lundi 2 décembre 2024

Julien Pinot / Franck Alaphilippe dans les roues de Thibaut et Julian…

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Si Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot font partie des meilleurs coureurs du monde, ils le doivent à leurs qualités mais aussi à des entraîneurs qui les connaissent par cœur et en qui ils ont confiance. Rencontre avec Franck Alaphilippe, le cousin du champion du monde et Julien Pinot qui est aux petits soins pour son frère.

Comment êtes-vous devenu entraîneur ?

Franck Alaphilippe : « Le cyclisme est une passion, j’étais coureur à un niveau correct et j’analysais les méthodes d’entraînement parallèlement à mes courses. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur et j’ai trouvé du travail dans le vélo. C’était parfait. Ce qui m’intéressait le plus dans ce métier, c’était l’aspect éducatif, transmettre aux jeunes, essayer de les mettre sur la bonne voie. C’est pour cela que je travaillais dans un centre d’entraînement pour les jeunes pas loin de chez moi. »

Julien Pinot : « A l’âge de 20 ans, j’ai dû mettre un terme à ma carrière à cause d’un problème au cœur. Quand je courrais, je m’intéressais déjà beaucoup à tous les aspects de l’entraînement, je regardais comment mes directeurs sportifs travaillaient. La bascule s’est donc faite naturellement. Je faisais mes études à Besançon, j’ai été embauché par l’équipe dans le cadre de ma thèse, non pas pour être entraîneur, mais pour travailler sur l’optimisation du matériel. J’ai été conservé et j’ai évolué vers le métier d’entraîneur. »

Julien Pinot : « Arsène Wenger m’inspire »

Y’a t-il un entraîneur qui vous inspire ?

F.A. : « Non pas vraiment. Je regarde ce qui se fait à droite et à gauche, mais je n’ai pas vraiment de modèle. Très jeune, j’étais plus orienté vers le foot et j’adorais Robert Herbin avec St-Etienne. C’était un personnage du monde du sport. »

J.P. : « Oui, mais pas dans le monde du vélo, c’est dans le foot avec Arsène Wenger. Bien sûr, il s’agit d’un sport collectif, les problématiques sont différentes, mais certains aspects sont communs. Il est très intéressant à écouter, ce qui me fascine chez lui c’est qu’il a réussi à traverser les époques. Il a toujours été à la pointe. »

Comment jugez-vous l’évolution du métier d’entraîneur ?

F.A. : « C’est une évolution positive. A mes débuts, les entraîneurs et les directeurs sportifs avaient le même rôle. Maintenant, le métier d’entraîneur s’est vraiment imposé, c’est un rôle à part entière dans l’équipe. La technologie, la taille des staffs, tout a évolué dans notre sport. »

J.P. : « C’est ma dixième saison et ce qui a le plus évolué c’est le pôle de performance de l’équipe. On fait de plus en plus appel à des compétences pour optimiser les performances dans tous les domaines. Humainement, ce n’est pas moins ou plus facile d’entraîner aujourd’hui les coureurs, c’est différent, les mentalités évoluent, mais j’ai toujours eu la chance d’avoir des coureurs à l’écoute. »

Julien Pinot : « Même si les gens de l’extérieur en doutent, Thibaut a un très gros mental »

Est-il facile d’entraîner quelqu’un de sa famille ?

F.A. : « J’entrainais déjà Julian avant d’être dans l’équipe. Je n’avais pas une grande expérience du haut niveau, mais une bonne expérience quand même grâce à Julian. Chez Deceuninck, comme je ne parle pas anglais, je suis trois coureurs, Julian, Rémi Cavagna et Dries Devenyns qui est l’un des rares belges de l’équipe à parler français. Il y a un esprit d’équipe, un collectif, on se détache du lien familial. Ça ne pose aucun problème aux autres car ils savent très bien que ma présence est importante pour Julian. Je suis l’un de ses premiers confidents. Je suis une des rares personnes à qui il dit tout. »

J.P. : « Au-delà d’être mon frère, Thibaut est le leader de l’équipe. L’une des choses les plus importantes pour moi était que l’on ne dise pas « il est le frère de…, il le favorise, etc ». C’est pour cela aussi que je n’ai jamais voulu être directeur sportif où il faut prendre des décisions tactiques, mettre des coureurs en avant. Le rôle d’entraîneur est différent, je fais le suivi physique du coureur, j’agis entre les courses, j’essaie de mettre les coureurs dans les meilleures conditions, le directeur sportif dirige la course, prend des décisions tactiques, il organise les courses.

Comme j’étais très proche de Thibaut, que je le connais parfaitement et qu’il a confiance en moi, on me l’a confié. Je m’occupe de neuf coureurs dont Stefan Küng ou Arnaud Démare aussi. Il n’y a jamais eu de quiproquo, je n’ai jamais fait de favoritisme pour mon frère bien évidemment. C’est très enrichissant pour moi d’avoir plusieurs coureurs, pas simplement Thibaut car ils ont chacun leurs personnalités, leurs qualités, leurs profils. Humainement, c’est très enrichissant. »

« Julian est allé au bout de lui-même pour défendre le maillot jaune »

Qu’est-ce qui vous impressionne le plus chez votre coureur ?

F.A. : « Son détachement par rapport aux choses, son mental aussi. Il l’a montré en de nombreuses occasions et notamment sur le Tour 2019 où il est allé au bout de lui-même pour défendre ce maillot jaune. Il était aussi porté par les gens, ce fabuleux engouement populaire. »

J.P. : « Ses qualités physiques, mais aussi son mental. Même si les gens de l’extérieur en doutent en se basant sur quelques abandons ou contre-performances de sa part, Thibaut a un très très gros mental. Il ne lâche rien. Toutes les personnes qui le connaissent et le côtoient régulièrement vous le diront. De toutes manières, pour faire une telle carrière, il faut un gros mental. »

Quel genre d’entraîneur êtes-vous ? F.A. : « J’essaie de ne pas être un entraîneur trop rigoureux, d’être à l’écoute des coureurs. Je privilégie le dialogue avec le sportif même si je ne suis pas très psychologue. Le coureur me donne son ressenti, mais c’est moi qui prend les décisions. La discussion est nécessaire, le ressenti du sportif aussi. Il y a des entraînements que je rends obligatoires. »

J.P. : « J’aime beaucoup la technologie, étudier les données d’entraînement, m’occuper de profils différents, c’est très enrichissant. Je discute beaucoup avec eux, c’est important pour faire du bon travail. La confiance doit être mutuelle. »

Quel est votre meilleur souvenir d’entraîneur ?

F.A. : « Les victoires de Julian dans les premières classiques notamment la Flèche Wallonne. Le titre de champion de France du contre-la-montre de Rémi Cavagna en août dernier aussi. Et puis, bien sûr, le titre de champion du monde de Julian. Ce sont beaucoup d’émotions qui se mélangent. »

« Julian évoque de plus en plus le général du Tour »

J.P. : « J’en ai plusieurs, mais l’un des premiers auxquels je pense c’est le championnat de France 2016 à Vesoul avec Thibaut et Arthur (Vichot), vainqueurs en contre-lamontre et sur la course en ligne, un grand moment de bonheur partagé dans la région. Il y a eu aussi l’étape du Tour de France de la Planche des Belles Filles. Le Tour avait été très compliqué, Thibaut souffrait, mais voir tous ces spectateurs sur le bord de la route, la famille, les amis, c’était extraordinaire. »

Y’a-t-il quelque chose qui vous a surpris dans ce métier ?

F.A. : « Surpris ? Non pas vraiment. Tout est planifié, mais ça je m’y attendais, c’est l’une des meilleures équipes du monde. J’aime bien le terrain, faire les plannings d’entraînement. Je fais des préparations spécifiques avec les coureurs et la réussite qu’il y a à l’issue de cette préparation est ma petite récompense. »

J.P. : « Quand on n’est pas dans le milieu, qu’on n’entraîne pas, on ne se rend pas compte de toutes les choses extérieures qu’il y a à gérer comme les voyages, les déplacements, les transferts, etc. Je ne connaissais pas tous ces aspects. »

Pensiez-vous que Julian et Thibaut attendraient ce niveau ?

F.A. : « Non, pas quand il a débuté. Je l’entraîne depuis l’époque des cadets. On a détecté un potentiel chez Julian en juniors quand il faisait beaucoup de cyclo-cross au niveau national. Il avait déjà le punch qu’on voit aujourd’hui. Il avait des tests d’effort très intéressants puis, chaque année, il franchissait des étapes. Sa signature à la Deceuninck-Quick Step a bien sûr boosté sa carrière. C’est une équipe qui correspondait à ses caractéristiques, à ses projets puisqu’elle jouait surtout les classiques. »

J.P. : « C’était difficile à prévoir. Dès ses premières courses, on voyait que Thibaut avait des qualités qui lui promettaient un bel avenir, mais être parmi les meilleurs grimpeurs du monde c’est encore un autre niveau. »

Votre coureur fait partie des meilleurs coureurs du monde. A-t-il encore des axes de progression ?

F.A. : « Il y en a toujours. Pour Julian, c’est plus dans la communication. Il a besoin d’être rassuré quand il a des doutes, il ne faut pas qu’il se pollue la tête avec des doutes ça pourrait influer sur ses performances. On a toujours été très proches, s’il doit parler il viendra se confier à moi en premier. »

J.P. : « Son niveau est élevé, c’est vrai, il faut qu’il garde de la régularité, qu’il arrive à ne pas être atteint par les critiques. Maintenant, avec les réseaux sociaux, certaines peuvent être violentes quel que soit le coureur, il faut prendre du recul avec tout cela. »

Franck Alaphilippe et Julien Pinot proche parmi les proches

Tous les Français attendent qu’ils gagnent le Tour de France. Comment le vivent-ils ?

F.A. : « Contrairement aux autres Français, Julian n’est jamais venu pour le gagner jusqu’à présent. Il était le premier à dire que ce n’était pas une priorité, qu’il n’était pas capable de jouer le général. Lui, c’étaient les victoires d’étapes et le maillot à pois. Mais le Tour de l’an dernier a changé sa façon de voir les choses. Il évoque de plus en plus le général du Tour. Il a encore des Classiques qu’il souhaite gagner, mais il est clair qu’il se préparera spécifiquement pour jouer le général avant la fin de sa carrière. »

J.P. : « Bien, il arrive à se détacher de cette pression. Il a acquis une énorme popularité grâce au Tour de France grâce à son panache, ses belles victoires. Depuis 2018, il a un niveau énorme en montagne. Malheureusement, ces deux dernières années, il a eu de la malchance. Son abandon en 2019 avec cette blessure dans les Alpes a été terrible, il était dans la forme de sa vie. En 2020, il avait aussi fait une super préparation, au Dauphiné il était du niveau de Roglic en montagne, malheureusement il est tombé au début du Tour et après il a souffert du dos pendant toute la course. Il a serré les dents pour aller au bout. »

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