mardi 8 octobre 2024

Eric Di Meco : « En 1993, je ne devais plus être à l’OM… »

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

Traumatisé par les échecs répétés des clubs français et les actes manqués des Olympiens à Bari, Benfica ou Prague, la finale de Munich aura été, à 29 ans, pour Eric Di Meco une apothéose à laquelle il avait fini par ne plus croire. Près de trente ans après, l’emblématique latéral gauche de l’OM analyse une victoire qui, de l’extérieur, paraissait pourtant inéluctable.

Ce trentième anniversaire qui arrive sera aussi le premier que vous allez fêter sans Raymond Goethals et Bernard Tapie. Qu’est-ce que ça vous fait ?

En 2023, j’aurai 60 ans… c’est le temps qui passe. Cela fait longtemps que nos carrières sont terminées et ce genre d’anniversaire doit être, plus que jamais, l’occasion de nous retrouver. Si on ne le fait pas tous les ans, au moins tous les cinq ou dix ans, il me parait important de marquer le coup. Car on sait que chaque fois, certains manqueront à l’appel. C’est l’histoire de la vie.

Quelle est l’histoire de cette victoire en Ligue des Champions ?

Je me plais toujours à dire que cette victoire est une histoire d’envie ! Parce que cette équipe de 1993 n’était pas la plus talentueuse de toutes celles que j’ai connues à l’OM. Personnellement, j’ai un petit faible pour l’OM de 1990, quand nous nous faisons sortir injustement à Benfica en demi-finale. Il y avait Tigana, Francescoli, Vercruysse, Mozer, Förster… c’est avec eux que j’ai pris le plus de plaisir même si ce n’est pas avec eux qu’on a le plus gagné.

« Quand vous ne représentez rien dans le gotha européen, il faut jouer des coudes. Tapie a joué des coudes… »

Qu’est-ce qui manquait à l’OM de 1990 et donc de 1991 aussi pour gagner ?

En 1993, on était une équipe de combat, plus que de jeu, une équipe composée des mecs avec qui tu pouvais partir à la guerre. Il y avait des talents évidemment, mais la matrice de ce groupe reposait sur une énorme ambition, une volonté farouche de ne jamais rien lâcher, de tout donner sur le terrain. Ce que je disais, une histoire d’envie…

Avec le recul de ces trente années, pensez-vous que l’impact de cette épopée a été important pour le foot français ?

A ce niveau, Didier Deschamps a été, après la Coupe du Monde 1998, celui qui a le mieux parlé des conséquences de notre victoire. Grâce à l’OM, et aussi à l’arrêt Bosman, il ne faut pas l’oublier, beaucoup de joueurs français sont partis dans les meilleurs championnats européens, notamment en Italie.

Munich a décomplexé le foot français parce que nous avons battu en brèche sa réputation, celle de joueurs, certes talentueux, mais qui manquaient de caractère et de gnaque dans les grands moments. A l’OM, à ce momentlà, on y croyait fort, on avait des objectifs et on se donnait les moyens de les atteindre. Il fallait être sacrément fort pour nous marcher dessus.

Grâce à Bernard Tapie ?

Oui, évidemment et je trouve d’ailleurs qu’on n’a pas suffisamment souligné l’impact qui fut le sien sur l’évolution du foot français. Dieu sait qu’il avait des défauts, ce côté insolent qui pouvait le rendre insupportable à ses adversaires, mais il a tellement fait pour parvenir à se mettre au niveau des autres grands clubs européens ! On le voit encore aujourd’hui, quand vous ne représentez rien dans le gotha européen, il faut jouer des coudes.

Avant Tapie, l’OM ne représentait rien face au Milan AC, au Real, au Barça, au Bayern, à Liverpool. Il a joué des coudes, et est parvenu à nous faire gagner. Et jusqu’à présent, même si le football a beaucoup changé, il est le seul à y être parvenu. On attend toujours la deuxième…

« Une seconde Coupe d’Europe n’est pas promise à l’OM mais au PSG »

L’OM d’aujourd’hui peut-elle rêver en gagner une deuxième ?

Les grands clubs ne meurent jamais. Il y aura forcément encore des victoires à Marseille. Le football ne fonctionne plus de la même manière et a priori la seconde coupe aux grandes oreilles n’est pas pour l’OM, plutôt promise au PSG, un club programmé pour ça.

Sauf que le PSG n’y arrive toujours pas, malgré ses stars, ses millions… La victoire de 1993 peut-elle être un modèle à copier ?

A cette époque, un joueur nous rejoignait parce que sportivement Tapie l’avait fait monter au rideau ! Il venait pour s’inscrire dans un projet sportif fort et ambitieux, pour aller jusqu’au bout. Rien d’autre ne comptait. Aujourd’hui, je ne suis pas certain que le projet sportif soit au centre de la décision du joueur. Ce n’est pas propre au PSG, le système est ainsi fait qui met l’économie audessus de tout.

Chez nous, quand un joueur débarquait, il comprenait vite où il mettait les pieds, parce qu’on le lui rappelait tous les jours, quand il allait chercher ses gosses à l’école, quand il achetait son pain chez le boulanger… Les gens ne vivaient que pour ça et ça nous poussait à laisser notre peau sur le terrain s’il le fallait. Mais les temps ont tellement changé qu’il est difficile de donner des leçons.

« Je ne devais pas rester après 1992 à l’OM »

Avant le sacre de Munich, vous avez vécu beaucoup de déceptions, de Bari à Benfica en passant par l’élimination face au Sparta Prague en 1992. Avez-vous douté de ne jamais y arriver ?

Je parle pour moi, mais après les larmes de Bari en 1991, je pensais que c’était fini ! Il faut se remettre dans le contexte. Parvenir en finale de coupe d’Europe, pour un club français, c’était déjà un immense exploit. Donc en la perdant, comme avant nous Reims ou Saint-Etienne, je pensais vraiment qu’on n’aurait pas d’autres opportunités.

On avait manqué l’occasion, à d’autres de relever le défi. Parce que chaque fois, Tapie qui avait horreur de perdre, renouvelait le staff et l’effectif. De la finale de 1991, on n’était plus que trois à Munich, et j’étais le seul à être aussi de la catastrophe de Benfica (en fait Sauzée et Deschamps y étaient aussi, mais étaient partis une saison avant de revenir, Ndlr) qui aurait dû être notre première finale et peut-être notre première victoire. Il ne faut pas oublier non plus que, face à l’échec, Tapie était très dur.

Vous êtes donc un rescapé !

Oui, je pensais que j’allais dégager, comme les autres. Sans l’insistance de Jean Fernandez au début de la saison 1992/1993, j’aurais dégagé. Au club, à part lui, personne ne me retenait. On m’avait fait comprendre que si je trouvais un club, je pouvais partir. Je me suis accroché aux branches, mais Munich je ne devais pas y être. Quelque part, dans cette aventure, je suis un miraculé.

« Je me suis accroché aux branches, mais Munich je ne devais pas y être. Je suis un miraculé »

Du premier match à Glentoran, au dernier face au Milan AC, y a-t-il eu un déclic, un tournant dans cette épopée ?

Oui, le match à Ibrox Park. A ce moment-là, nous n’étions pas très bien en championnat, on sortait d’une défaite à Strasbourg, Jean Fernandez avait été remplacé, Raymond Goethals était revenu sur le banc, nous étions dans nos petits souliers. L’ambiance à Glasgow était fantastique, les Rangers avaient une belle équipe, solide et qui ne lâchait rien.

Dans cette adversité, on a fait un gros match. Même s’ils sont revenus à égalité (2-2), on a montré des valeurs de combat et de solidarité largement au-dessus de la moyenne. De toute ma carrière, ce match reste un de mes préférés. On a pris un pied pas possible et on s’est surtout rendu compte qu’on pouvait voyager. Un match fondateur.

Si Glasgow a été le tournant décisif pour atteindre Munich, y a-t-il eu aussi un tournant dans la finale ?

On peut toujours considérer que le but de Basile en a été un, forcément, car dans ce genre de match le premier qui marque a beaucoup de chance de l’emporter. Mais je dirai plutôt que les deux ou trois arrêts de grande classe que réalise Barthez en début de rencontre ont été aussi décisifs. C’est à partir de là qu’on a commencé à penser que rien ne pouvait nous arriver.

Pour ceux qui ne sont pas forcément en âge de le réaliser, que représentait le Milan AC en 1993 ?

Avec Sacchi aux commandes, qui a été un des rares entraîneurs de l’histoire à révolutionner le jeu, et les meilleurs joueurs du moment, à commencer par les trois Néerlandais, Gullit, Van Basten et Rijkaard, Berlusconi avait réussi à monter une machine de guerre. Malgré ça, parce qu’on n’avait jamais perdu contre eux, d’abord en quarts de finale en 1991, puis au début de la saison en match amical dans le cadre du transfert de JPP, nous avions un vrai ascendant psychologique. Ils nous craignaient.

Ils n’étaient tout de même pas au top avant cette finale…

Et d’abord parce que Van Basten avait été longtemps incertain. Gullit aussi était remplaçant, mais parce que la concurrence était très relevée.

« On était contents que JPP reste sur le banc »

Etiez-vous content que Papin ne débute pas le match ?

Oui, parce que l’histoire du foot est peuplée de matches qui basculent grâce à un joueur qui crucifie son ancien club. On le connaissait par coeur, il nous connaissait par coeur. Je pense que le Milan AC a fait la même erreur que l’OM en 1991 avec Stojkovic en finale. Il fallait faire jouer Pixie. Les mecs de l’Etoile Rouge Belgrade le disent encore aujourd’hui… ils étaient sacrément soulagés de ne pas avoir à gérer un pote à eux. Ce n’est jamais évident. On était donc contents que JPP reste sur le banc.

Qu’avez-vous ressenti au coup de sifflet final ?

Après le soulagement, la joie intense qui est finalement assez éphémère, j’ai dû satisfaire au contrôle antidopage. Et comme ça a pris pas mal de temps, je n’ai pas pu fêter ça dans les vestiaires. Après, nous avons fait une petite fête, mais sans plus. Tapie ne voulait pas qu’on se disperse trop parce qu’un match important nous attendait face au PSG en championnat. Au-delà du retour à Marseille qui fut sensationnel, comme on se l’imagine dans ses rêves, l’enchaînement des événements a ensuite été plus difficile car tout de suite l’affaire VA-OM a tout chamboulé.

Un an après mai 1993, l’OM était rétrogradé en D2 à la suite de l’affaire VAOM. Finalement, monter si haut pour descendre aussi vite aussi bas, cela valait-il vraiment le coup ?

Si tu fais un sondage, tu demandes à tous les Marseillais, s’ils échangeraient la victoire de Munich contre les années de disette qui ont suivi, je pense connaitre la réponse. La majorité garde tout, la joie et la tristesse. Vivre la D2, les déplacements en bus, les matches dans de petits stades au fin fond de la France, ça fait aussi partie de l’histoire d’un club parce que c’est un retour salutaire dans le vrai foot.

Il n’y a pas que des hauts, il y a aussi des moments difficiles qui participent à la légende. Il faut peut-être davantage le demander aux joueurs qui sont restés et ont vécu la descente.

La seule Ligue des Champions est à Marseille

Finalement, la France doit sa seule victoire en Ligue des Champions à un duo Tapie-Goethals pour le moins atypique. Quelle leçon peut-on tirer de ce constat ?

Tous les entraîneurs qui sont arrivés avant Goethals ont été essorés par Tapie. Il leur mangeait le cerveau à les appeler à pas d’heure pour leur soumettre une idée que souvent quelqu’un d’autre lui avait soufflée… Avec sa roublardise, Raymond est parvenu à moins subir cette pression, à la faire sienne, à s’en servir même pour son propre compte. Il est certain qu’un tel fonctionnement n’est pas transposable, surtout à l’heure des staffs pléthoriques avec des joueurs hyper assistés et encadrés.

Mais cet empirisme n’en était pas un. En 1991, on avait reproché à Goethals de ne pas suffisamment faire tourner l’effectif, de toujours s’appuyer sur le même onze type. Quand tu étais titulaire, tu te sentais intouchable. Mais ceux qui ne l’étaient pas accumulaient de la frustration. Le groupe en avait souffert. En 1993, il a rectifié le tir et il y a eu plus de turn-over jusqu’à la finale. La réalité c’est, que pour gagner, il a toujours fallu des leaders solides à qui tu donnes ta confiance. Sans ça, ça ne marche pas.

Fêtera-t-on encore de la même manière ce 26 mai 1993 le jour où un autre club français aura gagné une deuxième coupe aux grandes oreilles ?

Cette date restera toujours importante parce que c’est la première. Si on ne la fêtera pas tous les ans ou tous les cinq ans, on passera peut-être à tous les dix ans. Même si d’autres la gagnent, elle restera à jamais un point d’ancrage pour tous les Marseillais qui ont grandi avec, et leurs enfants qui en ont héritée. Trente ans après, des enfants de 10 ans m’interpellent dans la rue car leurs parents leur ont racontée.

La transmission est importante à Marseille encore plus qu’ailleurs. Ici, on parle encore de Gunnar Andersson, le buteur des années 50. Des jeunes qui n’étaient même pas nés en 1993 lui rendent hommage… c’est vous dire ! Certes, on ne va pas faire la chenille sur le Vieux Port tous les ans, mais l’histoire se transmet et l’OM n’a pas fini d’écrire sa légende.

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