Vincent Lavenu a participé à la création d’AG2R La Mondiale. Pour Le Quotidien Du Sport et Cyclisme magazine, il raconte cette épopée vieille de 30 ans avec l’équipe qui a révélé Romain Bardet.
Vous souvenez-vous de votre première victoire à la tête d’une équipe qui s’appelait alors Chazal Vanille et Mûre ?
Oui, bien sûr, le Suisse Jocelyn Jolidon sur la 2ème étape d’un Tour du Vaucluse que nous avons aussi gagné deux jours plus tard avec Robert Forest.
De toutes les victoires acquises depuis 1992, quelle fut la plus significative ?
Il y en a évidemment plusieurs, mais la première significative fut celle de Vinokourov dans le Dauphiné Libéré en 1999, parce que c’était chez nous, sur nos terres, et qu’il s’agit d’une des plus belles épreuves du calendrier mondial. Il y avait aussi eu avant, en 1998, la première victoire d’étape sur le Tour, en 1998 avec Jacky Durand (8ème étape, Brive-Montauban, Ndlr). Depuis, 19 autres ont suivi (avant le Tour 2022 et la victoire de Bob Jungels lors de la 9ème étape, Ndlr)…
La deuxième place de Bardet en 2016 était une satisfaction
Entre frustration et satisfaction, comment avez-vous vécu les deuxièmes places de Péraud (2014) et Bardet (2016) sur le Tour ?
Différemment car elles ne signifiaient pas la même chose. La deuxième place de Péraud était inattendue. Jamais nous n’aurions imaginé au début du Tour 2014 que nous allions terminer aussi haut. Et quand elle s’est confirmée, après le contre-la-montre de Bergerac, le bonheur était d’autant plus grand. Pour Bardet, chacun de ses podiums a été une belle satisfaction, un sentiment très fort, car peu de Français y parviennent encore. Avec Jean-Christophe (Péraud), on visait une place dans le top 10, avec Romain (Bardet) dans le top 5…
Croyez-vous encore en une victoire possible sur le Tour ?
Il n’y a pas si longtemps encore, on croyait inaccessible une place sur le podium. On l’a pourtant fait plusieurs fois. Pour la victoire, il faut surtout ne pas s’empêcher d’y penser. Tellement d’aléas interviennent dans une épreuve comme le Tour qu’on ne doit rien s’interdire et croire en permanence qu’un jour, ça va le faire ! A notre niveau, avec nos moyens, on fera toujours tout pour…
Si vous aviez un top 3 de vos coureurs les plus emblématiques depuis 30 ans, quel serait-il ?
Le premier est forcément Jaan Kirsipuu qui nous est resté fidèle pendant 12 ans en gagnant 124 courses. Il a été un marqueur très fort de notre histoire. Le deuxième est Romain Bardet eu égard à son potentiel et à ses résultats. Je mettrai sur la troisième marche Laurent Biondi, qui a couru chez nous pendant deux ans, avant de devenir directeur sportif.
« Je suis né le 12 janvier, nous avons signé avec casino un 12 janvier…
Quelles furent vos périodes les plus fastes, celles où vous vous êtes senti le plus fort ou à défaut le plus heureux ?
Parvenir à monter une équipe professionnelle, pour l’ancien cycliste que j’étais et tous ceux qui nous ont accompagnés, alors que personne n’y croyait, a été une première satisfaction incroyable. Le simple fait d’y parvenir, envers et contre tous, a suscité énormément de bonheur. D’une époque à l’autre, je le compare un peu à ce qu’a pu vivre Jérôme Pineau avec B&B Hotels…
Quand vous êtes un ancien coureur et que vous vous battez comme un fou, il est très valorisant d’y arriver. C’est aussi cet engagement fort, de tous les bénévoles qui nous ont accompagnés au début, qui a créé l’adn de l’équipe, qui a ancré notre âme et permis de générer tout le reste. La deuxième grande période fut associée à Casino.
Entre 1996 et 1999, avec une belle équipe (Chanteur, De Las Cuevas, Kasputis, Vinokourov, Richard, Durand, Agnalutto, Hamburrger, Kirsipuu, Barthe…) nous avons gagné de belles courses (Fléche wallonne, Amstel Gold Race, Paris-Tours, Tirreno-Adriatico, Dauphiné Libéré, Tour de Suisse, de Pologne, 3 étapes du Tour, une de la Vuelta…). La troisième ère, les années AG2R, n’est pas encore terminée, mais nous a déjà offert des résultats exceptionnels dans le sillage de Bardet.
Une signature de contrat décisive avec Casino
A l’inverse, quelles furent les années de doute ?
Le moment charnière, où tout aurait pu basculer du mauvais côté, fut le passage entre Chazal, qui nous avait fait savoir depuis un an son désengagement, et Casino, que j’ai rencontré par hasard grâce à un ami, Jean-Yves Grand. Sans lui, j’aurais eu beaucoup de mal à attirer un sponsor. C’est lui qui m’a mis sur la piste de Casino.
Mais avant, alors que j’avais des coureurs sous contrat, mais pas de sponsors pour les honorer, j’ai vécu les mois les plus difficiles de ma vie, des nuits et des nuits sans sommeil. L’ironie de l’histoire c’est que je suis né le même jour et la même année que Jean-Yves Grand, le 12 janvier 1956, et que nous avons signé notre partenariat avec Casino… un 12 janvier 1996.
Comment voyez-vous l’avenir désormais, vos 40ans ?
L’important est de croire en l’avenir, croire que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, pour ne pas rester sur ses échecs. Nous avons de l’énergie à revendre. A titre personnel, j’ai plein de défauts, mais une qualité à mes yeux essentielle. Si je suis parfois très fatigué le soir quand je me couche, je parviens toujours à me lever le lendemain matin avec la pêche. Tant que je serai dans cet état d’esprit, je ne m’inquiéterai pas pour le futur. Rendez-vous donc en 2032 (rires) !