Consultant pour Canal+, l’ancien pilote de MotoGP (140 courses, 2 podiums) Randy De Puniet qui, à 43 ans, pilote toujours, en Endurance au sein du Team belge KM99, nous apporte son regard d’expert avant l’ouverture de la saison de MotoGP le 10 mars au Qatar.
Comment sentez-vous cette nouvelle saison ?
Je suis impatient après la magnifique saison de l’an dernier. Honda va sûrement revenir au premier plan. Je l’espère. En plus avec Johann Zarco ! Yamaha, ça a l’air d’être plus compliqué, mais on devrait avoir une saison encore plus disputée avec le phénomène Marquez qui passe chez Ducati.
Se dirige-t-on vers un duel Marquez-Bagnaia ?
Le seul petit point négatif de Marquez, c’est qu’il ne va pas bénéficier de la moto officielle de 2024, il aura la 2023, mais pas la dernière évolution. C’est ce qui peut peut-être sauver Bagnaia. Mais sinon je vois un Marquez très rapide, qui va gagner des courses et qui sera le principal rival de Bagnaia pour le titre.
Ducati a écrasé la concurrence en 2023. L’écart va-t-il se resserrer en 2024 ?
Je l’espère ! Ducati a encore très bien travaillé cet hiver. Même si les autres ont bien travaillé, l’écart va peut-être finalement être le même. On ne va pas non plus empêcher Ducati de travailler ! (sic) S’ils arrivent à faire d’aussi bonnes motos, c’est qu’ils travaillent mieux que les autres. Aux autres de progresser. Mais c’est vrai que le package moto-pilotes est quand même assez exceptionnel.
Bagnaia qui a gagné les deux derniers titres, c’est le Verstappen de la moto !
Oui, mais il paraît un peu moins dominateur. On voit que c’est quand même plus difficile, plus serré. Mais finalement c’est lui qui a été champion. Il va falloir confirmer une 3ème année mais, sur le papier, c’est lui le favori.
Johann Zarco est passé de Ducati à Honda. Un choix surprenant. N’a-t-il pas plus à perdre qu’à gagner ?
En fin de saison, il n’était pas désiré chez Ducati. On ne lui proposait pas grand-chose d’intéressant. Je comprends tout à fait son choix. La Honda n’est pas compétitive depuis pas mal de saisons, mais derrière Honda travaille dur et, d’après les premiers essais, la moto a l’air de plutôt bien fonctionner. Il se peut qu’il ait fait le bon choix.
Il a enfin gagné un Grand Prix l’année dernière. Peut-il désormais rêver du titre ?
Champion du monde, ça va être compliqué, mais continuer de progresser, d’aller gagner plus de courses, d’accrocher un top 3 au championnat du monde, pourquoi pas. Après, ça va dépendre de sa machine. Si la moto est au niveau des Ducati officielles, on peut se mettre à rêver de titre pour Zarco.
« Marquez sera le principal rival de Bagnaia pour le titre »
Il faut se mouiller, quel est votre Top 3 pour le titre ?
Je mettrais Bagnaia même si j’aimerais que ce soit Marquez. Mais Marquez en deux et Bezzecchi en trois.
Qu’est-ce que Marquez a de plus ?
C’est un combattant, même dans la difficulté il y va, il ne se pose pas de questions. Partir de chez Honda pour aller dans un team satellite (Gresini Racing, Ndlr), tout le monde va dire « oui, mais c’est facile, il a une Ducati ». Ok, mais il part, il laisse des sommes d’argent pas possible, il est blessé. Ça fait trois ans qu’il est dans le dur. Il aurait pu s’arrêter, il n’a plus rien à prouver parce qu’à un moment donné au niveau de sa santé, il a 31 ans, sa vie est encore longue derrière, quel intérêt de continuer. Mais c’est un compétiteur, un gagnant, voilà pourquoi je respecte ce pilote et que je l’admire.
Fabio Quartararo est lui aussi un gagnant, mais ça ne s’est pas bien passé l’année dernière…
C’est sûr. Après, la différence entre un Fabio Quartararo et un Marquez, c’est que Marquez prend beaucoup plus de risques même quand la moto ne va pas. Il compense. Alors oui, il tombe beaucoup. Là, il va falloir pour Fabio Quartararo, si la moto ne marche pas, ne pas s’énerver comme l’année dernière, essayer de commencer cette saison comme il a fini la 2ème partie de saison et là il aura sa carte à jouer. C’est sûr que c’est frustrant pour un pilote qui a les moyens de gagner de ne pas gagner, mais après il est engagé avec une écurie et il faut respecter le contrat. A lui de prouver même avec une moto moyenne, sur le papier, qu’il peut faire de belles choses et aller ailleurs pour continuer. Mais ça va être une année cruciale pour lui.
Craignez-vous qu’il aille au clash si ça ne se passe pas bien avec la moto ?
Il a un contrat à respecter. Yamaha n’a pas non plus envie de le perdre. Où peut-il aller ? Même si ça reste un très bon pilote, chez Ducati, ils n’ont pas besoin de lui. Chez KTM, il n’y a pas de place. Pourquoi pas chez Aprilia ou Honda. Mais là, son objectif, sur la première partie de saison, c’est de performer avec Yamaha. Beaucoup de pilotes sont en fin de contrat. Des pilotes vont vouloir sauver leur peau, d’autres vont essayer d’avoir de meilleures machines. Les contrats vont se décider sur la première partie de saison. Mai- juin, les gros seront réglés.
S’il n’a pas la moto, Fabio doit quand même se montrer.
Par son attitude, sa manière de se comporter pour qu’un constructeur se dise : « ok, on connaît sa moto ». Mais d’aller taper son réservoir toutes les séances d’essais ça ne montre pas une bonne image. Il faut qu’il prenne sur lui, même si c’est frustrant et qu’il prouve aux gens que, même avec du matériel qui est inférieur, il est capable d’optimiser et surtout de montrer une bonne image de lui pour aller ailleurs ou rester chez Yamaha si ça progresse.
Son caractère peut-il faire peur à une écurie ?
De s’agacer en public, ça ne sert pas à grand-chose. Les gens le voient très bien que sa moto a des problèmes donc ça ne sert à rien d’en rajouter. J’ai été pilote et quand on s’énerve comme ça on fait encore moins bien.
« Pedro Acosta est de la trempe d’un Marquez, d’un Quartararo, d’un Stoner, d’un Lorenzo, c’est un grand champion »
Que peut-on attendre du champion Moto2 Pedro Acosta ?
Il va faire fort je pense. On l’a vu sur les premiers essais, c’est de la trempe d’un Marquez, d’un Quartararo, d’un Stoner, d’un Lorenzo, c’est un grand champion. Il est bien encadré chez KTM et je pense qu’il va faire fort.
Si on parle davantage de la Formule 1, le suspense est quand même plus en Moto GP. Mais n’y manque-t-il pas de têtes d’affiche comme Valentino Rossi à son époque ?
Il y avait Marquez, Fabio, mais c’est vrai que ça manque un petit peu de charisme tous ces pilotes. Ils sont tous amis alors qu’à l’époque les pilotes se détestaient tous. C’est peut-être l’évolution du sport, des gens, les réseaux sociaux, etc. Un Pedro Acosta, par contre, c’est quelqu’un qui peut devenir un pilote vraiment charismatique parce qu’il n’est pas du tout dans ce système.
Derrière Zarco et Quartararo, voyez-vous un Français pointer alors qu’il n’y en aura aucun en Moto2 ?
Malheureusement, on n’est pas bien du tout.
Est-ce cyclique ?
Le cycle, ça fait déjà quand même beaucoup d’années qu’il dure ! La base, c’est au niveau de la Fédération qui commence maintenant à organiser des choses… Mais il va falloir attendre encore quelques années. Dans le championnat espagnol qui est le championnat d’Europe, il y a un Français, deux en Moto2 Europe qui, en fonction de leurs résultats cette année, pourront peut-être passer en Grand Prix. On l’espère, mais c’est pauvre…
Pour se consoler, il y aura le Grand Prix de France le 12 mai…
Ce n’est pas parce que je suis Français, en plus le tracé du Mans je ne l’aime pas spécialement, mais l’ambiance est extraordinaire avec une organisation de folie. Le Grand Prix de France au Mans est revenu en 2000, j’ai eu l’occasion d’en faire plus de 10, c’est toujours une atmosphère incroyable. Les pilotes adorent venir rouler là-bas.
Il aurait dû y avoir 22 Grands Prix cette année, il y en aura finalement 21. Peut-on aller jusqu’à 24 comme en F1 ?
Ça va être dur. Déjà, les courses sprint depuis 2023, ça a compliqué les choses. Le but, c’est 22 Grands Prix. Après, on entend parler que le Kazakhstan ce n’est pas sûr, l’Inde non plus. On finira peut-être à 20. 20 ou 22, la différence n’est pas là, mais plus d’avoir ajouté le samedi des courses sprint. Prendre un départ de plus, le stress du départ, la pression, le risque de chute est double. Pour un pilote, c’est dur.
Le MotoGP n’est-il pas en train de prendre les travers de la F1 où l’argent est roi ?
En moto, déjà, on ne peut pas rouler en ville, ça limite les pays « exotiques » entre guillemets. Il faut énormément de dégagement, il y a des normes à respecter pour les homologations. Après, oui, le MotoGP prend un peu les traces de la Formule 1 pour faire de l’audience tout simplement, mais on est encore loin de la F1.