La notion de « meilleur attaquant du monde » doit d’abord être clairement définie. Est-il le joueur le plus talentueux, le plus doué, le plus charismatique ? Ou celui qui marque, ou fait marquer, le plus de buts, le plus efficace donc ?
« J’ai envie d’être reconnu comme le meilleur joueur du monde ! » Mohamed Salah est certainement au sommet de sa carrière, en pleine possession de ses moyens, meilleur buteur de Premier League, finaliste de la Ligue des Champions et prétendant naturel au titre suprême.
Mais ce statut de « meilleur joueur du monde » vers lequel il court désespérément, qu’on assimile trop souvent à celui qui décroche le Ballon d’Or, ne revêt-il pas une dimension encore supérieure d’un trophée qui ne concerne trop souvent que les seuls attaquants ?
Poser la question, c’est forcément déjà y répondre un peu et considérer que les critères de sélection restent trop impactés par la médiatisation, la popularité et le prestige des clubs ou des championnats. Le fait est que, dans l’esprit du grand public, à part de rares exceptions comme Beckenbauer, Sammer ou Cannavaro, le meilleur attaquant est aussi le meilleur joueur.
« Benzema est le meilleur… En attendant Mbappé » (Guy Roux)
« On peut regretter que trop souvent, le meilleur soit le plus célèbre, insiste l’ancien coach de l’AJ Auxerre Guy Roux. Il faut donc s’entendre sur la définition et fixer une date. Le meilleur sur l’année, sur la décennie, sur la semaine, sur la compétition, sur l’histoire du foot… ? Pour moi, le meilleur aujourd’hui, à l’instant T, c’est Benzema, parce qu’il a été décisif dans tous les matches à fort enjeu de la saison, ce qui n’a pas été le cas de Mbappé qui, pourtant, finira par être meilleur que Benzema car sa marge de progression, surtout technique, est encore importante. »
En préférant constituer un podium dénué de hiérarchie, dans lequel il ajoute Lewandowski au duo français, l’ancien coach auxerrois place aussi son curseur sur d’autres critères.
« De ces trois-là, qui ont mis beaucoup de buts dans de grands matches européens de manière permanente tout en se montrant collectifs et bons coéquipiers, Benzema a été le seul à gagner le championnat et la Ligue des Champions. Il a aussi eu une influence incomparable sur le jeu, en véritable stratège, face à l’individualisme de Mbappé et au registre plus réduit du Polonais. On ne peut pas en dire autant de tous ceux qui ont parfois plus de qualités, mais un état d’esprit défaillant, je pense évidemment à Neymar dont le comportement est loin d’être exemplaire, ce qui à mes yeux le disqualifie pour le statut de meilleur attaquant du monde. »
Guy Roux attend beaucoup de Mbappé
L’exemplarité, autant que le talent et l’efficacité, est une valeur essentielle que le sorcier bourguignon associe à « la dimension défensive. Neymar, Di Maria, Messi, CR7 ou Mbappé n’ont aucune technique défensive, contrairement à Benzema qui fait des efforts et récupère de nombreux ballons. » On pourrait évidemment ajouter Mohamed Salah ou Sadio Mané dans cette liste, indispensables au pressing intense demandé par Klopp, voire Haaland, « qui est de la catégorie de Mbappé, poursuit Guy Roux, avec une marge de progression énorme qui doit pouvoir l’amener encore plus haut avec City. »
Au moment du verdict, si Benzema semble bien avoir un temps d’avance sur la concurrence, à charge à lui de le conserver au moins jusqu’au soir de la finale de la prochaine Coupe du monde, l’avenir appartient évidemment à la génération Mbappé-Haaland. Quand le premier a fait le pari de demeurer en Ligue 1, le second a rejoint la Premier League et Manchester City.
« Ça oblige Mbappé à être bon en Ligue des Champions, poursuit Guy Roux, car un but inscrit en Premier League vaut plus qu’un but en Ligue 1. Mais Mbappé a plus de qualités que tous les meilleurs attaquants de ces vingt dernières années. Il est plus vif que Van Basten, plus technique que Papin, plus leader que Messi, et il va acquérir la vision de jeu d’un Benzema ou d’un Zidane. Comme en plus il est costaud dans sa tête et bien entouré, il est le seul à pouvoir prétendre un jour dominer son sujet comme ont pu le faire Messi et Cristiano Ronaldo depuis des années. »
En sortant l’individualité du contexte dans lequel il évolue, ou en l’imaginant ailleurs, dans un autre club, eu égard à son efficacité avec un PSG souvent très moyen, on ne peut pas s’empêcher de penser que Mbappé aurait aussi fait un malheur au sein du collectif madrilène.
« Mbappé, le seul à pouvoir rejoindre un jour Messi et CR7 »
Dans une équipe qui a souvent laissé l’initiative du jeu à ses futures victimes, PSG, Chelsea ou City, son sens du but et sa capacité à prendre les espaces, à faire des différences individuelles même face à des défenses placées auraient certainement permis aux Merengues de faire la différence plus tôt. Et alors le débat serait clos.
A défaut, Benzema a su jouer les sauveurs avec énormément d’intelligence et d’efficacité. Mais, de là à en faire un meilleur attaquant que son cadet, il y a un pas que nous ne franchissons pas. Si KB9 mérite son (futur probable) Ballon d’Or, parce qu’il a répondu à tous les critères, le talent de Mbappé est d’une autre dimension. De celle qui peut marquer l’histoire du football mondial quand Benzema a surtout marqué, pour le moment, l’histoire du Real Madrid.
Tom Boissy