jeudi 25 avril 2024

Japhet N’Doram (sur le FC Nantes) : « Il est impossible d’effacer l’histoire de ce club »

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

Aucun autre joueur qui n’est pas passé par le centre de formation de la Jonelière n’aura à ce point réussi à en incarner toutes les valeurs, sportives et morales au point de devenir le guide incontestable de toute une génération. Arrivé dans l’anonymat en 1990, le Tchadien, Japhet N’Doram est reparti sept ans après en laissant dans son sillage la trace indélébile d’un talent et d’une humanité rares.

Si votre nom est irrémédiablement associé à celui du FC Nantes, est-ce parce que vous y avez atteint votre zénith ?

Je n’ai pas connu beaucoup de clubs j’aurais d’ailleurs aimé en connaitre plus mais c’est incontestablement à Nantes que j’ai atteint mon meilleur niveau. Me retrouver, à 24 ans, en débarquant d’Afrique, dans un club qui représentait autant de choses dans le foot français… ouah ! C’était inespéré. L’histoire était là, droit devant moi, et à ma manière je suis fier de l’avoir perpétuée.

J’ai eu la chance d’arriver dans un club que je ne connaissais d’ailleurs pas forcément, mais où je suis tombé sur de bonnes personnes, des gens qui m’ont accompagné avec autant de talent que d’humanité. Je ne pouvais pas tomber mieux car le FC Nantes à cette époque correspondait à l’homme et au joueur que j’étais.

Japhet N’Doram ne s’imaginait pas champion de France

De là à être champion de France et de parvenir en demi-finale de la Ligue des Champions !

C’était inimaginable. Jamais le gamin du Tchad que j’étais n’aurait rêvé faire partie des figures emblématiques de ce club aussi représentatif du football français. J’ai beaucoup de fierté et de reconnaissance.

Lorsqu’on parle du FC Nantes des années 90, on parle forcément du titre de 1995…

Une année extraordinaire ! Même si on avait pointé le bout de notre nez depuis quelques saisons déjà, parvenir à dominer de la sorte le football français, face au PSG, Monaco, Auxerre, Bordeaux, Marseille, Lyon…. ne perdre qu’à une reprise et établir ce record d’invincibilité en championnat, a été une sorte de consécration pour toute une génération. Ce fut d’autant plus fort que le club n’avait plus été champion depuis longtemps (1983).

Quelle était la force principale de cette équipe quasi invincible ?

L’envie et la joie de jouer ensemble, les plus jeunes comme Loko, Ouédec, Makelele, Pedros, Karembeu, Capron, Casagrande… avec les plus anciens Guyot, Le Dizet, Ferri, Decroix, Pignol, Marraud. Le groupe n’était pas très étoffé, ce sont presque toujours les mêmes 15 qui jouaient, mais on était tous imprégnés par la soif de jouer de Coco (Suaudeau). Et tous ceux qui étaient sur le banc, étaient déjà heureux d’y être et de nous voir gagner.

Suaudeau, comment l’avez-vous perçu à votre arrivée ?

La première fois que j’ai parlé avec lui, il m’a dit : « Japhet, on va juste essayer de jouer ! » Il ne cessait de reléguer les résultats au second plan pour mieux nous sensibiliser au jeu, parce que c’était un fou de jeu. Je n’étais pas issu de la formation nantaise, mais Suaudeau et Denoueix ont vite vu en moi un joueur capable d’endosser un rôle de guide. Ils m’ont tout de suite responsabilisé, orienté.

« La première fois que j’ai parlé avec Coco, il m’a dit : « Japhet, on va juste essayer de jouer ! » »

Après le titre de champion, vous n’avez échoué qu’en demi-finale de la Ligue des Champions face à la Juventus de Deschamps. Comment aviez-vous vécu cette épopée européenne ?

Avec beaucoup de frustration parce que nous avions perdu en route deux éléments clés de notre organisation, Loko et Karembeu. La dynamique était un peu cassée, mais on avait quand même bousculé cette équipe très solide de la Juventus qui allait gagner en finale face à l’Ajax. Leur dernier titre, je crois. Avec Loko et Karembeu, je suis certain qu’on aurait pu atteindre la finale parce que l’écart n’était pas si grand. En plus, à l’aller, j’étais suspendu et Makelele blessé… Retrouver l’Ajax en finale aurait été fantastique parce qu’il s’agissait des deux meilleures écoles de football d’Europe.

Après avoir terminé votre carrière de joueur à Monaco, y avoir débuté celle d’entraîneur, qu’est-ce qui vous a poussé à revenir à Nantes en 2005 ?

Nantes a toujours été mon club de coeur donc lorsqu’on m’a sollicité, je n’ai pas pu refuser. Pourtant, à Monaco, où j’ai aussi eu la chance de travailler avec des techniciens remarquables, Tigana et Puel, ainsi que Deschamps, Didier m’avait dit : « Attention Japhet, ce n’est plus le club que tu as connu ! » Il avait raison. J’étais trop naïf, trop honoré par cette proposition et cette responsabilité. J’ai eu tort de ne pas l’écouter car cela s’est mal passé. Je suis tombé au milieu d’un joli panier de crabes. Je pensais pouvoir m’en sortir, mais c’était une erreur. C’est un énorme regret cet échec.

Japhet N’Doram circonspect sur la gestion du club

Et aujourd’hui, quels rapports entretenez-vous avec le FC Nantes ?

Je suis franchement très heureux de les voir en finale de la Coupe de France. Je vais souvent à la Beaujoire, mais je regrette la manière avec laquelle le club traite ses anciens.

Nous y sommes acceptés et invités dans certaines conditions, sans être intégrés vraiment, à l’écart des discussions qui concernent les décideurs, les sponsors, les partenaires, tous ceux avec qui j’aimerais dialoguer, voir ce qu’ils pensent, comment ils vivent leur investissement. Nous n’en avons pas la possibilité au contraire d’autres qui n’ont rien à y faire, sans avoir grand-chose à apporter au club. Dans ces conditions, comment peut-on espérer transmettre quelque chose ?

Votre popularité, celles des anciennes gloires fait-elle peur ?

Dès qu’on émet une critique, on est catalogué comme des ennemis… Alors que non, on aime tous ce club. Et si on se permet parfois de le critiquer, c’est parce qu’on a envie qu’il grandisse. S’ils nous demandent de mentir pour pouvoir participer, je dis non ! On est tous conscients de tout ce que fait encore le président Kita pour le club, tous conscients de la difficulté de sa tâche. On veut juste exister et être considéré.

Lorsqu’il est arrivé, il a enlevé les photos de Denoueix et Suaudeau à l’entrée du stade… Il est impossible d’effacer l’histoire de ce club, surtout de nier l’impact des entraîneurs. Nous, joueurs, ne sommes que de passage, mais eux sont restés longtemps et ont fait le club. Ils sont éternels, constitutionnels. On ne peut pas les enlever à sa guise.

« Kombouaré, un enfant de la maison »

Que pensez-vous de l’épopée en Coupe de France cette saison ?

Je ne peux pas rester insensible. Kombouaré est un enfant de la maison, je suis super heureux. J’ai assisté aux deux victoires face au PSG en L1 et à Monaco, en demi-finale de la Coupe, la communion avec le public était incroyable. Le sport, le foot reprend le dessus avec une équipe qui correspond à la mentalité du club, de la ville, de la région. Et Kita y est aussi pour quelque chose, on peut le féliciter pour sa persévérance. Il peut apporter ça aux supporteurs. Mais il a trop longtemps sous-estimé la dimension de ce club.

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