Altenrhein, en Suisse, pour fêter le premier de ses deux titres mondiaux. Quelques années plus tard, c’est avec un autre de ses coéquipiers au caractère aussi trempé que lui, à La Vie Claire, un certain Bernard Hinault, que LeMond eut aussi maille à partir.
Et là encore, après l’avoir aidé en 1985 à remporter son cinquième Tour, non sans énormément de tension, il décrocha la timbale l’année d’après en 1986 en arrivant main dans la main en haut de l’Alpe d’Huez pour un moment de grâce qui reste dans l’histoire de la Grande Boucle. Premier américain, et non européen, champion du monde et vainqueur du Tour, c’est un pionnier de 25 ans qui prend le relais du Blaireau comme patron du peloton.
Une nouvelle ère de domination sans partage se profile à l’horizon. Mais ça, c’était avant le 25 avril 1987 quand son destin bascule une nouvelle fois lors d’une sortie de chasse qui vire au cauchemar. Criblé de plomb, il échappe à la mort, mais doit mettre sa carrière entre parenthèses pendant deux ans, une éternité pour un sportif de haut niveau.
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Lemond défraye la chronique technologique avec un vélo de triathlète
Lorsqu’il revient en 1989, personne n’imagine le voir rivaliser avec les deux favoris, Delgado et surtout Fignon, le nouveau boss. C’est pourtant ce qu’il fait en défrayant la chronique technologique avec un vélo de triathlète utilisé lors des deux contre-la-montre. Pour huit petites secondes, cette innovation lui offre son deuxième Tour lors d’une dernière étape d’anthologie sur les Champs-Elysées qui lui permet de reprendre le maillot jaune à l’inconsolable Fignon qui comptait pourtant 50 secondes d’avance avant la dernière étape entre Versailles et Paris (24,5 km).
Jamais victoire finale ne s’était jouée à aussi peu. Après Hinault, LeMond dompte Fignon et confirme son retour au premier plan en allant chercher un second titre mondial à Chambéry. Un troisième Tour ne tarde pas en 1990 remporté avec l’équipe Z, son dernier avant l’émergence d’un autre phénomène venu d’Espagne, Miguel Indurain.
Quatre ans après, il lâche l’affaire après la 6ème étape pour sa 8ème participation au Tour, dix ans après avoir remporté le classement du meilleur jeune, quatorze ans après avoir été repéré par Cyrille Guimard lors d’un Tour de Bretagne « où j’avais eu un aperçu de son talent et de sa personnalité car il avait failli en venir aux mains avec son directeur sportif qui avait tardé à le dépanner alors qu’il était dans l’échappée et venait de crever. »
LeMond resta pendant quatre saisons chez Renault Gitane avant de partir rejoindre Bernard Tapie à La Vie Claire : « Il était de la même trempe qu’un Hinault, qu’un Fignon, tous ces champions hors-norme car capables de gagner plusieurs Tours. Lui ne s’intéressait qu’au Tour, aux JO et aux championnats du monde. Son éducation et sa culture US ne le prédisposaient pas à viser les Classiques. »
Deuxième du Tour de Lombardie en 1983, de Milan-San Remo en 1986, 3ème de Paris-Nice en 1986, 4ème de Paris-Roubaix en 1985… il n’en gagne d’ailleurs aucune. Son retrait du peloton en 1994, à 33 ans, signifie aussi qu’il n’entend pas participer à la surenchère médicale consécutive à l’arrivée de l’EPO. « Ça ne faisait aussi pas partie de sa mentalité et de sa culture », témoigne Cyrille Guimard pour un champion qui lutte encore aujourd’hui contre une leucémie, héritage de cet accident de chasse qui lui a laissé trop de plombs dans le corps.