Depuis l’arrivée à la présidence de l’OM de Pablo Longoria en février 2021, 40% des salariés ont quitté le club. Juridique, administratif, gestion et sportif, aucun domaine n’a été épargné pour un exode qui renvoie forcément au profil, très peu local, de ceux qui composent l’organigramme d’un club de moins en moins made in Marseille.
Avant que Jean-Louis Gasset et son adjoint Ghislain Printant ne débarquent avec leur faconde toute méridionale rejoindre la légende locale Jean-Pierre Papin, et les anciens joueurs Pancho Abardonado et Mehdi Benatia, il eut été difficile pour un visiteur non aguerri qui se serait promené à la Commanderie avec un bandeau sur les yeux de déterminer dans quelle région il se trouvait.
Entre le coach italien Gennaro Gattuso, les collaborateurs anglo-saxons dépêchés par McCourt, les cadres espagnols recrutés par Longoria et l’ovni Yvgeny Koshelev, le directeur des opérations ukrainien qui a remplacé l’historique et très local Louis Vassallucci, il n’est pas illogique de se demander si cette internationalisation du club phocéen ne le coupe pas de ses racines.
Sur un Shack Talk organisé en décembre 2020, alors qu’il venait de prendre du recul au profit de Pablo Longoria, l’ancien président, Jacques-Henri Eyraud, revendiquait cette orientation en des termes qui n’avaient fait que creuser le fossé avec les supporteurs :
« Quand je suis arrivé à l’OM, j’ai été frappé de voir que 99% des collaborateurs du club étaient Marseillais. C’est un danger et c’est un risque. Après une série de défaites, j’ai vu que les visages se refermaient, les dépressions étaient proches. En termes de productivité, l’impact d’une défaite sur les attitudes et les comportements des collaborateurs était fort, et ça, ça ne va pas. La culture, c’est ce qu’il y a de plus dur à faire évoluer. »
« Il y a beaucoup de clubs qui recrutent dans le monde du foot, moi j’ai essayé de recruter dans des secteurs totalement différents, mais des gens qui représentaient des expertises dans le marketing, les opérations, le développement immobilier. Recruter dans son monde rassure, mais la contrepartie négative, c’est l’impossibilité de remettre en cause les idées convenues et d’affronter les enjeux du XXIème siècle. »
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Dassier : « quand ça gagne, tout va bien, mais quand ça perd, ça vous revient comme un boomerang »
Un an et demi après, sans l’effacer, son départ forcé remettait quand même pas mal en cause une théorie reprise à son compte par un successeur, Longoria, qui n’eut de cesse de remplir les cases du nouvel organigramme avec des profils qui n’avaient aucun lien avec Marseille.
Résultat, depuis janvier, Pedro Iriondo, membre du Directoire en charge de la stratégie et du développement, Javier Ribalta, directeur du football, David Friio et Matthieu Louis-Jean, membres de la cellule de recrutement, Matthieu Bouchepillon, responsable de la DATA et Baptiste Viprey, directeur administratif et financier depuis 2016 ont suivi le même chemin que Zubizarreta, Villas-Boas, Sampaoli, Tudor, Marcelino ou Gattuso… loin du Vélodrome. En attendant que le boss bostonien face de même ? (voir encadré sur la vente du club).
« Lorsque le propriétaire est étranger et peu présent, perdre de vue le culte du maillot, la notion d’identification, s’éloigner de ses racines, en allant tout le temps chercher ailleurs ce qu’on ne se donne pas la peine de trouver dans son environnement, c’est prendre le risque de se couper de son adn, nous dit Jean-Claude Dassier, l’ancien président (2009-2001). Quand ça gagne, tout va bien, mais quand ça perd, ça vous revient comme un boomerang. » Le dernier président à avoir ramené le titre à Marseille, avec un coach clairement identifié OM, Didier Deschamps, est confortable pour sa démonstration. Il poursuit :
« Si j’étais encore président, je m’attacherais plus que jamais à ce que l’équipe sportive, et au-delà administrative, soit représentative de Marseille et de sa région. Quand on s’éloigne trop de l’appartenance à une ville, à une identité, il ne faut pas s’étonner des marques de désintérêt qui accompagnent le développement d’un club. »
Courbis : « Pour réussir ici, il vaut quand même mieux être du sud… »
Dans le registre de l’appartenance territoriale, plus local que Rolland Courbis, on ne fait pas. Pour l’ancien joueur (1971-1972) et coach (1997-1999), « être Marseillais, c’est mieux, mais pas indispensable. Mieux si on considère que les gens du coin peuvent mieux comprendre les mentalités, mieux gérer le côté sanguin et excessif qui caractérise les Méridionaux. Mais pas indispensable non plus car les deux présidents qui ont le mieux réussi à Marseille n’en sont pas originaires, Tapie et Leclerc. »
Peut-être savaient-ils, eux, s’entourer de collaborateurs du cru pour sentir le pouls de la ville. « Comme le PSG ou l’OL, l’OM est un club hors norme, poursuit l’ancien gamin des quartiers Nord, et ce qui vaut à Montpellier par exemple, que je connais bien, ne vaut pas pour l’OM où en occupant le même poste vous avez l’impression de ne pas faire le même métier ! »
Renvoyé à ses fameux PowerPoint, Eyraud n’a jamais vraiment su se faire accepter par le microcosme local, un défi que Longoria a d’abord relevé sur ses compétences avant d’être, lui aussi, ramené à la composition horssol de son aéropage cosmopolite. « Pour augmenter ses chances de réussir, sans être de Marseille ou des Bouches-du-Rhône, il vaut quand même mieux être du Sud, conclue Courbis. C’est une mentalité, un état d’esprit, l’habitude surtout d’être en plein soleil… » En plein réchauffement climatique, la thèse n’a jamais semblé aussi pertinente.