Quasiment un an jour pour jour après un accident qui aurait pu lui être fatal, Egan Bernal a repris la compétition en Argentine lors du Tour de San Juan, avec l’espoir de reprendre le cours d’une carrière débutée sur les chapeaux de roues et qu’il s’acharne, depuis deux ans, à relancer.
D’origine grecque, son prénom, Egan signifie « champion, jeune homme fougueux ». Ça dit peut-être beaucoup du destin du meilleur cycliste colombien de l’histoire, de cet enfant né à Zipaquira, au nord de Bogota, qui a vécu toute sa jeunesse à plus de 2500 mètres d’altitude et préparé presque malgré lui, comme le font tous ces enfants des hauts plateaux, son organisme aux exigences du plus haut niveau international.
Car, à la base, si le jeune Bernal rêvait bien du Tour de France, ce n’était pas sur un vélo, mais sur une moto ou derrière un micro. Attiré par le métier de journaliste, ses études en communication auraient dû lui permettre de réaliser son rêve. C’était sans compter sur des capacités physiques hors norme vite révélées par ses premiers tours de pédales sur un VTT.
Deux médailles mondiales chez les juniors suffisent pour le faire sortir du rang et arrêter ses études… avec la bénédiction de ses parents, notamment son père, gardien de la cathédrale de sel de Zipaquira et ancien cycliste… qui a depuis perdu la vue.
Bernal, un vététiste hors-pair
Repéré par le recruteur italien, Gianni Savio, lors d’une course juniors en Toscane qu’il gagne (Trofeo di Antunno del Monte Pisano-Sognando), l’Italie est donc son point de chute en Europe, chez Androni-Giocatolli-Sidermec, où l’ancien double vainqueur de Liège-Bastogne-Liège, Michele Bartoli, le prend sous son aile.
A 19 ans, en quittant le VTT, il devient pro et obtient immédiatement des résultats largement au-dessus de la moyenne de ses jeunes contemporains. Savio n’en revient pas. Quelques années plus tard, il déclarera à la Gazzeta : « Il est le plus grand talent que j’ai vu en quarante ans ! »
C’est donc en arpentant les courses transalpines, en gagnant deux étapes phares du Tour de l’Avenir, ainsi que le Tour de Savoie Mont Blanc, qu’il devient la proie de deux des équipes les plus fortes du World Tour, Movistar et la Sky.
Contre un transfert de 250 000 euros pour racheter son contrat, les Anglais emportent la mise. En janvier 2018, quand Egan inaugure son nouveau maillot sur le Tour Down Under, ils ne savent pas encore qu’il ne lui faudra qu’un an et demi pour remporter le Tour de France et réussir là où ses glorieux prédécesseurs colombiens ont échoué ; Herrera, Quintana ou Uran.
Après un premier galop d’essai concluant avec la casquette du plus jeune participant, il s’avère tellement précieux pour amener le maillot jaune de Geraint Thomas jusqu’à Paris que ses dirigeants lui proposent de prolonger son contrat de cinq ans jusqu’en 2023. Une durée exceptionnelle.
Conscient d’avoir misé sur le bon cheval, Dave Brailsford sait qu’il tient son nouveau leader. Il en est d’autant plus convaincu qu’avant de prendre le départ de son second Tour de France, en 2019, il a pris soin de le rassurer en gagnant Paris-Nice, sa première grande épreuve européenne et le Tour de Suisse.
Bernal coiffe Alaphilippe
Forfait sur un Giro qu’il avait programmé en raison d’une chute à l’entraînement (la première d’une longue série !), Bernal avance en co-leader d’une formation devenue INEOS pour défendre le titre de Thomas et rapidement s’apercevoir qu’il a largement les moyens de faire beaucoup mieux.
« Je n’allais pas sur le Tour pour le gagner, dira-t-il plus tard, mais pour aider Thomas… » Les aléas de la course allaient en décider autrement… au détriment d’Alaphilippe qu’il détrône dans les Alpes à deux jours de l’arrivée. A 22 ans et 196 jours, le plus jeune vainqueur de l’après-guerre entre dans l’histoire.
A ce moment-là, son talent, sa jeunesse et son profil, la force de frappe de la meilleure équipe du monde glacent le peloton qui craint de devoir subir une nouvelle ère de domination absolue après celle, crapuleuse, d’Armstrong et celles, moins sulfureuses, de Contador et Froome. Il n’en sera rien par la faute de problèmes récurrents au dos qui le poussent à abandonner le combat sur le Tour 2020 dans les Pyrénées et de laisser Pogacar lui voler la vedette. Le début de la galère…
Un avant et un après 24 janvier 2022…
C’est après avoir passé plusieurs mois à soigner une scoliose causée par un déséquilibre entre ses deux jambes qu’il attaque 2021 sans grande certitude sur ses capacités à rivaliser avec le nouveau boss du peloton, son cadet, Pogacar. Mieux armé pour les Classiques, le Slovène le devance sur Tirreno-Adriatico, mais n’est pas au départ du Giro.
Pour sa première participation, Bernal fait le job en gagnant son deuxième grand Tour, mais sans apparaitre aussi dominateur, régulièrement gêné par un dos récalcitrant. Qu’importe, à 24 ans, seuls Merckx et Bartali avaient déjà gagné le Tour et le Giro. Egan Arley Bernal Gomez maintient son standing et sa trajectoire folle, tout juste freinée dans une Vuelta promise à Roglic.
En 2022, la rivalité naissante entre Pogacar et lui, arbitrée par Roglic, les trois grands vainqueurs de l’année, promet de grands moments. Mais tout ça, c’était avant… le 24 janvier 2022 quand, lors d’une banale sortie d’entraînement chez lui près de Bogota, l’enfant prodige du cyclisme colombien percute à pleine vitesse un bus à l’arrêt. Opéré à plusieurs reprises de plusieurs fractures (fémur, rotule, cage thoracique, mâchoire, main droite, colonne vertébrale), il passe près de la paraplégie.
En 2022, un accident qui a failli lui coûter la vie
« J’ai pensé à tout lâcher, à arrêter le vélo, avoua-t-il à un média colombien, parce que j’avais été prévenu par les médecins qui ne voyaient pas comment j’allais pouvoir refaire un jour de la compétition. Ils me disaient qu’au mieux, au bout d’un an, je pourrais peut-être refaire du vélo d’appartement… »
Il effectue pourtant son retour à la compétition sept mois après pour le Tour du Danemark. Un petit pas pour l’ancien vainqueur du Tour, un pas de géant pour l’homme qui vit alors la période la plus difficile de sa vie. Car, dans le même temps, sa mère, Flor, lutte contre un cancer, et son père, German, perd la vue…
Au bout d’une saison blanche (12 jours de courses) seulement égayée par des participations anecdotiques au Tour d’Allemagne et à deux semi-classiques italiennes, retapé mentalement et physiquement par une rhinoseptoplastie sensée l’aider à mieux respirer, et qui s’est aussi accompagnée, avec la bénédiction de sa fiancée, d’une petite opération de chirurgie esthétique pour retoucher sa cloison nasale, en janvier dernier le Tour de San Juan a des airs de premier jour du reste de sa vie.
Bernal sur le Tour de France 2023 ?
Mais une blessure au genou le contraint à l’abandon et à remettre à plus tard sa volonté de reconquérir un territoire abandonné depuis deux ans à d’autres ambitieux. Victime d’une nouvelle chute sur le Tour de Catalogne pour son retour en Europe alors qu’il pointe à la 42ème place à plus de vingt minutes de Roglic, le constat est sans appel. Après le dos, c’est le genou qui le handicape comme si son corps, encore meurtri par le choc frontal avec ce bus colombien ne parvenait pas à se remettre.
Sur le chemin d’un Tour de France qu’il rêve de refaire sien, avant de terminer le Tour du Pays basque en 92ème position, il ne lâchait toujours pas l’affaire.
« La compétition est dans mon adn, disait-il à L’Equipe. Je ne suis pas remonté sur un vélo seulement pour terminer les courses, ce serait ennuyeux et il faudrait songer à faire autre chose. Je me lève encore tous les matins avec l’ambition d’être le meilleur, même si la logique voudrait que je ne sois pas en mesure de gagner des courses. » Et de conclure en forme d’avertissement : « Cette saison sera une saison clé… » Ça passe ou ça casse.