L’ancien coureur Davide Cassani (61 ans), vainqueur de 20 courses dont 2 étapes sur le Giro, en 1991 et 1993, et ancien commissaire technique de l’équipe italienne, ne cache pas les difficultés du cyclisme transalpin et espère pouvoir monter une ProTeam d’ici 2023.
Quel a été le meilleur moment de votre carrière ?
J’ai vécu le rêve de devenir coureur cycliste professionnel. Je l’ai été pendant plus de douze ans (entre 1982 et 1996, Ndlr). Peut-être que le moment le plus émouvant a été quand j’ai endossé la tunique azzurra. Je l’ai porté neuf fois. Quand je suis devenu commissaire technique, j’ai été aux anges quand mes garçons ont gagné : quatre Championnats d’Europe (de 2018 à 2021, Ndlr), les deux Championnats du monde de Ganna (du chrono en 2020 et 2021, Ndlr). Des moments inoubliables.
Et la plus grande déception ?
J’ai encore en tête la chute de Vincenzo Nibali aux Jeux de Rio (en 2016, Ndlr). Sans cela, il se serait dirigé vers une splendide victoire.
En tant qu’ancien commissaire technique national comment jugez-vous le niveau du cyclisme italien ?
Nous sommes en train de souffrir un peu. Nous ne savons pas encore qui sera le coureur de demain pour remplacer Vincenzo Nibali sur les grandes courses à étapes. Nous avons bien eu un Sonny Colbrelli (victime d’un très grave malaise cardiaque en mars, Ndlr) qui a accompli une saison dernière extraordinaire. Il a notamment remporté un Championnat d’Europe et un Paris-Roubaix. Le cyclisme italien a néanmoins des individualités importantes comme Filippo Ganna. Mais dans le cyclisme actuel il y a des phénomènes que l’Italie n’a pas. Cela étant, je suis de nature optimiste.
Je veux continuer à l’être pour le cyclisme de mon pays. Le cyclisme italien n’est pas en train de s’écrouler. L’Italie a remporté quatre Championnats d’Europe de rang (Trentin, Viviani, Nizzolo, Colbrelli, Ndlr), une médaille d’or sur piste aux Jeux (poursuite par équipes avec un record du monde de la spécialité, Ndlr). Le cyclisme féminin italien se porte bien aussi. Donc parler de crise est exagéré.
David Cassani handicapé par la Fédération italienne
Pourquoi n’y a-t-il pas alors un Pogacar italien ?
L’Italie n’a pas d’équipe de niveau World Tour. C’est un problème. Nous avons bien dû nous tromper quelque part. Nous avons parfois manqué de chance aussi. Mais tout n’est pas à jeter. L’Italie reste un des pays qui a le plus de coureurs répertoriés en World Tour. Nous avons aussi gagné ces trois dernières années des Championnats du monde en U23 (notamment Filippo Baroncini en 2021, Ndlr). J’espère qu’ils seront les coureurs de demain. Il est évident que le cyclisme français se trouve dans une meilleure forme que la nôtre. Mais eux aussi n’ont pas gagné un Tour de France depuis 1985 (Bernard Hinault, Ndlr) et un Giro depuis 1989 (Laurent Fignon, Ndlr).
Quel coureur italien peut espérer gagner un grand Tour ?
Pour l’instant, je ne le vois pas. Il manque encore quelque chose à Giulio Ciccone (maillot jaune deux jours sur le Tour en 2019, coureur de la Trek-Segafredo, Ndlr). J’espère que d’autres suivront son sillage.
Pourquoi n’avez-vous pas continué en tant que commissaire technique national ?
Cela a été surtout une décision de la Fédération italienne. Cela n’a pas été ma volonté. Un nouveau président est arrivé et il a voulu changer de directeur technique national (Daniele Bennati, Ndlr).
Assiste-t-on à une frilosité des grosses sociétés italiennes d’investir dans des équipes cyclistes ?
Voilà notre gros problème. Il y a encore quelques années de cela, quand l’argent n’était pas à ce point le nerf de la guerre, notre pays était fort et avait des équipes à fort potentiel. Désormais la donne a changé. Pour nous Italiens, c’est dur de trouver l’argent pour monter une équipe de niveau World Tour. On ne peut qu’être envieux de la France qui dispose de pas mal de grosses équipes. Avec ces atouts, la France pourra en tirer les bénéfices dans les années à venir contrairement à nous, Italiens.
« Ce projet est un rêve que j’aimerais concrétiser, mais il n’est pas facile à monter »
C’est donc pour enrayer le processus que vous voulez monter une structure Pro Team 100% italienne d’ici 2023.
Pour l’instant, on en est au domaine du rêve. J’aimerais pourtant le concrétiser. Mais c’est un projet difficile à monter. Je m’y emploie. Ce serait tellement beau d’y parvenir. Mais il n’y a encore rien de totalement officiel.
Il se dit que Matteo Trentin pourrait être un leader de cette future équipe…
(sourire) C’est encore prématuré pour affirmer cela. Déjà il faut avoir l’argent. Après, il faut trouver les coureurs. Je rappelle que Matteo Trentin appartient à une grosse équipe. Le faire partir éventuellement de la UAE ne se fait pas en un claquement de doigts.
Sauf qu’il arrive en fin de contrat !
C’est vrai. Mais il peut tout à fait prendre aussi l’option de continuer là où il est. Encore une fois on est là davantage dans la projection des choses que dans leur concrétisation.
Quel est l’obstacle majeur ?
Le budget. Cela représente beaucoup d’argent. C’est vital pour construire une belle structure, une belle équipe.
Le fait qu’il y ait d’autres équipes transalpines en Pro Tour (3, Bardiani, Drone Hopper-Androni Giocattoli, Eolo-Kometa) n’est-il pas un frein supplémentaire ?
Je ne le vois surtout pas comme cela. Cela génère au contraire de l’émulation. On le voit bien en France. Il y a de grosses équipes en World Tour (AG2R Citroën Team, Cofidis, Groupama-FDJ, Ndlr). Cela rejaillit sur sa santé et demeure un gros avantage pour tout le cyclisme français. La concurrence est toujours un bienfait.
Alpecin-Fenix serait-il un modèle à suivre pour vous ?
Ce serait effectivement très beau et inspirant de faire comme eux. Cependant, je vous répète, ce projet serait très beau à monter, mais à l’instant T je n’ai pas tous les éléments concrets en main.