La baisse de la principale source de revenus des clubs français creuse le fossé économique qui les sépare du Top 4 européen et oblige la plupart d’entre eux à revoir leur stratégie pour que le déclassement sportif que tout le monde anticipe ne soit pas forcément une fatalité.
« Jusqu’à présent, la situation tenait de manière artificielle. Orange avait perdu 1 milliard d’euros après avoir été amené sur un plateau par le président Sarkozy, beIN SPORTS a aussi perdu des sommes folles, Canal+ a été éconduit, Bolloré n’a eu aucun état d’âme à regarder ailleurs, et si Amazon n’est pas venue c’est parce que même une multinationale de cette envergure ne peut pas amortir un tel investissement. »
Le diagnostic effectué par Luc Dayan, ancien président de Lille, spécialiste des restructurations et des ventes de clubs, est sans concession qui renvoie sur un football français qui a longtemps vécu au-dessus de ses moyens.
« En moyenne, les droits TV représentent 50% du budget des clubs, explique Luc Arrondel, économiste du sport, donc en passant du milliard espéré à 500 M€, la différence est énorme qui ne fait qu’accentuer l’écart qui sépare la Ligue 1 des autres championnats européens. »
« Mais on paye avant tout le manque de compétitivité sportive au niveau européen et la fragilité d’un modèle économique qui ne repose, pour être équilibré, que sur le trading de joueurs. Il s’agit même de la seule manne de rentabilité. Comme le niveau du championnat baisse, la valeur des joueurs aussi, et les revenus des transferts suit la même trajectoire. Au bout d’un moment, ça pose problème. »
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« En moyenne, les droits TV représentent 50% du budget des clubs »
Pour compenser la perte sèche, les leviers à actionner ne sont pas nombreux qui tournent autour des frais de fonctionnement, le train de vie des clubs, et de la masse salariale.
« 70% des budgets sont consacrés aux salaires, poursuit Luc Arrondel. Le ratio est le même en Ligue 1 qu’en Premier League. Cela n’est pas forcément choquant. Si on part du principe qu’un club de foot n’a pas forcément vocation à être bénéficiaire, l’argent doit être redistribué aux footballeurs qui font le spectacle. Sachant que le salaire moyen d’un joueur de L1 est de 50 000 euros, sur une carrière de cinq-six ans, ce ne sont pas des chiffres ahurissants si on enlève l’immense minorité qui dispose de gros contrats dans deux ou trois clubs pas plus ».
Ces mêmes clubs comme le PSG, l’OM ou Monaco qui seront moins impactés par la baisse des droits TV. Les autres vont devoir mieux travailler, insister encore davantage sur la formation, et envisager le moyen et long terme quand trop remettent trop vite en cause les compétences sportives d’un staff. Si la situation amène les présidents à faire preuve de davantage de patience et de persévérance, elle peut même s’avérer salutaire.
« A Nantes, poursuit Luc Arrondel, ce sont les difficultés économiques du club dans les années 80 qui ont permis à Coco Suaudeau de développer sa philosophie de jeu avec les résultats que l’on sait. A chaque club de faire preuve d’imagination et d’originalité pour rester compétitif. 5
« Car il ne faut pas se tromper, si on remonte dans l’histoire, c’est parce que sportivement nous n’avons pas été au même niveau que les autres quand nous avions la possibilité de l’être, qu’économiquement la France a décroché. Ce sont les performances sportives qui induisent les performances économiques et non l’inverse comme essaient de nous faire croire trop de présidents. »
« Les premiers dégâts vont arriver vite… »
L’absence de victoires en coupes d’Europe depuis l’OM et le PSG dans les années 90 doit davantage à un déficit mental et psychologique qu’à un manque de moyens financiers sinon les Pays-Bas, le Portugal et même la Turquie, la Russie ou l’Ukraine, ainsi que des clubs allemands et espagnols de seconde zone n’auraient jamais inscrit leur nom au palmarès de la Ligue Europa depuis vingt ans.
Pour l’économiste, la solution passe « par plus de performances européennes pour plus de revenus qui peuvent ruisseler sur la L1, notamment à travers les droits TV à l’international. »
Et ça, avec six clubs encore en course cette saison sur les trois compétitions continentales, ça parait réalisable à condition de jouer le jeu ce qui n’a pas toujours été le cas, loin de là, des clubs français. A défaut, il faudra attendre un geste politique « car dans ce pays, même dans le foot, ce sont eux qui ont la main, souligne Luc Dayan. Si les politiques le décident, ils peuvent obliger les opérateurs à intervenir. Mais ça ne réglera pas le problème de fond. »
Et de conclure avec gravité : « On est loin d’avoir encore mesuré le désastre dans lequel se situe le foot français. » Du côté de Sochaux, où il vient de participer au sauvetage du club franc-comtois, le constat est partagé par Jean-Claude Plessis :
« Le foot est tellement vérolé que je suis content de le quitter. Il appartient à des fonds étrangers et est géré par Al-Khelaïfi et Labrune. C’est malsain, c’est un vrai scandale et l’avenir est bouché pour beaucoup de clubs qui seront obligés de mettre la clé sous la porte. Les premiers dégâts vont arriver vite… »
A moins que le PSG ou Monaco gagne la Ligue des Champions, que Nice ou Lyon remporte la Ligue Europa car c’est aussi cette absence de titres européens qui plombe la valorisation de la Ligue 1.
660 M€
Au total du montant des droits TV nationaux (540 M€) et internationaux (120 M€) doivent être enlevés 13% récupérés par CVC, 5% par la taxe Buffet, 2,5% par la FFF ainsi que les contributions versées aux différents syndicats de joueurs (UNFP), d’entraîneur (UNECATEF) et de clubs (Premier Ligue), aux autres familles du foot français dont les arbitres, plus la quote-part de la L2… sans oublier les 7,3 M€ de remboursement du crédit-bail souscrit pour le nouveau siège de la LFP, ainsi que les coûts de fonctionnement de l’instance et de sa filiale commerciale dont le salaire du président.
Au final, entre 200 et 250 M€ seront soustraits pour un gâteau compris entre 300 et 350 M€ à se partager. On est loin des 3,7 Md€ de la Premier League, des 1,7 Md€ de la Liga et des 1,5 Md€ de la Bundesliga.