vendredi 2 juin 2023

Carlos Bianchi : « Je me reconnais en Robert Lewandowski »

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Jean-Marc Azzola
Jean-Marc Azzola
Journaliste

Considéré comme une véritable légende stadiste et idole absolue du regretté Docteur Gonzalez, Carlos Bianchi a eu une double casquette au club. Le quintuple meilleur buteur de première division (avec Reims et le PSG) s’est d’abord révélé comme joueur en France en redressant Reims. S’il est resté dans les mémoires comme ce serial buteur implacable des années 70, il s’est ensuite mué comme coach écouté et respecté pour le bien du club de la Marne. A 73 ans, pour Le Quotidien du Sport, ce joueur mythique revient sur ses années rémoises qui ont changé le cours de sa carrière et de sa vie.

Que devenez-vous ?

Je profite de la vie avec ma femme, la famille et les amis. On voyage. On vit entre Paris et Buenos Aires.

Comment avez-vous vécu ce paradoxe dans votre carrière de joueur entre des titres individuels exceptionnels et d’autres collectifs bien moindres ?

J’étais dans des équipes peut-être qui n’avaient pas le niveau pour être plus fortes. Je me suis souvent posé cette question. Imaginons un meilleur buteur de n’importe quel grand championnat européen. Il évolue dans une équipe finissant son exercice 11ème ou 13ème. Quand une année, j’ai marqué 37 buts en 38 matches (1977/1978 au PSG, Ndlr), l’équipe avait fini 11ème. Etre le meilleur buteur d’une équipe qui joue le titre, c’est toujours mieux. Vos équipiers et votre équipe sont plus forts. Cela devient bien moins facile de marquer des buts quand vous évoluez dans une formation qui se trouve en milieu de tableau.

Carlos Bianchi, un joueur très fort dans les équipes moyennes

Vous devez avoir des regrets, non ?

Pas du tout. J’ai vécu ma carrière. Le mot regret, je ne l’utilise pas.

Comment caractériseriez-vous vos années de joueur à Reims (entre 1973 et 1977 et en 1984/1985) ?

Quand j’y suis arrivé, je ne connaissais pas vraiment le football français. Depuis l’Argentine, on suivait plutôt le football espagnol et italien. Quand Reims est venu me chercher, je me suis alors renseigné. Cela m’a plu de tenter l’expérience en France.

Pourtant, à l’époque, des clubs espagnols vous avaient proposé trois ou quatre fois plus d’argent !

J’avais surtout donné ma parole à Reims. La parole est plus importante que l’argent.

Existait-il à cette période une filière argentine à Reims car avant vous Delio Onnis avait aussi porté ce maillot ?

Je pense que Delio a été le premier Argentin à jouer à Reims. Mais quand les dirigeants du club étaient venus me chercher, ils m’avaient prévenu que Onnis allait quitter le club.

Vous êtes ensuite devenu une légende du Paris Saint-Germain (entre 1977 et 1979). Mais quel lien affectif entreteniez-vous avec les supporteurs de Reims ?

Très bons. Mais à l’époque le contexte était radicalement différent. Les supporteurs ne suivaient pas autant leur club à l’extérieur comme cela se fait aujourd’hui. Avant, ceux qui faisaient le déplacement se comptaient sur les doigts d’une main et c’était tout. Le football est devenu infiniment plus médiatique de nos jours.

« Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à devoir diriger mes équipiers ! »

Il n’empêche. En une seule saison passée dans la Marne, vous êtes devenu meilleur buteur du championnat de France (30 buts en 33 matches). Comment expliquer une adaptation si rapide et réussie ?

J’étais très professionnel. Bien que je ne connaissais pas toutes les composantes de ce football j’ai essayé de m’adapter au mieux. Quand on est buteur, marquer fait partie du travail. Cependant, cette réussite dépend aussi des équipiers que vous avez autour de vous. Les miens étaient très bons. Je devais alors m’appliquer avec mes qualités pour concrétiser. Si vous n’avez pas de bons partenaires, vous n’allez pas loin. Le football reste un sport collectif.

Pourtant, quelques années avant, il y avait eu le grand Reims. Ce n’était pas gagné d’avance…

Effectivement. Mais retenons un point important. Si on transpose les résultats de notre équipe de l’époque, elle aurait disputé la Coupe UEFA (Ligue Europa) quasiment chaque année. En ce temps-là, le champion disputait la Coupe des Clubs Champions. Le 2ème, le 3ème étaient pris pour disputer la Coupe de l’UEFA. Quand Reims a fini 6ème (en 2019-2020), le club a joué la Coupe d’Europe (qualification pour le 2ème tour de qualification de la Ligue Europa, Ndlr). En 1976, nous on avait fini 5èmes. Mais on n’avait pas joué la Coupe UEFA. Il faut dire aussi qu’à cette époque le football français n’était pas aussi bien coté qu’il ne l’est aujourd’hui.

Carlos Bianchi rend hommage à ses Présidents

Quel souvenir avez-vous gardé de Henri Germain, le président de l’époque ?

Il était plus le président d’honneur. Le président était davantage Serge Bazelaire. Tous les deux ont été des Messieurs. J’en garde des souvenirs émouvants. Ils étaient très bons et proches de moi. Deux personnes très humaines.

Pendant votre épopée à Reims, on garde en mémoire ce match fabuleux contre Saint-Etienne, le 19 juin 1976. Vous avez aussi marqué les six buts de la victoire contre le PSG (le 9 août 1974, 2ème journée) ! Si vous ne deviez ne retenir qu’un moment magique de votre passage comme joueur, quel serait-il ?

J’ai surtout rempli mon contrat. C’est ce qui m’a fait le plus plaisir. Il faut savoir être content de ce qui a été fait. Il faut également être apte à se poser les bonnes questions : si on a répondu aux attentes des supporteurs, des dirigeants… je pense que j’ai accompli tout cela.

Vous aviez fini aussi votre carrière de joueur à Reims (1984/1985). Pourquoi avoir décidé de boucler la boucle là-bas ?

Je vais vous faire une confidence. Robert Marion était le trésorier du club en ce temps-là. Il m’avait finalement convaincu de revenir pour essayer de faire monter le Stade de Reims. J’étais de mon côté sur le point de finir ma carrière à Velez. J’y avais démarré à l’âge de 11 ans. Quand je suis revenu à Reims, j’avais 35 ans. Je n’étais plus le même. Au bout de six mois, on n’était pas très bien. On s’était fait éliminer de la Coupe de France. Le lendemain, les dirigeants m’avaient alors dit qu’il fallait que je reprenne l’équipe comme entraîneur.

« Mes joueurs que je connaissais en tant que coéquipiers ont été admirables »

Comment s’est opérée la bascule ?

Cela a été une sacrée expérience à vivre. Je me suis alors retrouvé à devoir diriger mes équipiers ! Même si j’avais 35 ans et eux pour beaucoup 21, 22, 23 ans, ils étaient des copains, des amis. Et je devenais soudainement leur coach ! Du jour au lendemain j’ai été dans le bain. Il me fallait donc parler à 25 joueurs comme jamais je ne l’avais fait. Immédiatement, j’ai reçu le respect de leur part. Ils ont été admirables. Ce n’était pourtant pas facile. Quand vous êtes joueur, vous croyez tout savoir.

Mais quand vous êtes entraîneur vous devez expliquer aux joueurs ce qu’ils ont à faire. Je remercie vraiment le Bon Dieu d’avoir pu démarrer cette expérience d’entraîneur de cette façon-là. Elle m’a apporté beaucoup : sur la manière de diriger un groupe, sur la manière de le faire travailler, sur la manière de transmettre un message pour qu’il soit bien compris afin de prendre le bon chemin. J’ai été entraîneur pendant trois ans et demi au Stade de Reims. On a été deux fois 4èmes (1986 et 1987 en D2, Ndlr), on a atteint deux fois la demi-finale de la Coupe de France (en 1987 et 1988, Ndlr). J’ai pris un plaisir énorme de travailler avec les joueurs que j’ai eus.

Dans ce football actuel si physique comment évoluerait Carlos Bianchi ?

Je me vois un peu comme Robert Lewandowski. Lui ne base pas son football sur la puissance pure. Il joue davantage en finesse. Lewandowski a un bon jeu de tête. Il frappe bien des deux pieds. Il n’est pas le plus rapide, mais il l’est quand même. Je pense que j’avais certaines de ces qualités-là. Devant le but, j’avais une technique assez nette et claire. J’avais une bonne couverture de balle aussi. Bref, je savais ce qu’il fallait faire en anticipant beaucoup. Je n’avais pourtant pas un gabarit monstrueux. Mon poids de forme était de 75 kg pour 1m79. J’étais un joueur assez correct…

« L’argent fait tout aujourd’hui »

Que vous inspirent les résultats actuels de Reims ?

Quand il a fallu monter, ils l’ont fait. Ils ont ensuite pas mal enchaîné en enregistrant de bons résultats (8ème en 2019, 6ème en 2020, 14ème en 2021, Ndlr). En notre temps, la tendance était déjà un peu comme cela. Mais actuellement elle est encore bien plus marquée. Ceux qui ont plus d’argent se voient offrir bien plus de possibilités.

L’argent fait tout aujourd’hui. Mais pas qu’en matière de football. Vous regardez ce qui se passe en Formule 1. Les meilleures voitures appartiennent aux écuries les plus fortunées. L’argent dirige tout. Vous pouvez avoir une bonne équipe de basket, mais si vous n’avez pas d’argent vous ne pouvez pas prendre les meilleurs joueurs.

La problématique des moyens financiers est par contre moins significative dans les sports individuels. Dans un sport comme le tennis, vous vous battez en un contre un. Vous devez renverser votre adversaire avec vos qualités mentales, physiques et techniques.

Ce manque de moyens financiers n’a pourtant pas empêché Reims de finir à la 6ème place en 2020…

C’est un fait. Quand vous avez moins de moyens, vous pouvez certes réaliser une bonne saison, mais ensuite vous rentrez dans le rang. Prenons l’exemple de la Premier League. Quelques cylindrées ont plus d’argent que d’autres comme Manchester City, Chelsea, Manchester United, Tottenham, Arsenal, Liverpool… Mais une année (2016, Ndlr) il est arrivé que Leicester prenne dix points d’avance sur ses adversaires.

Ils ont fini champions d’Angleterre. C’est arrivé une fois. Depuis ce couronnement ils ont retrouvé une forme de normalité et sont rentrés dans le rang. Actuellement une équipe comme Villarreal me surprend. Ils ont moins d’argent que les gros clubs d’Espagne. Pourtant ils sont là.

Ce qu’ils obtiennent est plus que mérité. Alors que des clubs comme le PSG avec quarante fois plus d’argent qu’eux, ce club de Villarreal continue de briller en particulier en Ligue des Champions. Battre la Juventus 3-0 à l’extérieur comme ils l’ont fait, c’est fort ! Ce n’est peut-être plus la grande Juve, mais il faut quand même sortir ce genre de performance.

Carlos Bianchi n’a jamais joué pour l’Équipe de France

Pour finir, n’avez-vous eu jamais la possibilité d’avoir la nationalité française ?

Mais je suis Franco-argentin ! Nous avons pris la nationalité, mais quand je n’étais plus joueur. Si je me souviens bien, ce devait être en 1990. Quand j’étais joueur, je ne m’étais pas posé vraiment la question. C’est venu après. Quand on est reparti en Argentine, puis qu’on est revenu en France, la question s’est vraiment posée. Cela a été une manière de remercier la France. Je suis très heureux de tout ce qui s’est passé.

Un stade à son nom

2 octobre dernier. Baptême officiel. Un jour que Carlos Bianchi n’est pas prêt d’oublier. L’ancien grand attaquant du Stade de Reims et du Paris Saint-Germain, meilleur buteur du championnat de France en 1974, 1976, 1977, 1978, 1979, s’est trouvé dans la Marne pour recevoir un hommage qui l’attendait et hautement symbolique : un premier stade à son nom pour glorifier son immense carrière.

« Voir son nom sur un terrain de football, on ne l’imagine pas »

Une foule présente au Stade municipal de Bezannes a plus que jamais confirmé la très grande aura et popularité de ce grand champion. Pourtant, plus de quarante ans ont passé après ses immenses exploits avec le Stade de Reims. Mais il y a eu cet accueil très chaleureux (supporteurs, anciens joueurs, nombreux élus…), au moment où, pour la première fois de sa vie, un stade allait porter son nom.

Le natif de Buenos Aires a pu dévoiler la plaque du stade qui porte désormais son nom : « Je ne m’y attendais pas. Le président Alain Demailly que j’ai eu comme dirigeant quand j’étais entraîneur, ainsi que le maire de Bezannes (Dominique Potar, Ndlr) m’ont fait un plaisir énorme. Voir son nom sur un terrain de football, on ne l’imagine pas ».

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