Le consultant historique de RMC, l’ancien coureur et directeur sportif de légende, Cyrille Guimard dresse le bilan d’un Tour qui, au-delà de son grand vainqueur, Vingegaard, a consacré le talent de Van Aert et confirmé les difficultés des coureurs français à viser le podium.
Le Tour 2022 a battu son record de vitesse à plus de 42 km/h de moyenne, qu’est-ce que ça vous inspire ?
Je trouve logique qu’on aille de plus en plus vite. Quand on regarde les courbes de l’évolution de la vitesse en cyclisme depuis 1903, sur des tranches de cinq ou dix ans, la progression est constante et permanente. Regardez des matches de football des années 70 et vous verrez aussi que les joueurs courent davantage, plus longtemps et plus vite à tel point qu’on pourrait se demander si les équipes masculines de ces années-là ne seraient pas battues par les équipes féminines d’aujourd’hui.
Dans ce contexte, la victoire de Vingegaard est-elle une surprise ?
Quand vous finissez 2ème d’un Tour, comme ce fut son cas l’an passé, ça veut clairement dire que vous pouvez aussi finir premier un jour. Il faut aussi se souvenir qu’il avait déjà poussé Pogacar dans ses retranchements, notamment dans l’étape du Ventoux en 2021. Il avait 24 ans, voilà un garçon qui en a aujourd’hui 25 et qui a progressé.
En même temps, je ne pense pas que ça aurait été suffisant si Pogacar n’avait pas connu de défaillance. Je ne pense pas non plus que ça aurait été suffisant sans une équipe telle que la Jumbo-Visma à ses côtés. Vous mettez Pogacar à sa place, vous mettez Vingegaard chez UAE Emirates, le vainqueur du Tour n’est pas le même… A la limite, avec le seul Van Aert à ses côtés, Pogacar aurait fini premier, malgré tout.
« Van Aert me rappelle Freddy Maertens »
Van Aert n’est-il pas finalement l’homme de ce Tour?
Il est en tout cas celui qui l’a façonné… jusqu’à permettre, indirectement, à David Gaudu de ne pas sombrer dans le Granon pour terminer à la 4ème place !
Aviez-vous déjà croisé un profil de coureur aussi complet et offensif ?
Il n’y en a pas eu beaucoup de ce calibre… peut-être un Freddy Maertens. Il suffit de regarder son palmarès pour en prendre conscience (1 Tour d’Espagne, 3 maillots verts sur le Tour, 1 Paris-Nice, 2 Gand Wevelgem, 1 Amstel Gold race, 35 étapes sur les 3 grands Tours dont il a porté les trois maillots de leaders…, Ndlr). Malheureusement,sa carrière a été perturbée par des problèmes extra-sportifs. Mais son potentiel était comparable.
Van Aert peut-il gagner le Tour un jour ?
Je ne le crois pas… car il y a une grande différence entre gagner un Tour et l’animer, même de façon remarquable. Gagner un Tour, ça veut dire ne pas pouvoir se permettre de lâcher ne serait-ce qu’une seule étape de montagne. Cette année, ce qu’il a fait en montagne est formidable, mais en se retrouvant presque chaque fois avec des échappés qui, par définition, montent moins vite que ceux qui jouent le maillot jaune et reviennent généralement fort sur la fin et vous reprennent deux ou trois minutes.
En courant ainsi, Van Aert a pu prendre de l’avance et lisser son retard en gérant son effort jusqu’à l’arrivée, un peu comme l’a fait Gaudu. Quand on en fait un futur vainqueur du Tour, je pense qu’on le sur-estime un peu. Parce que s’il était resté avec son leader sur toutes les étapes, il aurait sauté à chaque accélération de Pogacar.
Cyrille Guimard salue le niveau des Français
Les Français ont-ils été à la hauteur ?
Ils ont été à leur niveau. Jusqu’à ce que Laporte gagne une étape, on leur tombait dessus, en polémiquant sur leur incapacité à se transcender pour la gagne. Après, ils étaient tous formidables, Gaudu, Bardet, Laporte, etc. On oublie juste que Laporte évolue dans une équipe néerlandaise et qu’il a magnifiquement su s’adapter, avec beaucoup d’intelligence et de talent, à ses nouvelles méthodes au point d’être presque considéré aujourd’hui comme un coureur néerlandais !
Il est tout simplement devenu le coureur qu’il aurait dû être avant s’il n’avait pas attendu de partir à l’étranger pour intégrer la même philosophie de fonctionnement. C’est le problème avec les équipes françaises, où on ne parvient pas à élever suffisamment son niveau d’exigence.
Peut-on dire que Bardet y est parvenu en partant chez DSM ?
Je le pensais à l’aune de son bon début de saison, dans le Tour des Alpes et jusqu’à son abandon dans le Giro, où il aurait pu prétendre jouer la gagne, pour des problèmes intestinaux.
Je n’ai pas bien compris ensuite la logique de sa transition Giro-Tour, sur le fait qu’il ne s’aligne sur aucune course. Je m’interroge sur ces effets de mode qui tendent à considérer, par exemple, que si on ne fait pas quatre mois d’entraînement en montagne par an on n’est pas un coureur de haut niveau.
Il aurait gagné à faire une ou deux courses pour préparer le Tour, surtout lui qui a toujours été habitué à beaucoup courir. A lui de trouver le juste équilibre… mais je ne comprends pas son jour sans. Il est ensuite reparti à l’orgueil, avec une 7ème place honorable, mais pour finir très loin des premiers.
Bardet, une stratégie en question
Eu égard à son expérience, et à son bon début de saison, on l’attendait un cran au-dessus de Gaudu…
La 4ème place est remarquable, mais il peut dire merci à Van Aert sans qui il ne revenait certainement pas dans le Galibier et à Peyragudes.
La concentration de talents dans trois équipes ne nuit-elle pas au spectacle ?
C’est toujours celui qui dispose du plus gros portefeuilles qui gagne le Tour ou presque. Cela ne nous a pas empêchés de vivre trois semaines très plaisantes, en partie, c’est vrai, grâce à la bonne volonté de Pogacar et aux initiatives de Van Aert.
Face au Giro et à la Vuelta, le Tour conserve donc son leadership.
Il n’y a pas photo, avec une Vuelta de plus en plus exigeante qui a pris le pas sur un Giro qui ne cesse de baisser. Un vainqueur du Giro peine à jouer le top 10 sur le Tour.