Un Français champion du monde sur les routes du Tour, on n’a plus vu ça depuis 1998… Et l’exclusion de Laurent Brochard en marge de l’affaire Festina. La présence de Julian Alaphilippe avec son maillot arc-en-ciel cet été sera donc un petit événement. A apprécier, mais sans aucune garantie car le statut si envié n’a que très peu souvent réussi aux coureurs tricolores.
L’univers du Tour de France se partage entre ceux qui ont les armes pour le gagner, et les autres. Aussi, au moment de revenir sur le destin des huit coureurs français qui ont préparé la Grande Boucle avec le statut de champion du monde, il faut mettre Georges Speicher, Antonin Magne, Louison Bobet, Bernard Hinault et Luc Leblanc d’un côté, André Darrigade, Jean Stablinski et Laurent Brochard de l’autre.
Les premiers parce qu’ils l’avaient déjà gagné ou pouvaient espérer le gagner, les seconds parce qu’ils n’ont jamais eu cette ambition. Dans le premier cercle, vainqueurs en 1955 et 1981, Bobet et Hinault furent les deux seuls à remplacer l’arc-en-ciel par le jaune. Et encore, Bobet eut la délicatesse d’effectuer la bascule qu’après la 17ème étape, à cinq jours de l’arrivée à Paris, laissant à son équipier de l’équipe de France, Antonin Rolland, le soin de le porter pour lui pendant les deux premières semaines, histoire aussi d’alléger la pression.
Maillot de champion du monde mais malédiction sur le Tour pour Alaphilippe ?
Blessé, il remportait tout de même son troisième et dernier Tour à 30 ans avant une fin de saison sans relief à l’issue de laquelle il se faisait opérer en urgence d’un abcès à la selle qui l’handicapait depuis de longs mois et dont l’évolution mettait sa vie en danger.
Il mit six bons mois à s’en remettre. Pour Hinault, champion du monde en 1980, qui avait abandonné, blessé, le Tour 1980, c’est avec un fort esprit de revanche qu’il aborde celui de 1981 pour le dominer de la tête et des épaules avec près d’un quart d’heure d’avance sur le 2ème, Van Impe ! Au sommet de son art, il échouera dans sa quête du doublé mondial quelques semaines après à la 3ème place derrière Freddy Maertens et Giuseppe Saronni.
Le Maillot Jaune plus fort que le maillot de champion du monde
Sur le Tour, les deux légendes sont à l’heure actuelle les deux seuls champions du monde français à avoir abandonné leur maillot arc-en-ciel pour la bonne cause, celle du maillot jaune. Parmi tous les autres, deux ne se présentèrent même pas au départ.
Accidenté au volant de sa Panhard, blessé à un genou, Antonin Magne préféra faire l’impasse pour mieux préparer son huitième et dernier Tour en 1938, sans parvenir (8ème) à aller chercher un troisième succès.
Opéré du nerf sciatique en juillet après avoir quitté Festina pour rejoindre le Groupement, une équipe qui allait déposer le bilan en cours de saison, l’après titre mondial de Luc Leblanc fut une longue traversée du désert qui lui permit de rebondir chez Polti où il allait revenir sur le Tour en 1996 (6ème) avant deux abandons en 1997 et 1998.
Le dernier, Georges Speicher fut aussi le premier champion du monde sur route professionnel, en 1933, le premier aussi à réaliser le doublé tourmondial la même année. Il finira 11ème du Tour 1934 derrière Magne…
Des trois autres, c’est Darrigade, un habitué du maillot jaune, qui parvint le mieux à exister avec son statut de champion du monde (16ème et vainqueur d’une étape), quand Stablinski dut abandonner et laisser à son équipier Anquetil le soin d’aller chercher un quatrième Tour, et Brochard fut exclu en raison de l’affaire Festina.
Hinault : « Il n’y a pas plus beau moment que de débuter le tour avec le maillot arc-en-ciel sur les épaules »
Pour analyser aujourd’hui les performances de ces Français en arc-en-ciel, et se projeter sur celles de Julian Alaphilippe, Bernard Hinault nous coupe immédiatement l’herbe sous le pied :
« Il n’y a aucune malédiction là-dedans, c’est bien un truc de journaliste ça ! Si autant ont abandonné ou été blessés avant, c’est le hasard. Car il n’y a pas plus beau moment que de débuter le Tour avec le maillot arc-en-ciel sur les épaules. Surtout quand, comme moi, vous gagnez d’entrée le prologue du Tour ! »
Et Le vainqueur de Sallanches de poursuivre dans la même logique : « Si vous n’êtes pas capable de passer la haute montagne, le statut de champion du monde ne fera rien pour vous. Si je suis le seul avec Bobet à avoir porté en même temps les deux plus beaux maillots du cyclisme mondial, c’est parce que nous étions les deux seuls à attaquer le Tour en ayant les moyens de le gagner, tout simplement. Et ne me dites pas qu’avec le maillot arc-en-ciel vous avez une pression supplémentaire ou que vous êtes plus surveillé, c’est faux. Car tout le monde connaît tout le monde dans le peloton, peu importe le maillot… »
Alaphilippe ne sera donc pas plus surveillé que d’habitude au matin du 26 juin au départ de Brest. « Il est un peu comme moi, à ne pas trop se poser de questions. Si j’avais un conseil à lui donner ce serait qu’il ne change pas, qu’il aborde ce Tour pour s’amuser, se faire plaisir. Jusqu’à présent, ça lui a plutôt bien réussi… » De quoi rêver de lever les bras avec le maillot arc-en-ciel…
Tom Boissy