jeudi 25 avril 2024

Fickou a-t-il ouvert la boîte de pandore sur les transferts ?

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

S’ils nous avaient habitués à annoncer, en cours de championnat, le nom de leur future destination, les joueurs de rugby n’avaient encore jamais ou presque changé de club au milieu d’une saison. C’est désormais chose faite avec Fickou (du Stade français au racing), mais aussi Picamoles (de Montpelier à Bordeaux-Bègles). L’exemple de ces deux internationaux peut-il faire tâche d’huile et ouvrir une nouvelle ère vers un vrai mercato à la manière des footeux ?

En 1996, il faisait le chemin inverse, du Racing au Stade Français. Aujourd’hui cadre technique au sein de la Ligue de Nouvelle Aquitaine, Xavier Blond ne se formalise pas plus que ça du départ de Fickou juste avant les phases finales où les deux clubs se sont finalement retrouvés en barrages…

« Si toutes les parties sont d’accord… Ce n’est pas une question d’éthique. L’éthique intervient éventuellement si un joueur qui serait amené à connaître le nom de son futur club en cours de saison, parce qu’il est en fin de contrat et peut s’engager où il veut à partir de décembre, ne jouait pas le jeu jusqu’à la fin du championnat…

Mais si tout le monde est d’accord. On parle de contrats de travail, et lorsqu’ils sont respectés, lorsque tout est réglo au niveau juridique, il n’y a pas de problème. »

Un tel pragmatisme ne fait pas l’unanimité. Dans L’Equipe, l’entraîneur adjoint du Stade Toulousain, Jean Bouilhou, se montre plus critique : « Moi, ça me choque, on prend tous les mauvais côtés du foot !»  Quant au président du Stade Français, Hans-Peter Wild, il se dit « très déçu par son état d’esprit car ça ne se fait pas de quitter ses partenaires en cours de saison. »  

Fickou allège la masse salariale du Stade Français

Pourtant, sans son aval, Fickou serait encore au Stade Français aujourd’hui. Et ce transfert qui ne dit pas son nom va permettre à son club d’alléger sa masse salariale, un impératif en cette période de crise.

« Laisser un joueur dans une mauvaise situation aurait été de toute façon improductif pour tout le monde, analyse Cédric Heymans. Dans cette affaire, on ne sait pas qui a été moteur du joueur ou des deux clubs; Ils se renvoient la balle. Pour éviter les dérives, il faut vite légiférer et encadrer une pratique qui est pour le moment exceptionnelle. Je ne sais pas comment ça peut évoluer, mais je ne crois pas que le risque est élevé d’aller vers un système de transferts comme au foot, avec des joueurs qui représentent des actifs pour un club. Pour le moment, les valeurs du rugby mettent l’humain au coeur du débat.»  

Pour le moment… jusqu’à quand ? « Le cas Fickou peut faire jurisprudence, nous dit Xavier Blond, et la surenchère qui peut en découler peut être un problème à l’avenir. Les indemnités de formation existent déjà… le reste ne saurait tarder à arriver. Le rugby est pro depuis 25 ans, il faut faire attention que ça ne dérape pas surtout au niveau amateurs où, pour le coup, l’éthique est une valeur à onserver absolument et où les dégâts peuvent être plus importants à mon sens.»

Le rugby prend-il les mauvais côtés du foot ?

Garant d’une certaine philosophie de fonctionnement, le rugby amateur voit tout de même son élite s’affranchir de pas mal de principes qu’on pensait immuables.

Et qui le sont de moins en moins, comme des digues qui tomberaient une à une…

« La mutation de Fickou, mais aussi celle de Picamoles qui est passé de Montpellier à Bordeaux en cours de saison, est réglementaire, précise Olivier Roumat. Les présidents de Top 14 et de Pro D2 l’ont validé. C’est légal. Ce qui me gène un peu plus, c’est d’offrir à un joueur qui joue déjà dans son club, ce qui est le cas de Fickou, la possibilité de ne pas aller au bout de son engagement… pour des motivations financières.

Là, oui, ça me choque davantage car ça peut ouvrir la porte à pas mal de dérives. Par contre, si le joueur en question ne joue pas dans son club, ça lui offre la possibilité de se relancer et c’est beaucoup moins contestable pour moi. »  

« Un marché des transferts ? On y va tout droit ! »

Alors que les clubs cherchent désespérément à trouver de nouvelles ressources financières pour compenser les pertes liées à la Covid-19, la tentation est réelle de trouver dans le système des transferts un moyen de faire entrer de l’argent dans les caisses.

« Un marché des transferts, on y va tout droit, anticipe Roumat. Si les indemnités de transferts rémunèrent les clubs formateurs, l’évolution est là qui peut déboucher sur du grand n’importe quoi. Car si on n’atteindra évidemment jamais les sommes folles du football, le risque est d’aller trop loin et de faire exploser le gâteau.»  

En même temps, quels sont les clubs, sur la planète rugby, à pouvoir aller sur cette surenchère ? Ils sont rares et concentrés sur le continent européen à la France et à l’Angleterre.

« Certains présidents peuvent être tentés, poursuit Roumat. Entre nous, on peut se fourvoyer. Lorsque mon fils, Alexandre, passe du BO à l’UBB pour 300 000 euros, ou quand Teddy Thomas est passé du BO au Racing, on parlait d’indemnités de formation. A chaque fois, les présidents se sont entendus. Mais s’ils avaient voulu bloquer les joueurs et demander plus, ils auraient pu. On ne parle pas de transfert, mais c’est déguisé, on y est presque…»

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