Lorsqu’il est passé pro en 2010, son ambition était claire : « Une belle carrière, ce serait dix ans chez les pros et dix victoires ! » Treize ans après, en tournant la dernière page de sa vie de cycliste lors du Tour de Lombardie, Thibaut Pinot a fait bien mieux : au-delà de ses 33 victoires, il a surtout gagné les cœurs.
Ses grands succès : Civiglio, L’Alpe d’Huez et le Tourmalet
Jusqu’à ses derniers tours de roues qu’il a effectués en octobre dernier, le Tour de Lombardie restera son Monument, le seul qui l’a toujours fait rêver, le seul qu’il remporte, en 2018, au terme d’une échappée en solitaire, une trentaine de secondes devant Nibali et Teuns. Un an après sa 3ème place sur Tirreno-Adriatico, quelques jours après avoir remporté Milan-Turin, et après son podium en 2015 (3ème), sa 5ème place en 2017, cette victoire lui permet de changer de dimension, d’acquérir dans le peloton un statut différent, d’incarner enfin un cycliste français qui gagne.
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Au-delà, elle confirme son appétence pour les épreuves italiennes (8 participations au Tour de Romandie, Top 10 sur les Strade Bianche), à l’instar d’un Giro qu’il fut à deux doigts de remporter en 2017 (4ème), où il abandonna alors qu’il était sur le podium à deux jours de l’arrivée en 2018 et où il effectua un magnifique baroud d’honneur en 2023 (5ème et meilleur grimpeur).
Sur ses trois participations, la seule petite étape remportée en 2017 ne dit rien de son impact sur une épreuve qu’il avait assurément dans les jambes. Bien davantage qu’une Vuelta où il remporte deux étapes en 2018, abandonne deux fois, sans jamais parvenir à intégrer le top 5 (6ème en 2018, 7ème en 2013, 17ème en 2022).
Entre l’Italie, sa préférée, et l’Espagne, c’est évidemment en France qu’il marque les esprits et entre dans le cœur des Français, aux côtés de Stablinski, Anquetil, Hinault, Fignon, Marie, Mottet, Bernard et Jalabert, neuvième coureur tricolore à avoir gagné sur les trois grands Tours.
Sur le Tour, la première de ses dix participations, en 2012, plus jeune partant, le met directement sur orbite avec une victoire d’étape entre Belfort et Porrentruy, un terrain qui est familier au Franc-Comtois de 22 ans et une 10ème place qui en fait le plus jeune coureur à terminer dans le Top 10 depuis 1947…
Madiot est en transe !
Le rendez-vous est pris qui sera toujours assumé avec courage et panache jusqu’à sa 11ème place cette année. Entre les deux, avec une 3ème place en 2014 comme meilleur classement, il offrit deux moments de grâce à ses supporteurs. Le premier un 25 juillet 2015, pour une avant-dernière étape qu’il fait sienne vers l’Alpe d’Huez.
Après avoir rejoint son coéquipier Alexandre Geniez, échappée au long cours, il résiste au retour de Quintana. Le second, un 20 juillet 2019, en haut du Tourmalet, pour une 14ème étape qui met son manager, Marc Madiot en transe et lui permet de se replacer au général et d’envisager sérieusement la victoire finale.
Après un autre morceau d’anthologie le lendemain dans les Pyrénées où il lâche Bernal et revient sur Landa pour finir sur les talons de Simon Yates à la 2ème place, il n’est qu’à trois secondes du podium, à 15 de Geraint Thomas, à 1min50 du maillot jaune Alaphilippe. Malheureusement, une blessure musculaire le contraint à l’abandon deux jours plus tard…
Ses grands échecs : trois fois le tour…
Bien plus qu’un Giro 2018 qu’il est obligé de quitter, malade et hospitalisé, la veille de l’arrivée, alors qu’il est sur le podium, c’est sur le Tour que ses déceptions ont été les plus grandes, parce que les attentes l’étaient tout autant, et où, paradoxalement, il a aussi écrit sa légende.
D’abord en 2013, après une première participation très prometteuse, le statut d’outsider est trop lourd à porter. Lâché dans la montée d’Aspin, une angine le met hors course avant la 16ème étape. En 2019, alors qu’il est au sommet de sa carrière, l’étape reine qui doit l’amener vers le sacre et Tignes se transforme en cauchemar.
« J’étais sûr que Thibaut allait gagner »
Un orage de grêle oblige les organisateurs à arrêter les temps en haut de l’Iseran… que Thibaut ne verra jamais, contraint à l’abandon, blessé à une cuisse, dans la montée d’Aussois.
Le futur vainqueur, Bernal, avouera plus tard : « J’étais sûr que Thibaut allait gagner ! » Pinot lui ne se remet vraiment jamais de ce coup du sort : « C’est la plus grosse claque de ma carrière, déclare-t-il sur le moment. Pour oublier tout ça, il faudra que je gagne le Tour ».
Sa dernière chance de le faire, il la laisse passer l’année d’après, lors d’un Tour déplacé au mois d’août en raison de la pandémie, et d’une chute collective dès la première étape autour de Nice qui réveille ses douleurs au dos et brise ses derniers rêves de victoire finale. Regrets éternels.
Tom Boissy