C’est en Croatie, face au pays hôte, que la France a remporté le troisième de ses six titres mondiaux à l’issue d’une compétition que les hommes d’Onesta, portés par le trio magique Omeyer-Karabatic-Guigou, ont maîtrisée de bout en bout. Jusqu’à la folie d’une finale hors norme qui raisonne encore aujourd’hui comme celle qui a tout changé.
Dans un groupe A où aucune nation n’était en mesure de l’inquiéter, la France est entrée doucement dans la compétition, montant progressivement en régime pour un impeccable 5 sur 5 où seule la Hongrie l’avait un peu obligée à sortir de sa zone de confort (27-22).
Les larges victoires face à la Roumanie (31-21), l’Argentine (33-26), l’Australie (42-11) et la Slovaquie (35-26) n’étaient que l’esquisse d’un chef d’oeuvre qui devait se dessiner dans le tour principal surtout face à la Suède, écartée avec maestria (28-21), ensuite face à la Corée du Sud, sans bavure (30-21). Comptant pour du beurre, car les deux équipes étaient déjà qualifiées, le dernier rendez-vous avant les demi-finales allait s’avérer tout de même important car prémices d’une finale attendue par tout un peuple.
« C’était de la folie ! »
Avant le rendez-vous ultime, les demi-finales n’allaient en effet n’être que deux formalités pour les deux immenses favoris de la compétition, ni la Pologne (29-23), ni le Danemark (27-22), victime des Bleus, n’étant en mesure de remettre en cause la hiérarchie, pour un remake de la première finale mondiale des Français en 1995 (23-19) face aux mêmes Croates… doublement déterminés à prendre leur revanche face au champion olympique en titre qui lui avait barré la route de la finale un an plus tôt à Pékin (23-25).
Dans une ambiance indescriptible, un public chaud bouillant, une Arena remplie de supporteurs en rouge et blanc à damier, des projectiles qui tombaient sur le parquet, la Croatie d’Ivano Balic a un temps cru tenir le bon bout. En menant d’un but à la pause (12-11), après leur succès en phase de groupe, à domicile, les joueurs de Cervar pensaient avoir pris l’ascendant, sinon physiquement en tout cas moralement. Il fallait être costaud, à ce moment-là, pour ne pas sombrer !
France-Croatie, une finale particulière
« C’était de la folie », se souvient Nikola Karabatic, le régional de l’étape du côté de son père pour qui cette finale était forcément particulière. « J’ai évidemment chanté l’hymne français, mais entendre aussi en même temps celui de la Croatie en finale d’un championnat du monde, en termes d’émotions, c’était très fort pour moi ! »
Trop fort pour les Croates, impuissants face à la dynamique des Experts, la réussite insolante de Guigou, auteur de 10 buts dans cette finale que beaucoup considèrent encore aujourd’hui comme la plus belle et la plus difficile des six remportées par la France.
Du face à face mythique entre les deux meilleurs joueurs du monde, Karabatic et Balic, l’image de leur tête à tête a fait le tour de la planète hand avec une symbolique au moins aussi forte que celle du coup de boule de Zidane lors de la finale de la Coupe du Monde de football 2006.
Autant de tension accumulée, ça valait bien un petit « dégoupillage » en règle lors d’un plateau fracassé sur L’Equipe TV après la consécration, la confirmation mondiale du titre olympique. Pour l’un des principaux héros de ce 1er février 2009, Michaël Guigou, « c’est peut-être le plus grand match réalisé par cette équipe de France parce qu’il s’agissait des deux meilleures équipes des années 2000 et qu’on a réussi à gagner en Croatie dans une énorme ambiance. »
Longtemps dans l’ombre des Croates, les Experts avaient inversé la tendance. L’élève dépassait le maître et devenait le roi du monde à l’issue d’une finale où la stratégie élaborée par Claude Onesta a autant compté que le talent individuel de ses joueurs, la dynamique collective de tout un groupe. Il y a quelques années, Jérôme Fernandez nous avait raconté cette approche « onestienne » validée par tous ses acteurs :
Le début de l’épopée des Experts
« L’idée était de ne surtout pas emballer le match trop vite, pour rester au contact et faire la différence à la fin pour qu’ils n’aient pas le temps de réagir. On redoutait presque de faire la différence trop vite, et d’être à la merci d’une remontada. Dans cette ambiance, ils en auraient été capables et seraient devenus intouchables. » Longtemps irrespirable, le duel s’est dénoué dans le dernier quart d’heure. Comme prévu. Tactiquement, un coup de maître.
« Nous avons gagné mentalement en faisant preuve de maîtrise », poursuit Fernandez, leader d’une défense hermétique qui n’encaissait qu’un but dans les quinze dernières minutes, bien assis sur un 3-0 qui s’avèrerait suffisant et décisif. Les meilleurs attaquants du monde avaient buté sur la meilleure défense.
Gagner en Croatie dans ces conditions relevait autant de l’exploit que de la passation de pouvoir. Boostée par un titre olympique et ce titre mondial, la France mettait la main sur la planète hand. Douze ans après, en ajoutant trois autres couronnes mondiales (2011, 2015 et 2017), et deux autres médailles d’or (2012 et 2020), elle ne l’a toujours pas enlevée.
Tom Boissy