Avant d’être pris de cours par le départ d’un de ses deux sponsors titres, la formation néerlandaise avait suffisamment posé sa pate sur le peloton en 2023 pour susciter autant de doutes que de craintes.
Vainqueur, entre autres victoires amassées en 2023, des trois grands Tours avec trois coureurs différents, de Tirreno-Adriatico, de Gand Wevelgem, d’A Travers la Flandre, du Critérium du Dauphiné, du Tour de Grande-Bretagne, de Catalogne, de Guangxi et du Pays basque, aucune autre formation n’a fait mieux que la Jumbo-Visma en 2023.
À lire aussi : toute l’actualité du cyclisme dans votre mag spécial
Encore plus fort, c’est avec 14 coureurs différents qu’ont été actées les 69 victoires (record de l’équipe depuis 1984), des 15 du duo Vingegaard-Roglic, aux 2 de Laporte, dont une offerte sur un plateau par Wout Van Aert pour un podium une fois de plus squatté par les hommes de Richard Plugge.
69 victoires pour Jumbo-Visma
S’il manque un Monument au tableau de chasse, tout le reste y est jusqu’au sans faute de la Vuelta, point culminant d’une domination diversement appréciée au sein et en dehors du peloton. Entre doutes sur le dopage mécanique et craintes d’un cyclisme à deux vitesses… C’est d’abord Jérôme Pineau, sur les antennes de RMC qui s’étonnait de cette ultra domination au moment du Tour d’Espagne :
« L’accélération de Sepp Kuss dans le Tourmalet, à 10 km/h plus vite que le groupe devant lui où il y avait des pépites comme Ayuso… Après avoir freiné à cause d’un spectateur, il repart 10 km/h plus vite ! Comment on explique ça ? Comment on peut m’expliquer ça ? Dans le col de Spandelles l’an dernier, j’ai vu le même Kuss boucher dix secondes sans pédaler. Je ne sais pas comment on fait et moi je m’interroge : comment font-ils ? »
A défaut de preuves, l’ancien manager de B&B Hotels-KTM est l’un des seuls à ramener publiquement les performances des Guêpes sur le thème du dopage mécanique. Même si on sent qu’il prend sur lui, et malgré ses démêlés avec Richard Plugge lors du dernier Tour de France pour une sombre histoire de bières.
Marc Madiot « ne veut pas placer le débat sur celui de la suspicion ». Cyrille Guimard, lui, se contente de reconnaitre « que sur les grands Tours, la Jumbo-Visma a tout simplement la meilleure équipe. Et au-delà de leur budget il faut reconnaitre la qualité de leur management car tous les coureurs qui les font gagner aujourd’hui sont dans l’équipe depuis très longtemps. C’est grâce à eux qu’elle monte en puissance au point de dominer tout le monde. »
Les doutes à défaut de preuves…
Et il poursuit : « Plutôt que de remettre en cause ceux qui gagnent, un raisonnement bien français, les suspecter de tricherie, posons-nous la question : pourquoi on n’y arrive pas, nous ? »
Peut-être parce qu’aucune équipe française n’a dans son staff un directeur sportif (Grischa Niermann) qui a reconnu avoir déjà utilisé de l’EPO entre 2000 et 2003 et une dizaine de membres du staff actuel qui faisaient partie de la Rabobank, l’ancêtre de la Jumbo-Visma, où plusieurs coureurs avaient été confondus.
Peut-être aussi parce que, culturellement, les équipes françaises n’ont pas les moyens ou la volonté profonde d’investir aussi massivement sur le matériel, les équipements, l’aérodynamique, la nutrition, les analyses physiologiques… tous ces paramètres qui, mis bout à bout, permettent de progresser et, au bout de quelques années, de faire la différence.
S’étonner de la main mise d’une seule équipe sur le peloton, c’est oublier que le peloton a régulièrement été dominé par des formations gloutonnes à l’instar de la Molteni de Merckx (7 grands Tours sur 10 entre 1971 et 1974) ou, plus près de nous de la Sky (7 sur 12 entre 2017 et 2021).
Un problème de moyens entre les équipes du peloton
« Cela rappelle effectivement d’autres dominations, reconnait Guimard. Il y en a toujours eues et il y en aura toujours. » Moins fataliste, Jérôme Pineau « regrette le manque de clarté au niveau des budgets et la non mise en place du salary cap. Les instances internationales sont en train de tuer notre sport en étant à la botte de ces grandes équipes. »
Au milieu, Marc Madiot se pose « beaucoup de questions sur l’organisation du cyclisme mondial », mais ne trouve pas « illogique de retrouver autant de coureurs de la Jumbo sur les podiums car une quinzaine d’entre eux seraient leaders dans la plupart des autres équipes du World Tour. Il y a trop de disparités de moyens. Ils en ont plus que les autres, ils en profitent, c’est leur droit. C’est juste dommage pour l’intérêt des courses. A nous de travailler pour se rapprocher d’eux le plus souvent possible. »
Si, en France, ces inégalités exaspèrent, à l’étranger, le débat est moins virulent, à l’instar de l’ancien champion suisse, Fabian Cancellara, sur la RTBF, pour qui « cette domination n’a rien de nouveau, ce n’est pas la première fois que ça arrive. J’ai lu beaucoup de choses et sur le Tour d’Espagne ils avaient simplement les trois meilleurs coureurs. Ils ont bien bossé et le boulot a payé. » Aux autres de faire mieux…
Roglic-Vingegaard-Kuss sont entrés dans l’histoire
C’est un fait. Jamais une équipe n’avait réussi à gagner les trois grands Tours la même saison. Unique en son genre, ce grand chelem calendaire ne l’est pas pour l’enchainement de victoires en grands Tours à cheval sur deux saisons. Ce fut notamment le cas pour la Molteni qui accrocha en enfilade le Giro et le Tour en 1972, puis la Vuelta et le Giro en 1973, et pour la Sky avec le Tour et la Vuelta en 2017 puis le Giro et le Tour en 2018.
Par contre, aucun de ces deux records n’a été effectué avec trois, ou quatre, coureurs différents puisque Merckx avait tout raflé avec la Molteni, quand la Sky avait compté sur le duo Froome-Thomas. A charge désormais pour les Guêpes de pousser le bouchon un peu plus loin en 2024 en débutant par un Giro que la formation néerlandaise n’avait remporté qu’une fois avant Roglic (Menchov en 2009).
Par contre, aussi exceptionnelle soit-elle du fait d’une concurrence largement plus étoffée depuis, la présence de trois coureurs de la même équipe sur le podium n’est pas une première. C’est aussi lors d’une Vuelta que la formation KAS-Kaskol avait réussi pareille perf en 1966 avec Francisco Gabica, devant Eusebio Velez et Carlos Echeverria…
Enfin, pour son premier succès en grand Tour, l’Américain Sepp Kuss est devenu le deuxième coureur de l’histoire à gagner un grand Tour après avoir participé aux deux autres. Avant lui, seul Gastone Nencini en 1957 avait gagné le Giro, le deuxième de la saison quand Kuss a attendu le troisième…
Tom Boissy